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Archive pour la catégorie 'Palmes d’Or'

Une affaire de famille (Manbiki kazoku) – de Hirokazu Kore-eda – 2018

Posté : 11 janvier, 2019 @ 8:00 dans 2010-2019, KORE-EDA Hirokazu, Palmes d'Or | Pas de commentaires »

Une affaire de famille

Une famille pauvre de Tokyo : le père, la mère, le fils, la grand-mère, la belle-sœur. Tous vivent ensemble dans une vieille cahute perdue au cœur d’un quartier d’immeubles modernes, des petits vols commis par le père et son fils ensemble. Un jour, ce joyeux équilibre est bousculé par la découverte d’une fillette couverte de bleues, laissée dans le froid de l’hiver par des parents visiblement peu aimants. Alors ils décident de la garder avec eux.

Et ce moment précis est celui où tout bascule. Ce plan simple et beau où la « mère » s’abaisse avec la fillette dans ses bras, geste d’amour qui signifie que non, ils ne remettront pas l’enfant à des parents légitimes mais indignes, ce plan transforme en une poignée de secondes bouleversantes le film aimablement social qui s’annonçait en un sublime mélodrame, dans ce que ce terme a de plus pur et de plus délicat aussi.

C’est aussi à cet instant où les vérités que l’on croyait bien établies commencent à s’effriter. « Ce n’est pas un enlèvement, puisqu’on ne réclame pas de rançon », résume la maman. C’est donc une adoption presque en bonne et due forme, un membre qui vient s’ajouter naturellement à la famille. Une famille qui, de fait, ne s’est construite que comme ça.

Kore-eda, cinéaste que (honte sur moi) je découvre avec ce film qui lui a valu la Palme d’Or, réinvente la notion de « famille de cœur ». On ne choisit pas sa famille ? On sort du film en se demandant pourquoi on continue à vivre avec cette idée. Cette famille inventée de toutes pièces, quasi-fantasmées, est-elle vraiment illégitime ? On aurait tellement envie d’affirmer que non, on voudrait tellement un happy end dont on sait qu’il est impossible. Et pourtant…

Il y a dans Une affaire de famille la douceur des souvenirs d’enfance, d’un paradis perdu. Est-ce la notion officielle de la famille que Kore-eda transgresse ici ? Ou plus largement les cadres trop contraignants de la société ? Cette famille composée qui vit dans une vieille maison traditionnelle, véritable capharnaüm où tous semblent montés les uns sur les autres, n’est-ce pas plutôt un havre de paix et d’amour, dernier vestige d’une société humaine entourée de toutes parts par une modernité qui est là, physiquement et matériellement, à portée de regards ?

C’est un thème qui irrigue le cinéma japonais depuis toujours : Ozu en avait déjà fait l’un des fils conducteurs de ses films. Kore-eda s’inscrit dans cette tradition. Loin des cinéastes en colère qui dénoncent, lui pose un regard plein d’une tendresse teintée d’amertume sur des personnages imparfaits mais dont les choix leur ont permis de trouver un bonheur intense, parfait et fragile. Sur le fil. Magnifique.

On peut dire des tas de chose sur Une affaire de famille. Mais le plus juste est peut-être aussi le plus simple : Une affaire de famille est un beau film. Vraiment beau.

Un homme et une femme – de Claude Lelouch – 1966

Posté : 23 décembre, 2018 @ 8:00 dans 1960-1969, LELOUCH Claude, Palmes d'Or | Pas de commentaires »

Un homme et une femme

Deauville, le rallye de Monte Carlo, Trintignant qui roule sous la pluie, Chabada (qui ne se chante pas Chabada d’ailleurs), le noir et blanc et la couleur, la voix de Pierre Barouh, le visage d’Anouk Aimé, ce visage si beau et si pur dont Lelouch ne cache pas les imperfections, et qui n’a pourtant sans doute jamais été aussi bien filmé…

Un homme et une femme est le plus beau film de Lelouch ? Voilà qui pourrait même mettre d’accord ceux qui ne supportent pas le romantisme exacerbé, les grands mouvements d’appareils, la grandiloquence diront certains, d’un cinéaste pourtant total. Son amour des acteurs, son sens du récit et du rythme, l’utilisation qu’il fait du montage et de la musique… Tout est cinéma dans le cinéma de Lelouch, parce que tout est passionné.

