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Archive pour la catégorie 'LANG Fritz'

Guérillas / Guérillas aux Philippines (American Guerilla in the Philippines) – de Fritz Lang – 1950

Posté : 31 août, 2012 @ 4:23 dans 1950-1959, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Guérillas

Le plus mal aimé des films de Lang est peut-être, effectivement, le moins intéressant de tous (il en reste quelques-uns que je n’ai toujours pas vus). Mais sortie DVD de Guérillas chez l’excellent éditeur Sydonis arrive à point pour réévaluer un chouïa ce film de guerre loin d’être anecdoctique.

C’est vrai, ce n’est pas le projet le plus personnel de Lang : difficile de trouver sa patte et ses motifs habituels dans cette grosse production qui ne lui était pas destinée (c’est Henry King qui devait s’y coller, retrouvant ainsi son acteur fétiche Tyrone Power). Mais Lang tire le meilleur d’une approche plutôt originale du film de guerre.

Inspiré d’une histoire vraie, le film suit les aventures d’un officier de la marine américaine échoué aux Philippines et qui, tout en cherchant à gagner l’Australie où il espère reprendre sa place dans la navy, se retrouve constamment ramené (par les éléments, par les rares officiers encore sur place, par l’amour…) à cette terre occupée par les Japonais. Avec une poignée d’hommes, il fait son possible pour échapper à l’ennemi, avant de prendre une part active dans la résistance philippine et dans la préparation du retour très attendu du général MacArthur.

Un épisode peu vu au cinéma de la guerre du Pacifique, et pour cause : le sujet n’est pas le plus cinématographique qui soit : la résistance est larvée, patiente, lente, et les accès de violence sont aussi saisissants que rares. Quant à l’héroïsme de nos « combattants », il se résume durant la plus grande partie du film à éviter l’affrontement et à fuir les responsabilités. Si Tyrone Power et ses potes veulent gagner l’Australie, c’est pour se réfugier derrière les ordres directs de leurs supérieurs.

C’est là que Lang parvient à poser son empreinte. Son choix n’est pas de rendre le sujet plus spectaculaire qu’il n’est. Au contraire : il appuie un peu plus encore sur l’ennui qui gagne régulièrement les protagonistes, et décrit la nouvelle vie qui se met en place pour les autochtones, et pour les soldats, en particulier Tyrone Power et son sidekick, le sympathique Tom Ewell.

A quelques reprises, Lang fait mine de muscler son récit (la première escarmouche avec les Japonais, l’apparition d’un Jack Elam forcément patibulaire…), mais ce ne sont que des fausses pistes qu’il écarte rapidement. Lang nous prive même d’une scène de naufrage, ne montrant que le départ du bateau, puis le même bateau retourné devant un ciel parfaitement bleu, sans que l’on ait vu quoi que ce soit de la tempête qui en est responsable…

Par contre, il prend tout son temps pour filmer les temps, les longs préparatifs, les moments de repos… Un choix audacieux pour un film de cette ampleur, mais qui se révèle efficace. C’est dans ces longs moments en creux (l’action s’éternise sur trois longues années) que le film prend tout son sel, à l’image de La Ligne rouge, le film de Terrence Malick que ce Guérillas semble bien avoir inspiré.

Plus anecdotique (nettement), on notera aussi le rôle important tenu par Micheline presle (ou « Prelle » comme on peut le lire au générique) dans « sa » grande expérience hollywoodienne. Pas vraiment concluant : si charmante soit-elle, ses minauderies n’ont pas convaincu grand-monde, et la Micheline reviendra bien vite en France.

Metropolis (id.) – de Fritz Lang – 1927

Posté : 13 mars, 2012 @ 6:02 dans 1920-1929, FANTASTIQUE/SF, FILMS MUETS, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Metropolis (id.) - de Fritz Lang - 1927 dans 1920-1929 metropolis

« Entre le cerveau et la main, le médiateur doit être le cœur »

Evidemment, Metropolis est un monument. De tous les grands cinéastes de sa génération, ceux qui ont commencé leur carrière à l’apogée du muet, et qui ont accompagné l’âge d’or du cinéma hollywoodien (Ford, Walsh, Wellman…, et même Hitchcock), Fritz Lang est le seul dont le film le plus célèbre est muet. Ce film, c’est Metropolis. Est-ce mérité ? Difficile de dire non, tant ce film est effectivement un chef d’œuvre qui a posé les bases toujours valables d’un genre (la SF), tant le message paraît actuel 85 ans après la sortie du film, et tant le film est formellement impressionnant.

