Alice (id.) – de Woody Allen – 1990
Après le magnifique Crimes et délits, Woody Allen confirme qu’il est dans une période créatrice exceptionnelle. Il offre à Mia Farrow, sa muse depuis dix ans, l’un de ses plus beaux rôles, l’antépénultième sous sa direction. Une femme qui a abandonné ses rêves de jeunesse pour épouser un homme riche et séduisant qui la garde comme on garde un trophée, la protégeant et la coupant de tout.
Alice est à la fois la sœur jumelle et le double inversé de l’héroïne de Blue Jasmine. L’épouse d’un homme riche qui mène une vie oisive et vaine. Un personnage purement allenien : son œuvre est peuplée de cette classe supérieure aux apparences impeccables, mais aux affres insupportables. Mais celle-ci aspire à autre chose, quelque chose de plus profond, de plus authentique.
Comme souvent chez Allen, son film est basé sur une idée forte et originale : la rencontre d’Alice avec un médecin chinois qui lui prescrit des herbes (« très légères, très naturelles ») aux effets pour le moins étranges : des herbes qui transforment cette grande timide en une allumeuse sans limite ; des herbes qui la rendent invisibles et lui permettent d’écouter ce que ses proches disent d’elles, fantasme éternel et dangereux ; des herbes qui poussent ceux qui les boivent à tomber amoureux d’elle ; ou encore des herbes qui font venir le fantôme de celui qu’elle aima avant de se marier.
Dans le rôle de l’amant disparu, apparition fantômatique, Alec Baldwin est particulièrement touchant. En quelques scènes seulement, il nous offre l’image de ce qu’Alice cache derrière ses apparences d’épouse discrète et dévouée : une passionnée refoulée, qui se ment à elle-même depuis vingt ans.
Alice est un film profondément original. Il aborde pourtant des thèmes que l’on retrouve dans la plupart des films de Woody Allen : la difficulté de former un couple, ou de vivre ensemble, et le besoin d’être en accord avec ce que l’on est au fond de soi.
Personnage magnifique parce qu’on la voit se révéler peu à peu à elle-même, Alice est en quelque sorte la synthèse de tout ce que Mia Farrow a joué jusqu’à présent sous la direction de Woody Allen. Avec ce film, le cinéaste ne nous offre pas seulement une belle leçon de cinéma. Il nous fait cadeau d’une magnifique leçon de vie.