Ce n’est pas son premier film, mais c’est pourtant là que tout a vraiment commencé : là qu’il a trouvé son style, sur les planches de Deauville, auxquelles il reste intimement lié plus de cinquante ans plus tard, et qu’il filme comme personne. Magnifique image que cet homme et ce chien, tous deux abîmés, dont on observe les silhouettes en ombres chinoises claudiquant sur les planches au soleil couchant.

Ce sont deux êtres abîmés par la vie, comme cet homme et cette femme qui se trouvent et se découvrent entre Deauville et Paris, sur la route, sous la pluie. Une histoire simple, comme celles qui ont fait les plus beaux films de Lelouch : un homme, une femme, l’amour, la vie. Rien de plus, ou si peu. Tout est beau dans ce film, parce que Lelouch sait capter ces petits quelques choses qui donnent de la vie. Même les longues séquences automobiles sont prenantes, pour quelqu’un comme moi que la mécanique ennuie.

Lelouch emprunte à la Nouvelle Vague cette manière de déconstruire le récit, de casser les cadres, de filmer les personnages au plus près. Mais c’est bien un style très personnel qu’il met en place, avec une liberté totale et totalement maîtrisée, une manière envoûtante de passer de la couleur au noir et blanc, ou au sépia, et une superbe utilisation de la voix off.

Trintignant qui se demande ce qu’il doit faire en arrivant à Paris où il veut rejoindre celle qui lui a déclaré son amour par télégramme est un moment absolument magique à vous coller des frissons. L’étreinte de cet homme et de cette femme sera euphorisante. Et le regard d’Anouk Aimé soudain voilé par le souvenir de son mari disparu, déchirant. De grandes émotions, pures et intenses. Palme d’Or et Oscar du meilleur film étranger, Un homme et une femme est magnifique.

Conversation secrète (The Conversation) – de Francis Ford Coppola – 1974

Posté : 20 juin, 2017 @ 8:00 dans * Espionnage, 1970-1979, COPPOLA Francis Ford, FORD Harrison, Palmes d'Or | Pas de commentaires »

Conversation secrète

Entre deux Parrains ici et ici (et deux Oscars du meilleur film), Coppola change radicalement de style (et décroche une Palme d’or). Au lyrisme sublime de ses films sur la mafia (ou, plus tard, de son grand œuvre sur la guerre du VietNam, Apocalypse Now), le cinéaste oppose cette fois un minimalisme qui a souvent fait dire que Conversation secrète était un film plus personnel dans sa carrière.

C’est sans doute faux, mais le fait est que la réussite de ce film apporte une autre dimension à la filmographie de Coppola, qui n’est donc pas que le cinéaste de l’emphase et de la surenchère. Cela dit, c’est bien le triomphe (critique et populaire) du Parrain qui a permis à Coppola de mettre en images ce scénario qu’il avait écrit plusieurs années auparavant.

Dès la scène d’ouverture, ont sent que le réalisateur, également producteur, est dépouillé de toute contrainte. Cela commence donc par une séquence aussi énigmatique que virtuose, qui reviendra tout au long du film, un peu sur le modèle de Blow Up (ou plus tard de Blow Out) : divers objectifs et micros sont braqués sur une place bondée et tentent d’accrocher la conversation qui se noue entre un homme et une femme, tandis qu’un troisième larron les observe sans en avoir l’air.