Pourtant, Metropolis n’est pas le meilleur film de Lang (M le maudit, Les Contrebandiers de Moonfleet, et d’autres, ont bien mieux vieilli). Ce n’est pas non plus son meilleur film muet : Docteur Mabuse ou La Femme sur la Lune, vus au début des années 2010, semblent bien plus modernes et haletants. Lang lui-même, d’ailleurs, n’avouait pas un goût immodéré pour ce film dont l’échec relatif lors de sa sortie en salles (comparé, en tout cas, au budget immense) aurait pu coûter cher à sa carrière. Ce n’est qu’en renouant avec le serial, avec Les Espions, que Lang retrouvera les faveurs de la UFA.

Film démesuré, immense production mettant en scène des centaines de figurants, Metropolis reste dans les mémoires pour ses décors gigantesques. Ce sont pourtant ces décors qui ont le plus mal vieilli, entre les formes trop géométriques de la ville souterraine des travailleurs, et les jardins d’Eden d’un autre temps réservés aux fils de riche. Mais la construction du film, son association de critique sociale très forte et de cinéma populaire spectaculaire, restent d’une force incroyable. Et la caméra de Lang est d’une impressionnante virtuosité.

Avec ce film, Lang a d’ailleurs inspiré tout un pan du cinéma à venir, des Temps modernes (Chaplin semble avoir voulu introduire le personnage de Charlot dans le travail mécanique déshumanisé imaginé par Lang) à Blade Runner (la mégalopolis de Ridley Scott semble par moments tout droit sortie du film de Lang), pour ne citer que les rejetons les plus prestigieux. Mais les exemples sont innombrables.

Metropolis oppose deux mondes : le monde « visible » des nantis, qui profitent d’une vie oisive au grand jour, dans une ville immense dont on ne verra pas grand-chose si ce n’est une impression de mouvement perpétuel ; et le monde souterrain, où les travailleurs actionnent à longueur de journées interminables les machines qui permettent au monde d’au-dessus de fonctionner. Des travailleurs qui « vivent » entre eux sans loisirs, sans plaisir, sans espoir.

C’est en suivant une mystérieuse jeune femme, figure respectée du monde des travailleurs (Brigitte Helm, dans le double rôle de sa vie) que le fils du grand maître de Metropolis (Gustav Fröhlich) découvre ce monde souterrain, et le sort terrible des travailleurs. Jeune homme oisif et insouciant, il jure alors d’aider ces esclaves des temps modernes, et participe à la révolution en marche. Mais les travailleurs sont manipulés par un robot créé par un savant (Rudolf Kleine-Rogge, figure incontournable de la période muette de Lang) oeuvrant dans le plus grand secret pour le grand maître (Alfred Abel, autre habitué du cinéma de Lang), et à qui il donne l’apparence de la jeune femme.

Metropolis brasse de nombreux thèmes chers à Lang : la manipulation, le déguisement, la résistance, l’humanité plongée dans un monde inhumain, ou encore la foule, cette entité mystérieuse qui prive chacun de ses membres de son intelligence et de son humanité (elle est au cœur de films aussi marquants que M le maudit ou Furie). Cette foule, ici, est immense et irrépressible, et ses effets sont dévastateurs : en laissant éclater leur colère collectivement, les travailleurs se transforment en une impressionnante marée humaine prête à tout raser sur son passage, jusqu’à ce qu’il y a de plus innocent et fragile. C’est ça le véritable thème du film : une ode à l’homme en tant qu’individu, et à son libre arbitre.

La Femme sur la lune (Frau im Mond) – de Fritz Lang – 1929

Posté : 11 février, 2012 @ 5:17 dans 1920-1929, FANTASTIQUE/SF, FILMS MUETS, LANG Fritz | Pas de commentaires »

La Femme sur la lune

Le succès des Espions a réconcilié Fritz Lang avec la UFA, qui lui ouvre de nouveau tout grand les portes de son coffre-fort, pour ce qui sera le dernier film muet du cinéaste, alors que le cinéma parlant s’est déjà quasiment généralisé : La Femme sur la Lune sera l’un des chants du cygne d’un art qui touchait au sublime à la fin des années 20. Toujours écrit par la fidèle Thea Von Harbou, qui a d’ailleurs écrit un roman avant d’en tirer un scénario, le film peut être vu comme une synthèse de toute l’œuvre muette de Lang : on y retrouve bien sûr sa fascination pour les nouvelles technologies (déjà vu dans Metropolis, mais aussi dans Les Espions), ainsi que son penchant pour le grand feuilleton populaire.

Toute la première partie du film, en particulier, évoque l’atmosphère de Mabuse ou des Espions, avec un complot à dimension mondiale, un méchant adepte du déguisement, et surtout une accumulation effrénée de rebondissements qui fleure bon l’esprit « serial » cher à Lang. Et avec le génie visuel inégalable du cinéaste : les gros plans, les contre-plongées, les jeux d’ombre, on est ici dans le sommet du cinéma allemand, à mi-chemin entre l’expresionnisme et le naturalisme. Espionnage, étude de caractère, drame amoureux… Lang n’exclut aucune piste pour faire de son dernier film muet une œuvre profondément populaire. Ce qui, évidemment, n’a rien de négatif, même si, à l’évidence, Lang se fait un devoir d’honneur de consolider son statut de cinéaste numéro un. Il reprend d’ailleurs le couple vedette de son précédent film : la star Willy Fritsch et la blonde Gerda Maurus, qu’il avait révélée dans Les Espions.

Film fascinant par la beauté de ses images, par le rythme que Lang insuffle, et par la force de son scénario, La Femme sur la lune est aussi un témoignage précieux de l’état des connaissances scientifiques à la fin des années 20. Comme Jules Verne pour son diptyque (les romans De la Terre à la Lune et Autour de la Lune, soixante ans plus tôt), et comme Hergé pour Objectif Lune et On a marché sur la Lune (vingt-cinq ans plus tard), Lang s’est entouré des plus grands spécialistes de l’époque pour coller le plus fidèlement possible à la réalité de la conquête spatiale, telle qu’on l’imaginait quarante ans avant le premier pas de l’homme sur la Lune.

Le résultat est fascinant : grâce à un budget conséquent, Lang construit une fusée qui n’est pas sans évoquer celle à bord de laquelle Tintin et ses amis prendront part un quart de siècle plus tard. D’ailleurs, la ressemblance ne s’arrête pas là : que ce soit dans le mélange de science fiction et d’espionnage, dans les préparatifs du voyage, dans la découverte de la Lune, ou dans les multiples rebondissements qui émaillent le récit, on sent clairement que Hergé a vu et revu La Femme sur la Lune, et s’en est énormément inspiré, jusqu’à en reprendre fidèlement quelques épisodes : le passager clandestin, la grotte lunaire, le groupe occulte représentant des intérêts internationaux… Le vieux scientifique a même un côté professeur Tournesol, et le gamin ressemble même étonnamment à Quick et Flupke, autre création d’Hergé.

Film méconnu de Lang, La Femme sur la Lune est pourtant un authentique chef d’œuvre qui n’a rien à envier à Metropolis, même si le propos semble moins ambitieux. C’est une splendeur qui associe avec un bonheur rare le film d’espionnage, le serial, la SF, le film d’aventure et la romance. Avec une conclusion culottée et cauchemardesque, qui donne une idée bien précise de ce qu’est un cinéaste immense, bien en avance sur son temps. Un cinéaste, qui plus est, qui passera sans la moindre difficulté au parlant, procédé contre lequel il s’est pourtant battu pour cette Femme sur la Lune, que les producteurs voulaient sonoriser au moins en partie…

Les Espions (Spione) – de Fritz Lang – 1928

Posté : 27 janvier, 2012 @ 12:47 dans * Polars européens, 1920-1929, FILMS MUETS, LANG Fritz | 2 commentaires »

Les Espions

Dans l’Allemagne des années 20, la police semble totalement dépassée par une mystérieuse organisation criminelle qui s’adonne à l’espionnage en recourant au meurtre, au vol, et aux méthodes les plus spectaculaires… Le Docteur Mabuse aurait-il encore frappé ? Pas tout à fait… Six ans après le triomphe de son premier chef d’œuvre, Fritz Lang (toujours avec son épouse-alter ego Thea Von Harbou au scénario) donne bien l’impression d’offrir une variation sur le même thème. Il y a d’ailleurs dans Les Espions le même esprit feuilletonesque, le même rythme trépidant, et la même volonté d’en mettre plein les mirettes à des spectateurs qui n’en demandaient pas tant (et qui ont évidemment fait un nouveau triomphe au film).

Il y a toutefois une différence de taille entre les deux films : le second degré politique du Docteur Mabuse a en grande partie disparu. Même si on peut se passionner ici aussi pour la vision que le film donne de son époque, et même si on peut y déceler la trace des menacent qui pèsent sur l’Allemagne de Weimar, Les Espions est bien plus que Mabuse un pur plaisir sans réelle arrière-pensée. Un divertissement gourmant aussi exceptionnel que populaire.