On est alors en pleine crise du Watergate (même si le film a été écrit avant), et l’Amérique renoue avec la paranoïa post-Dallas. Conversation secrète donne corps à cette politique de l’intrusion et des écoutes illégales, avec une intrigue complexe entièrement basée sur la paranoïa, où la violence n’est jamais plein écran, mais où le danger semble pouvoir sortir de n’importe quel visage avenant. Le (petit) rôle du tout jeune Harrison Ford est en cela très marquant : sa seule présence, même s’il ne fait pas grand-chose pour cela, fait naître un profond malaise.

Le film démystifie aussi cette paranoïa, cette image d’une puissance cachée omniprésente et toute puissante. Car la « main armée » des écoutes, incarnée par un Gene Hackman formidable, est lui-même la première victime de ces intrusions dans la sphère privée. Un homme dont la vie tourne entièrement autour de celles des autres, de personnes qu’il ne connaît qu’à travers des écrans, et qui s’enferme de plus en plus dans une solitude pathétique.

Taxi Driver (id.) – de Martin Scorsese – 1976

Posté : 17 septembre, 2016 @ 8:00 dans 1970-1979, DE NIRO Robert, Palmes d'Or, SCORSESE Martin | Pas de commentaires »

Taxi Driver

« You’re talking to me ? » De Niro mimant un dialogue devant son miroir… Cette scène n’est pas juste la plus célèbre de Taxi Driver, l’une de celles que les cinéphiles se répètent en boucle depuis quarante ans. Elle illustre parfaitement le destin de Travis Bickle, vétéran du VietNam incapable de trouver sa place dans la société, paumé confronté à la solitude qui s’invente une destinée hors du commun.

Jamais peut-être un film n’a aussi bien souligné la solitude d’un homme dans la ville. New York, bien sûr, filmée comme une étuve nocturne où se croisent tout ce que l’humanité fait de plus tordu, dépravé, minable. Des pervers, des proxénètes (Harvey Keitel), des putes de 12 ans (Jodie Foster) des maris qui ne pensent qu’à tuer leur femme (Scorsese lui-même, visiblement sous l’influence d’une substance non autorisée dans une apparition hallucinante)… et Travis / De Niro en témoin écœuré de cette meute déshumanisée.

Il est formidable, De Niro, d’une sobriété qui paraît aujourd’hui bien étonnante. Intense et superbe anti-héros, jeune homme abîmé par son époque, sans repère ni horizon. Un homme capable de belles déclarations romantiques, mais qui emmène l’élue de son cœur (Cybil Sheperd) dans un cinéma porno. Parce que c’est là le seul univers qu’il connaisse vraiment. Un homme dont la folie grandissante et un coup du sort fera de lui un authentique héros à l’Américaine. Pas réintégré dans la société, mais enfin en paix, malgré tout.

Plus que le fil conducteur (la « mission » de Travis), c’est la déambulation sans fin de De Niro qui fascine, la caméra de Scorsese transformant les rencontres nocturnes de son chauffeur de taxi en trip glauque et halluciné dans une ville rongée par le vice, la misère et la solitude. Un chef d’oeuvre transcendé par Scorsese, mais qui vient pourtant d’un autre talent : celui du scénariste Paul Schrader, qui a tiré cette « histoire » de ces propres années de galère et de solitude dans une New York cruelle pour les solitaires.

C’est aussi la dernière musique originale de Bernard Herrmann, mort fin 1975 avant la sortie du film. Le compositeur attitré avait commencé sa carrière 35 ans plus tôt en signant le score de Citizen Kane. Avec Taxi Driver, il clôt de la plus belle des manières son impressionnante filmographie, avec une musique jazzy portée par des sax fascinants.

Othello (The Tragedy of Othello : the Moor of Venice) – d’Orson Welles – 1952

Posté : 30 décembre, 2014 @ 5:53 dans 1950-1959, Palmes d'Or, WELLES Orson | Pas de commentaires »

Othello

Après le magnifique Macbeth, Welles enchaîne avec une autre adaptation shakespearienne. Et dès les premières images, mélange de gros plans, de cadres désaxés, de jeux d’ombre, de plongées et de contre-plongées… son ambition apparaît, éclatante : du théâtre du grand William, le grand Orson veut faire du cinéma total.