Ce choix peut paraître curieux, de la part d’un Fritz Lang qui vient d’enchaîner deux des films les plus importants du cinéma allemand des années 20 (Les Niebelungen et Metropolis). Déjà considéré comme le plus grand cinéaste du pays, Lang n’en est pas pour autant un homme libre : ses deux monuments n’ont pas connu le succès escompté, et ont tous deux battu des records de coût de production. Un double-constat qui n’est pas du goût de la UFA, la plus importante société de production de l’époque : conscient qu’il n’est pas à l’abri d’un renvoi, Lang se lance avec sa compagne dans un projet dont il sait qu’il sera rassurant pour tous…

De ce point de vue, Les Espions est bien une concession de la part du cinéaste. Mais le résultat est absolument exceptionnel, et n’a rien d’une œuvre de commande anonyme. Au contraire : on retrouve dans ce film de genre génial l’obsession de Lang pour le mouvement, la folie ou le mystère, thèmes qu’il ne cessera de décliner de film en film jusqu’à la fin de sa carrière.

Loin de constituer un carcan, les codes du film de genre (l’espionnage, ici) ont toujours donné à Lang l’occasion de laisser libre cours à son imagination, dépassant tout ce qui a été fait avant lui. Avec Les Espions, son inspiration est à son zénith. Visuellement, film est une splendeur : pas un plan qui ne soit pertinent et inattendu, pas la moindre image quelconque. Le film dure deux heures et demi, dans la moindre faute de goût.

Côté rythme, Lang en remontrerait à la quasi-totalité des cinéastes d’aujourd’hui. Alors qu’il a a priori le temps de planter son décor et de présenter ses personnages, le cinéaste nous happe littéralement dès les premières images : en trois minutes seulement, on assiste à un cambriolage, un attentat (extraordinaire plan en extérieur dans une voiture en pleine course), et au meurtre d’un policier… Après un tel début, on se dit que le rythme va ralentir, forcément.

Mais non : Thea Von Harbou et Fritz Lang ont concocté un scénario totalement abracadabrant, aux innombrables rebondissements. Un policier infiltré dans les bas-fonds (Willy Fritsch, l’une des stars du cinéma allemand de l’époque), un criminel machiavélique (Rudolf Klein-Rogge, de nouveau méconnaissable dans un rôle proche de Mabuse), un officier à la solde de l’ennemi, une espionne russe au grand cœur, un agent asiatique perdu par une tentatrice… Tous ces personnages (et bien d’autres) se croisent, se menacent ou se sauvent dans un vertigineux chassé-croisé, parsemé de moments de bravoure inoubliables.

Le point d’orgue du film est une catastrophe ferroviaire à couper le souffle. Durant de longues minutes, grâce à un montage alterné de plus en plus rapide, et à des inserts obsédants sur l’image, Lang fait monter le suspense jusqu’à un point rarement égalé… jusqu’à l’accident de train lui-même, filmé avec beaucoup d’économie et pourtant hyper spectaculaire. Cette longue séquence résume à elle seule la démarche de Lang : nous entraîner dans un grand-huit jouissif. C’est tellement bon…

Espions sur la Tamise (Ministry of Fear) – de Fritz Lang – 1944

Posté : 2 novembre, 2011 @ 3:22 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, LANG Fritz | 1 commentaire »

Espions sur la Tamise (Ministry of Fear) - de Fritz Lang - 1944 dans * Films noirs (1935-1959) espions-sur-la-tamise

Graham Greene, l’un des plus grands romanciers du XXème siècle, est aussi celui, sans doute, qui a été le mieux servi au cinéma. De Tueur à gages de Frank Tuttle à La Fin d’une liaison de Neil Jordan, l’œuvre de l’auteur de Rocher de Brighton a inspiré un nombre assez impressionnant de chef d’œuvre. Celui de Fritz Lang n’est pas des moindres. Tourné un an à peine après la sortie du roman, Ministry of Fear est le troisième film de propagande antinazi d’affilée tourné par Lang, après Chasse à l’homme et Les Bourreaux meurent aussi, déjà deux chef d’œuvre. Lang a souvent eu la dent dure contre cette adaptation du roman de Greene, estimant avoir été étouffé par le scénariste et producteur Seton J. Miller, qui refusait qu’on modifie une ligne de son script.

Pour le cinéaste, Ministry of Fear n’était ni un film personnel, ni même un bon film. Le moins qu’on puisse dire est qu’il a l’autocritique un peu sévère… Non seulement le film est brillant en terme de style, mais c’est aussi un film très langien, que ce soit pour son personnage principal, monsieur tout le monde confronté au regard inquisiteur de la société entière, ou à travers une multitude de petits motifs visuels ou thématiques qui semblent répondre à d’autres films de Lang.

A peine sorti d’un asile où il était enfermé depuis deux ans, notre héros, avide de se plonger de nouveau au cœur de la population, se dirige vers une fête foraine. Dès qu’il entre, un ballon rebondit vers lui… Comment ne pas penser au ballon de la fillette, au début de M le maudit : avec ce ballon, symbole de l’innocence perdue, l’homme a fait son entrée dans un monde de faux semblants et de menaces. Cette voyante qu’il consulte alors, stéréotype ambulant qui semble tout droit sortie de l’univers du Docteur Mabuse, représente un autre pas franchi vers le cauchemar qui se dessine peu à peu autour de lui…

Le film rappelle aussi à quel point les univers de Lang et Hitchcock ont été proches, à cette époque (c’est d’ailleurs à Hitchcock qu’on avait d’abord proposé le scénario de ce qui allait devenir Chasse à l’homme). Le personnage de cet homme plongé malgré lui dans une sombre affaire d’espionnage, ce pourrait être le Robert Donat des 39 Marches. Ce faux aveugle, que notre héros rencontre dans un train, pourrait lui aussi sortir d’un film de Hitchcock… Sans oublier l’incontournable macguffin, objet de toutes les convoitises dont on se fiche de savoir ce que c’est, dont Hitchcock a fait l’une de ses marques de fabrique, et qui trouve ici une forme particulièrement anodine : un gâteau…

Hitchcock et Lang ne sont cependant pas interchangeables, loin s’en faut. Il y a chez Hitch une légèreté, une ironie, qui se transforment chez Lang en inquiétude plus marquée. L’ironie est là, aussi, mais plus sombre, plus cynique aussi. Le personnage interprété par le grand Ray Milland est à la fois un faux coupable et un homme sans histoire plongé au cœur d’un mystère (thèmes chers à Hitchcock), mais c’est surtout un héros profondément Langien : un homme marqué par son passé, à la fois avide de renouer avec le genre humain, dont il a été privé pendant deux ans, et conscient qu’il doit se méfier de tous. Comme tant d’autres héros de Lang, à commencer par Spencer Tracy dans Furie.

L’histoire en elle-même ressemble à bien d’autres films de propagandes de cette époque : notre  héros va mettre à jour l’existence d’un réseau d’espions au cœur de Londres. La principale force du film repose sur le style visuel de Lang, éblouissant : il fait de son film antinazi une pure gourmandise de cinéma, un film de genre bourré de rebondissements et sublimement filmé. Lang joue avec les ombres, avec l’obscurité, la brume… Moins on en voit, et plus c’est spectaculaire.

Il joue aussi sur la possible schyzophrénie de son héros, tout juste sorti d’un asile de repos et dont le premier acte d’homme libre est d’aller se mêler aux enfants d’un parc d’attraction, avant de raconter une histoire incroyable aux forces de l’ordre. Ce héros, que l’on confond avec un authentique espion, évoque avant l’heure le Robert Townsend qu’interprétera Cary Grant quinze ans plus tard dans La Mort aux trousses… d’Hitchcock, bien sûr.

Le Diabolique Docteur Mabuse (Die 1000 Augen des Dr. Mabuse) – de Fritz Lang – 1960

Posté : 5 mai, 2011 @ 9:35 dans * Polars européens, 1960-1969, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Le Diabolique Docteur Mabuse

Fritz Lang boucle la boucle en renouant avec sa personnification préférée du Mal : le docteur Mabuse, qui lui a inspiré deux chef d’œuvre absolus, l’un muet (Docteur Mabuse le joueur, en 1922), l’autre parlant (Le Testament du Docteur Mabuse, son ultime film allemand avant son départ précipité, en 1933). Près de trente ans plus tard, et après une série incroyable de grands films, Lang est revenu en Europe, et signe ce qui sera son ultime film.

Renouer avec Mabuse n’est pas un hasard : derrière l’influence « serial » de ces films, Lang a fait de cette série une métaphore gonflée et ouvertement politique des troubles de son époque. En 1922, c’était la misère et la violence de la République de Weimar ; en 1933, c’était évidemment la menace nazie… En 1960, l’Allemagne se reconstruit, certes, et la menace n’est plus aussi évidente, mais le pays est coupé en deux, et les tensions s’accentuent. Pourtant, la métaphore est moins évidente ici que dans les deux précédents films : Lang semble plutôt faire un retour sur sa propre œuvre.