L’histoire, on la connaît : à Venise, l’officier maure Othello épouse la belle Desdémone. Mais son bras droit, envieux et plein de haine, a juré la perte de son maître. Fourbe et manipulateur, il fait tout pour instiller le doute sur la fidélité de Desdémone, et mener Othello à sa perte.

Comme pour Macbeth, Welles prend des libertés avec le texte originel. Pourtant, il en respecte absolument l’esprit, et la richesse du langage, qui se transforme devant sa caméra en une sorte de musique tantôt séduisante, tantôt dramatique, qui donne le rythme à cette histoire intemporelle et édifiante. Car même si la reconstitution historique est précise eot convaincante (et bénéficie visiblement de moyens un peu plus importants que pour Macbeth), c’est les ressors les plus sombres de l’esprit humain qui intéresse une nouvelle fois Welles.

Parfaitement machiavélique, Iago (parfait Micheal Mac Liammoir, comédien de théâtre, écrivain, poète, et acteur de cinéma occasionnel) est un « démon », un « mauvais esprit » qui révèle ce qu’il y a de pire en Othello, héros au coeur pur et mari aimant qui se laisse happer par le « côté obscur » : la jalousie, dévorante, la haine, furieuse et sans retour. Face à Welles, immense, la douce Suzanne Cloutier est un contrepoint parfait. Sans grande envergure, peut-être, mais son innocence et la pureté de ses traits souligne d’une manière absolument terrible l’inéluctable destin commun des amants maudits.

Palme d’or à Cannes en 1952, ce Welles-là est une expérience cinématographique rare…

• A retrouver dans le beau coffret DVD consacré au diptyque Macbeth/Othello par Welles, avec la version restaurée du film, et de nombreux bonus passionnants, inédits ou rares, comme ce court métrage réalisé par Hilton Edwards en 1951, Return to Glennascaul : Orson Welles y apparaît, alors qu’il était en plein tournage d’Othello. A ne pas manquer non plus : un passionnant documentaire sur « Shakespeare et Orson Welles », et l’analyse du film par Joseph McBride, grand historien du cinéma.

Le Troisième Homme (The Third Man) – de Carol Reed – 1949

Posté : 17 novembre, 2014 @ 5:18 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, Palmes d'Or, REED Carol, WELLES Orson | Pas de commentaires »

Le Troisième Homme

Immense film noir, et témoignage hallucinant d’une espèce d’entre-deux grotesque et inquiétant, Le Troisième Homme n’a rien perdu de son pouvoir hypnotique. La beauté des images, le noir et blanc granuleux et contrasté, les ombres et les contre-plongées spectaculaires… Que le film ait été entièrement dirigé par Carol Reed ou qu’Orson Welles y ait participé comme on l’a beaucoup dit importe peu : le film est un chef d’œuvre unique qui doit sans doute à l’alchimie miraculeuse des immenses talents réunis.

Celui de Graham Greene, d’abord, dont l’univers littéraire trouve un prolongement parfait dans ce film, le seul pour lequel il a écrit un scénario original (le roman du même nom sera écrit après la sortie du film). Ceux qui connaissent et aiment l’œuvre de Greene (j’en suis) y retrouvent cette atmosphère si particulière, à la fois envoûtante et pleine de danger, où le romanesque se heurte à une réalité complexe et aux bouleversements du monde.

Son cadre est le sujet du film : ce centre international de la Vienne de l’immédiat après-guerre, lieu de privations et de trafics en tous genres où les forces armées des différents pays alliés doivent apprendre à cohabiter, et où les individus les plus décomplexés prospèrent. Une zone de non droit qui évoque le Far West des pionniers. Sans doute pas un hasard si le “héros”, Américain à la recherche d’un nouveau départ, est un auteur de westerns…

L’angoisse naît de l’incompréhension de ce microcosme. Joseph Cotten, étranger transformé en détective dans un milieu qu’il ne connaît et ne comprend pas, plonge de plus en plus profondément  au cœur de cette terre sacrifiée par la guerre, dans une obscurité de plus en plus marquée qui souligne la noirceur des âmes qu’il découvre au fur et à mesure qu’il perd ses illusions de jeunesse.

Alors que ses dernières illusions disparaissent à jamais, les fantômes de sa jeunesse perdue réapparaissent… C’est Orson Welles, dans le rôle mythique de Harry Lime. Tout un symbole, omniprésent dans le film alors qu’il n’apparaît réellement qu’au bout d’une heure. Un monstre absolu, pur produit de la guerre, qui procure un malaise de plus en plus profond. Car il est séduisant, ce monstre. Comme l’est la musique d’Anton Karas, envoûtante et légère, et tellement décalée qu’elle en devient oppressante.

Et les sublimes images nocturnes de ces rues en apparence pleine de charmes ne font que souligner l’horreur de ce qui s’y cache. Le cynisme absolu, le destin des enfants victimes, dont la fugitive vision de doudous abandonnés suffit à faire ressentir l’ampleur de la tragédie.

On n’est pas prêt d’oublier la première apparition de Welles, visage d’ange et cœur de pierre. Ou cette mythique poursuite dans les égouts, chasse à l’homme toute en ombres et en obscurité, qui confirme qu’il n’y a pas de héros qui naissent d’une guerre, et que la frontière entre le bien et le mal est bien difficile à situer lorsque l’ombre est mouvante (Clouzot ne disait pas autre chose dans Le Corbeau). Avec un style exceptionnel.

Rome, ville ouverte (Roma città aperta) – de Roberto Rossellini – 1945

Posté : 7 novembre, 2014 @ 2:08 dans 1940-1949, Palmes d'Or, ROSSELLINI Roberto | 1 commentaire »

Rome, ville ouverte

L’acte de naissance du Néoréalisme, le film qui a bouleversé le cinéma du monde entier (on voit bien ce que la Nouvelle Vague doit au chef d’œuvre de Rossellini), rompant avec les structures narratives et la manière de filmer… Soixante-dix ans après, Rome ville ouverte n’a rien perdu de son incroyable puissance.

A quoi le film la doit-il, cette puissance ? Au sentiment d’urgence, peut-être, qui se dégage de ces images tournées en décors réels et sans fards. Ou alors à ces multiples écueils dans le récit, qui donnent l’impression que le film réagit à la vie qui se déroule devant la caméra, plutôt qu’il n’illustre un scénario conventionnel. Peut-être encore à la frontalité avec laquelle Rossellini filme ses acteurs, accordant la même place à des débutants sans expérience qu’à des vedettes qui se révèlent ici sous un autre jour (Anna Magnani, sublime en femme du peuple révoltée).

Tourné deux mois seulement après la libération de Rome, le film est aussi un témoignage précieux, comme si Roberto Rossellini s’était dépêché de redonner vie à cette période dont les Romains sortaient et qu’ils n’aspiraient qu’à oublier. D’où, peut-être, l’accueil froid réservé au film à sa sortie…

Adoptant un style proche des actualités filmées, Rossellini semble filmer la vie qui s’écoule en temps de guerre, avec ses horreurs, ses peurs, le sentiment omniprésent d’oppression et d’aliénation. En restant constamment à hauteur d’hommes, il nous fait partager les doutes et les espoirs, mais nous plonge aussi au cœur de la haine et de la folie. Qu’est-ce qui est le plus terrible dans ce film ? Voir l’acceptation de sa propre mort à venir dans le regard du prêtre (magnifique Aldo Fabrizi), ou la haine pure, incompréhensible, dans celui de l’officier SS (troublant Harry Feist) ?