Le premier crime du film (un homme est tué au volant de sa voiture par le passager d’une autre voiture) est d’ailleurs un copié-collé très fidèle d’une scène fameuse. Et Le Diabolique Docteur Mabuse est en quelque sorte un remake du Testament…, même si cette fois le vrai Mabuse est évidemment mort et enterré, et que le cadre est différents. Le personnage du policier, interprété ici par Curt Jurgens, ressemble ainsi étrangement à Lohmann, le commissaire joué par Otto Wernicke dans Le Testament… (et dans M le maudit). Toute ressemblance…

On retrouve aussi les codes du grand cinéma populaire d’autrefois, avec ce grand hôtel mystérieux autour duquel toutes les victimes du nouveau Mabuse semblent évoluer, et où chacun a quelque chose à cacher. Il y a cette jeune femme suicidaire (Dawn Addams, découverte dans Un Roi à New York), que sauve in extremis un richissime homme d’affaires, et que poursuit son mari tyrannique. Il y a cet assureur, trop jovial pour être tout à fait honnête. Il y a ce voyant aveugle qui évoque lui aussi d’autres personnages des précédents films. Il y a aussi quantité d’autres personnages dans cet hôtel qui n’est rien d’autres que le château hanté des vieux films à mystère.

Le film n’est pas aussi réussi que les deux précédents, certes. Esthétiquement, Lang n’est pas tout à fait aussi inspiré. Mais le cinéaste nous livre un film testament qui résume parfaitement son cinéma : à la fois populaire et d’une grande intelligence.

Le Testament du Docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse) – de Fritz Lang – 1933

Posté : 6 avril, 2011 @ 6:01 dans * Polars européens, 1930-1939, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Le Testament du Dr Mabuse

Dix ans après Le Docteur Mabuse, chef d’œuvre du muet, Lang signe une première « suite » qui n’en est pas vraiment une, même si on retrouve bel et bien le personnage maléfique du premier opus, toujours interprété par Rudolf Kleine-Rogge, qui n’apparaît cependant que dans quelques courtes scènes. Pour Lang, Mabuse représente surtout l’essence même du mal qui ronge la société. Dans le premier film, le personnage était une manière pour le cinéaste de donner une forme humaine à la crise économique (entre autre) qui rongeait l’Allemagne de l’après Grande-Guerre. Ici, Mabuse est de retour pour symboliser un mal plus insidieux encore, un Mal absolu, que ne vient même pas justifier l’appât du gain ou du pouvoir : c’est le mal pour le mal que Lang met en scène dans ce qui sera son dernier film allemand avant son exil américain (via la France). Et ce qu’il représente n’est pas difficile à deviner : nous sommes en 1933, l’année où Hitler prend le pouvoir…

Film politique ? Evidemment, et d’une force inouïe. Pourtant, le contexte historique de l’Allemagne n’est jamais abordé frontalement : tout passe par le langage du « serial », que le cinéaste porte à un niveau exceptionnel. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de ce chef d’œuvre, et aussi son côté intemporel et indémodable : la charge politique n’est portée que par sous-entendus, par des voies détournées et des dialogues à double-tranchants. Jamais directement. Le Testament… se regarde aussi comme un pur spectacle de divertissement. Et là aussi, la réussite est absolue.

Même si le côté « serial » est un peu tempéré par rapport au premier film, qui profitait de sa durée (plus de 4 heures) pour multiplier à l’envi les scènes à suspenses, les rebondissements ne manquent pas ici : ni les meurtres, ni les situations désespérées desquelles les héros doivent se sortir malgré tout, ni le méchant insaisissable, ni les guet-apens machiavéliques… Du pur cinéma de genre, mais filmé par un pur génie.

Dès la scène d’ouverture, le génie de Lang est éclatant : une pure scène de suspense, sans le moindre dialogue (qui permet de faire le lien avec le premier film, muet), dans une cave inquiétante, avec un homme dont on ne sait encore rien, mais qu’on comprend être littéralement dans la gueule du loup. Il ne faut que quelques secondes à Lang pour nous prendre aux tripes, et nous plonger au cœur d’un nouveau gang de malfaiteurs.

Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Qui les dirigent ? Quel lien ont-ils avec le docteur Mabuse, enfermé en hôpital psychiatrique (et dans sa bulle) depuis dix ans, mais qui semble dicter leurs agissements à distance ? C’est ce que tentent de découvrir une poignée de personnages passionnants : le super flic Lohmann, déjà vu dans M le maudit du même Lang, l’ex flic Fofmeister devenu fou de terreur, et le petit truand Thomas Kent, le lien le plus tangible avec le contexte historique de l’Allemagne : c’est parce qu’il est victime de la crise économique qu’il a rejoint les rangs du gang, comme de nombreux Allemands se sont laissés séduire par le parti nazi. Mais les méthodes expéditives du mystérieux leader le mettent face à ses principes et sa conscience d’être humain.