Le sentiment d’oppression est omniprésent. Sans montrer grand-chose de la guerre jusqu’à la dernière partie, Rome ville ouverte en fait ressentir toute l’horreur. Pourtant, malgré les morts, malgré l’immense sensation de gâchis humain, le film se révèle étrangement optimiste. Le vainqueur, c’est l’humanité : celle qui se transcende et survit malgré tout au fanatisme, celle des soldats eux-mêmes qui baissent les armes devant le prêtre… Face à la haine, les différences s’estompent, un communiste, un monarchiste et un homme d’église partagent les mêmes convictions profondes… Et une horde d’enfants annonce l’arrivée de jours meilleurs.

Rome ville ouverte est un film révolutionnaire. Mais c’est surtout un chef d’œuvre d’une beauté et d’une force incomparables.

Winter Sleep (Kiş Uykusu) – de Nuri Bilge Ceylan – 2014

Posté : 15 août, 2014 @ 3:20 dans 2010-2019, CEYLAN Nuri Bilge, Palmes d'Or | Pas de commentaires »

Winter Sleep

Loin de la déambulation presque irréelle de Il était une fois en Anatolie, son précédent long métrage (un chef d’œuvre), qui était à la limite parfois du burlesque, Nuri Bilge Ceylan revient avec une narration plus classique, plus ancrée dans la réalité, constamment palpable dans ce parcours intime d’un personnage à la recherche d’une impossible paix.

Aydin est un homme entre deux âges, entre deux vies. Un ancien comédien sexagénaire, qui s’est retiré avec sa très jeune épouse dans un hôtel coupé du monde, au cœur de l’Anatolie, qu’il a hérité de son père. C’est l’hiver, les touristes se font rares, disparaîtront bientôt pour de bon jusqu’au printemps, et l’isolement ressert inexorablement le microcosme de Aydin à quelques personnes : son épouse, sa sœur divorcée, son employé, des locataires mauvais payeurs, un ami fermier…

Dans les premières scènes, ce qui frappe d’abord, c’est le bien-être qui semble entourer ce personnage, qui s’est aménagé un havre de paix inattendu au-milieu d’un paysage grandiose et hostile : les vastes plaines d’Anatolie, balayées par les rigueurs de l’hiver. Contrastant spectaculairement avec ces paysages que l’on retrouve régulièrement comme des respirations dans le film (parfois comme de simples et sublimes jeux d’ombres, comme lors des visites nocturnes au cheval), l’hôtel troglodyte où se déroule l’essentiel du film est un intérieur feutré et douillet à la lumière chaleureuse (l’éclairage du film mérite tous les prix du monde), où il fait bon vivre, où Aydin s’adonne à une recherche constante de la beauté, et où le temps semble passer avec douceur et bienveillance.

D’ailleurs, on prend le temps dans cet hôtel où tout ne paraît être qu’harmonie : on prend le temps de parler avec des inconnus de passage, d’écouter ses proches, de s’asseoir autour d’une table et de partager le thé avec les visiteurs à n’importe quelle heure du jour ou du soir. Une atmosphère qui respire la quiétude, comme une bulle coupée du monde.

Mais peu à peu, et c’est là toute la beauté du film, Nuri Bilge Ceylan révèle les aspérités, les petits défauts, et les grandes fêlures. Cet ancien comédien retiré du monde cherche à se construire une vie sans contrainte, faisant abstraction de tous les problèmes du monde extérieur, qu’il délègue systématiquement à son employé. Comme une élégance de vie qu’il brandit avec fierté. Cette posture fonctionne-t-elle durant l’été, lorsque la vie grouille ? On ne le saura pas, mais lorsque l’hiver résume la société à un petit microcosme, la réalité des sentiments ne peut plus se cacher… Et cette élégance, bien sûr, ne peut être perçue que comme l’égoïsme d’un homme trop riche et trop insensible qui s’ignore.

Bientôt, on réalise que le vernis ne demande qu’à craquer. Et lorsqu’il craque, c’est avec une violence psychologique incroyable. La solitude et l’enfermement qui exacerbent les fêlures : le thème rappelle le Shining de Kubrick. On y retrouve cette force de l’isolement, que souligne la longueur du film (3h15), qui participe bel et bien à sa force : cette longueur a un sens, et rend palpable le poids de cet hiver pas particulièrement rigoureux, mais qui coupe du monde cette partie de la Turquie, loin d’un Istambul dont on parle souvent, sans jamais rien en voir.

Amoureux de son pays, Ceylan filme aussi mine de rien une Turquie mal connue, faite d’éléments contradictoires. Son film aborde ainsi la rencontre des générations (le couple que forme l’ancien comédien sexagénaire et sa très jeune femme), celle des nantis et des laissés pour compte, celle des croyants et des athées… Et la quasi-impossibilité pour tous ces êtres de se comprendre, d’autant que derrière sa façade affable, Aydin cache mal une haine viscérale pour tout ce qui représente la société et ses codes : l’imam, l’instituteur…

La cohabitation ne se fait finalement qu’au prix d’efforts constants et de faux-semblants, qui ne peuvent être qu’éphémères. Et lorsque les engueulades éclatent, elles sont définitives. Avec sa sœur, avec sa femme, ou avec l’instituteur, il se dit des choses extrêmement violentes, malgré une façade courtoise et bienveillante.

Si le film est aussi fort, c’est aussi parce que Nuri Bilge Ceylan se révèle, plus que dans aucun autre film peut-être, un formidable directeur d’acteur : les comédiens, jusqu’au dernier seconds rôles, sont tous formidables, avec une présence et une justesse rares. Leurs doutes, leurs colères renfermées, leurs désirs contrariés, sont l’essence même de ce film beau et radical, belle Palme d’Or au dernier festival de Cannes.

Barton Fink (id.) – de Joel et Ethan Coen – 1991

Posté : 27 juin, 2014 @ 4:33 dans 1990-1999, COEN Ethan, COEN Joel, Palmes d'Or | Pas de commentaires »

Barton Fink

Au sommet de leur art, les frères Coen raflaient tout à Cannes avec ce chef d’œuvre absurde et angoissant : Palme d’Or, prix de la mise en scène, prix du meilleur acteur… Un tel déluge de prix que Gilles Jacob décida par la suite d’interdire le cumul aux jurys. Mais il faut reconnaître que chacun des prix était plus que mérité : une véritable évidence, tant la folie des deux frangins touchait au génie avec ce film sur la folie, et les affres de la création.

Dans le rôle d’un auteur de théâtre intello de Broadway, qui accepte de « vendre son âme » à Hollywood, alter ego de ces grands romanciers qui se sont perdus dans l’univers des grands studios (et dans l’alcool) des années 40, John Turturro est proprement hallucinant. Les Coen interrogent sur la création et l’intégrité intellectuelle. Et ils le font en entremêlant l’angoisse la plus sourde et le grotesque le plus assumé, renforçant ainsi la confusion de cet auteur, perdu dans une sorte de no man’s land où les créateurs ne sont plus que des fantômes errants.

C’est le Hollywood de l’âge d’or bien sûr, mais c’est surtout l’esprit tourmenté de l’auteur : les décors quasi-déserts ne sont plus que des caricatures poussiéreuses et déshumanisés. Le groom (Steve Buscemi) sort curieusement du plancher, le voisin de chambre est une montagne mystérieuse (John Goodman, immense comme toujours), et Fink lui-même est forcé de plancher sur le scénario d’un film de catch avec Wallace Beery, forcé de suivre des indications auxquelles il ne comprend rien.