Comme Lang, sans doute, qui quittera le pays sitôt le film terminé. Un film qui restera invisible jusque dans les années 50, allez savoir pourquoi…

Docteur Mabuse, le joueur (Dr. Mabuse der Spieler) – de Fritz Lang – 1922

Posté : 12 janvier, 2011 @ 1:42 dans * Films de gangsters, * Polars européens, 1920-1929, FILMS MUETS, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Docteur Mabuse le joueur

Il y a un petit côté Feuillade, période Les Vampires ou Fantômas, dans ce film fleuve de plus de quatre heures et demi. Ben oui, c’est long, mais arrivé à la fin, on en redemande. Bourré de rebondissements comme dans tout bon serial, découpé en chapitres, Docteur Mabuse est un vrai feuilleton populaire, mais aussi un film d’une richesse et d’une beauté formelle immenses.

Le fameux docteur Mabuse est une figure typique du cinéma langien : une pure incarnation du Mal, qui ne s’intègre dans la société que pour mieux en détourner les règles à son propre profit. Dans ce domaine, Mabuse est un maître. Et Lang a une inspiration totale pour mettre en images ses machinations. Le film commence très fort, avec une énorme arnaque à la Bourse que Lang, par la grâce d’images sublimes et d’un montage virtuose, parvient à rendre aussi passionnante et fluide qu’une simple poursuite.

C’est une entrée en matière géniale, qui laisse penser que le film sera une succession d’arnaques sans rapport les unes avec les autres. Mais ce n’est pas le cas. Après ce prologue flamboyant, qui a pour objectif de présenter son génie du crime et la manière dont il s’inscrit dans son époque (le début de la république de Weimar), Lang lance vraiment son histoire, faite de multiples intrigues dont il tire un à un chacun des fils.

Feuilletonnant et rocambolesque, Docteur Mabuse est aussi passionnant parce qu’il plonge au cœur du Berlin de l’entre-deux guerres, que Lang filme avec toute la beauté de son style expressionniste. L’histoire est parfois un peu énorme, et franchement, on a un peu de mal à croire en cette vision très cartoonesque de l’hypnose, mais qu’importe, on prend un plaisir fou à suivre les machinations diaboliques du Docteur, et l’enquête du « super flic » Von Wenk.

Qu’importe aussi le charme très discutable des deux personnages féminins principaux (la comtesse Told et la danseuse Carozza), Lang réunit un casting masculin parfait et inoubliable. Dans le rôle de Mabuse, Rudolf Klein-Rogge (qui retrouvera son rôle pour la suite onze ans plus tard), acteur fétiche de Lang jusqu’à son départ d’Allemagne en 1933, a un charisme fou et vampe littéralement la caméra. Face à lui, Bernhard Goetzke est parfait, tout en sobriété, en super flic.

Les seconds rôles sont également frappants, en particulier Alfred Abel (qu’on avait vu dans Les Finances du Grand-Duc de Murnau), génial en victime désigné : le comte Told, que Mabuse hypnotise et oblige à tricher aux cartes, détruisant ainsi sa réputation, et le poussant à une déchéance totale et au suicide, pour « voler » sa femme.

Le film est parfois cruel, souvent palpitant (le suspense fonctionne parfaitement), et toujours passionnant. En quatre heures et demi, Lang réussit à garder le cap et la tension, sans le moindre flottement.

Règlement de comptes (The Big Heat) – de Fritz Lang – 1953

Posté : 23 décembre, 2010 @ 12:29 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Réglement de comptes

Simple, frontal, violent… Ce polar signé Fritz Lang n’est pas seulement un chef d’œuvre, c’est aussi la matrice de nombreux films policiers, plus ou moins réussis, que l’on verra au cours des années 60 et 70 (on pense à Police sur la ville de Don Siegel, notamment). Avec quinze ans d’avance, Lang rompt avec la tradition du « film noir », et signe une œuvre réaliste, ancrée dans la réalité, et d’une violence parfois inouïe.

Au cœur du film, Glenn Ford (un choix formidable, qui ne tire pas son personnage vers l’image de héros infaillible qu’un Cary Grant ou un Gary Cooper lui aurait sans doute donnée) est un petit flic comme tant d’autres, qui ne parvient plus à cacher son ras-le-bol devant la corruption omniprésente dans sa ville, et qui refuse de jouer le rôle qu’on attend de lui. Il s’attaque au « parrain » qui domine la ville (y compris la police), et paiera le prix fort de cette honnêteté. Sa vie de famille parfaite n’y survivra pas.

Les personnages féminins n’ont pas le beau rôle dans cette ville pourrie jusqu’à la moelle. L’épouse douce, aimante et innocente en sera la victime, tout comme Debby (Gloria Grahame, absolument formidable), petite amie du bras droit du « parrain », qui oublie la pourriture ambiante en se plongeant dans l’alcool. La douleur et l’inflexibilité de Bannion, le personnage de Ford, sont très marquants, mais c’est bien le personnage tragique de Debby qui se révèle le plus fort, et le plus complexe. Présentée comme une fille légère, elle devient une victime lorsque son boyfriend (Lee Marvin, aussi ignoble que le Richard Widmark du Carrefour de la mort) la défigure en lui jetant du café bouillant au visage. Victime d’abord passive, puis vengeresse, qui devient le véritable moteur du film.

Lang a souvent filmé des personnages féminins très forts (de La Femme sur la lune à L’Ange des maudits, en passant par La Femme au portrait), mais jamais aussi complexes et tragiques que celui de Gloria Grahame.

Furie (Fury) – de Fritz Lang – 1936

Posté : 3 septembre, 2010 @ 1:04 dans 1930-1939, LANG Fritz, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

Furie (Fury) - de Fritz Lang - 1936 dans 1930-1939 furie-lang

Premier film américain de Fritz Lang, Furie est un film immense, probablement celui qui décrit le mieux le comportement inhumain d’une foule, comment des hommes et des femmes, aussi bons soient-ils individuellement, peuvent s’influencer les uns les autres et devenir de véritables bêtes sauvages. Lang plonge au cœur de la population, au cœur de la foule, pour ne rien perdre de ce processus, mais il le fait sans appuyer le trait, sans jamais s’appesantir. D’ailleurs, en à peine plus de 90 minutes, le cinéaste a le temps de faire non pas un, mais deux films, autour de cette histoire d’un homme arrêté par erreur, et que la population d’un petit village tentera de lyncher parce qu’elle le prend pour le kidnappeur qui terrorise la région.

Le premier de ces « films » décrit le mécanisme implacable de la foule, et Lang utilise tous les outils du ciné-reportage (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on voit des caméras filmer le lynchage), avec une alternance de gros plans et de plans larges, de plongées et contre-plongées, et un montage sec et nerveux, qui mettent littéralement le spectateur au cœur de l’action, au milieu de cette foule qui avance. Le « second film » s’intéresse aux conséquence, terribles, du lynchage, et emprunte au « film de procès », sous-genre qui a toujours été très populaire en Amérique, et que Lang utilise ici pour poser le débat . Les deux parties du film, radicalement différentes dans leur ton, s’équilibrent parfaitement : Lang décrit, sans concession, et sans atténuer ni la gravité des faits, ni l’horreur du comportement de ces citoyens au-dessus de tout soupçon ; mais il se garde bien de tout jugement, et c’est bien ce qui rend le film aussi passionnant, et aussi dérangeant.

Dérangeante aussi : la prestation de Spencer Tracy, dont la métamorphose est impressionnante. Du Mr. Nice Guy qui montre le bon exemple à ses frères, et choisit de travailler d’arrache-pied loin de sa fiancée durant de longs mois pour pouvoir fonder un foyer, à l’inquiétant bloc de haine qui le pousse à la plus terrible des vengeances, le fossé est incroyablement large, et l’interprétation de Tracy d’une grande force. Peut-être Victor Fleming a-t-il pensé à la métamorphose de l’acteur dans Furie, lorsqu’il a pensé à lui pour interpréter Docteur Jeckyll et Mister Hyde, cinq ans plus tard…

Parfait contrepoint de la haine trimballée par Tracy, la douce Sylvia Sidney, muse incontournable de Lang pour ses débuts hollywoodiens (le cinéaste la dirigera de nouveau dans J’ai le droit de vivre en 1937, et dans le méconnu Casier judiciaire, en 1938), incarne la raison et l’empathie. C’est elle qui pose la vraie question soulevée par le film : peut-on juger individuellement les membres d’une foule ? Ne comptez pas sur Lang pour donner une réponse tranchée à cette question. Les responsables du lynchage regrettent-ils leur geste ? Peut-être, mais ces regrets ne deviennent évidents que lorsqu’ils découvrent qu’eux-mêmes encourent la plus lourde des peines…

Lang réussit là des débuts éclatants à Hollywood, et montre dès ce premier film ses ambitions, énormes. Il filme comme peu de cinéastes avant lui (on peut citer le Eisenstein du Cuirassé Potemkine, et surtout de La Grève, sans doute une référence pour Lang), l’âme de la foule : non pas comme une masse informe, mais comme une accumulation de visages déformés par la colère et la soif de sang. Ces visages restent longtemps en mémoire, notamment ce petit plan furtif montrant une mère, son enfant dans les bras, les yeux écarquillés et le sourire sadique, attendant avec envie de voir le pauvre Spencer Tracy brûler dans sa cellule…

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