Les partis-pris esthétiques du film sont fascinants, Hollywood se limitant à cette terre perdue, quasi déserte, une chambre d’hôtel miteuse, un bungalow d’écrivain sans vie, et le bureau d’un producteur caricatural. On en rirait franchement si le malaise n’était aussi profond. Comment les Coen rendent-ils aussi oppressant un papier peint qui se décolle ? Comment font-ils pour flirter d’aussi près avec le ridicule, en restant toujours dans le mouvement : celui d’une lente et inexorables descente aux enfers, qui finit par se concrétiser à l’image. Un monument, ce film…

• Un blue ray dénué de toute fioriture a été édité chez Universal. Au menu, juste l’essentiel : le film.

Feux croisés (Crossfire) – d’Edward Dmytryk – 1947

Posté : 18 août, 2013 @ 4:29 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, DMYTRYK Edward, MITCHUM Robert, Palmes d'Or, RYAN Robert | Pas de commentaires »

Feux croisés (Crossfire) – d’Edward Dmytryk – 1947 dans * Films noirs (1935-1959) feux-croises

Ça commence comme un film noir très classique : dans une pièce plongée dans l’obscurité, des ombres se battent. On n’en voit quasiment rien, mais la violence de la scène est perceptible. Finalement, deux hommes portant uniforme laissent derrière eux un civil sans vie… Puis l’entrée en scène d’un flic revenu de tout, joué par l’excellent Robert Young, très « Maigret-esque », qui va tenter de reconstituer les dernières heures de la victime, un brave type qui a croisé la route de trois soldats fraîchement démobilisés dans un bar.

L’affiche elle-même constitue une sorte de sommet du film noir de l’époque : les trois Robert Mitchum, Ryan et Young réunis dans un même film… il y a de quoi faire saliver tous les amateurs du genre. Mais très rapidement, le film s’éloigne de l’intrigue pure. L’identité du coupable est révélée, et ce n’est pas une surprise : c’est Robert Ryan, habitué aux rôles de grands malades et de désaxés, qui interprète ici un vétéran débordant de haine contre les juifs.

Dmytryk, qui sera quelques mois après le tournage le seul réalisateur des « 10 d’Hollywood » (des professionnels du cinéma blacklistés pour avoir refusé de coopérer avec la tristement fameuse commission McCarthy), signe peut-être le premier film qui dénonce ouvertement d’antisémitisme non pas comme l’un des moteurs du nazisme, mais comme une menace intérieure réelle.

Ryan n’y est pas un psychopathe assoiffé de sang : c’est un « antisémite ordinaire » (comme on parle aujourd’hui de racisme ordinaire) qui, vraisemblablement, rejette sur les Juifs, et particulièrement sur cet homme si compréhensif et si serein qu’il rencontre au hasard d’une soirée, la responsabilité des horreurs auxquelles il a dû prendre part durant la guerre, et la mort de soldats qu’il a connus. Un type plein de haine et de morgue qui finit par déraper.

C’est la grande force du film, au-delà du récit plein de suspense : faire ressentir la triste banalité de ces destins brisés. Le flic, d’âge mur, est revenu de tout. Mais les jeunes soldats sur lesquels il enquête semblent, eux, ne pas savoir comment retrouver une vie normale après ces années de guerre.

Robert Mitchum, qui fait en quelque sorte le lien entre tous les personnages, a le rôle le moins intéressant à jouer. Il ne prend d’ailleurs qu’une part marginale dans le déroulement de l’action. Mais la présence de l’acteur, qui n’a pas encore tourné ses grands chefs d’œuvre, est déjà magnétique. Sa force tranquille, ses paupières lourdes, sa diction de trois heures du matin, habitent déjà ce film fort et intelligent, qui réussit à faire le trait d’union entre film de genre et film engagé. Pas de quoi rassurer McCarthy…

• Le DVD du film fait partie de la très riche (et très abordable) collection bleue « RKO » des Editions Montparnasse.

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