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Archive pour la catégorie 'Chronologie'

Naples au baiser de feu – d’Augusto Genina – 1937

Posté : 28 octobre, 2024 @ 8:00 dans 1930-1939, GENINA Augusto | Pas de commentaires »

Naples au baiser de feu

Tino Rossi en chanteur de restaurant, rôle qui lui permet de faire profiter de son organe tout au long du film ? Voilà qui ne suscitait en moi qu’une curiosité très polie. Mais le reste de la distribution étant nettement plus attirant (Mireille Balin, Michel Simon, Viviane Romance et Dalio, pas mal), partons donc pour ce Naples au baiser de feu

Les premières images suffisent à comprendre que le film vaut bien mieux que le simple véhicule pour mettre en valeur le chanteur que je craignais. Le port de Naples, de longues images de marins s’activant sur le pont et dans la cale d’un cargo… Contre toute attente, on s’approche alors du cinéma-vérité, et on sentirait presque la poussière et la sueur.

Cette dimension réaliste se retrouvera dans plusieurs scènes tout au long du film, avec de nombreuses séquences filmées en décors naturels, certaines sans doute tournées sur le vif, avec de vrais passants. S’en dégage une vérité vraiment inattendue, le sentiment de toucher du doigt le vrai Naples.

Quant à l’histoire, elle est aussi convenue que bien menée. Tino Rossi, chanteur séducteur, est bien décidé à remiser sa tenue de Don Juan pour épouser Mireille Balin. Mais son meilleur ami Michel Simon s’amourache d’une jeune manipulatrice, Viviane Romance, qui va tout faire pour séduire le beau Tino.

Le drame potentiel est en marche, et on est parfois à la limite de la tragédie… tout en restant ouvertement du côté de la légèreté. Tino Rossi est un piètre acteur, Michel Simon est réjouissant, Dalio en fait des tonnes, Mireille Balin est délicieusement touchante, et Viviane Romance est une horrible garce… dont le culot immense finit par tirer un large sourire.

Mission to Mars (id.) – de Brian De Palma – 2000

Posté : 26 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2000-2009, DE PALMA Brian, FANTASTIQUE/SF | Pas de commentaires »

Mission to Mars

Il y a quasi 25 ans, quand Mission to Mars était sorti au cinéma, il m’avait fait l’effet d’une sorte de blague, ou d’un pari un peu pourri qu’aurait relevé un Brian De Palma alors pourtant très inspiré. Le revoir (pour la première fois) aujourd’hui n’est pas loin de me renverser, tant je sors touché, et pour tout dire bouleversé, de ce film de SF plus naïf que métaphysique. Et c’est un compliment.

Il y a évidemment du 2001 dans cette histoire d’astronautes qui découvrent une force mystérieuse sur Mars. Il y a aussi, avec beaucoup d’avance, du Interstellar. Mais il y a surtout du Rencontres du 3e type, et une volonté évidente, dans cet univers de science-fiction avec beaucoup d’effets spéciaux (souvent approximatifs, jamais envahissants), d’être humain, à hauteur d’hommes.

Étrangement, c’est même l’un des films les plus intimes de De Palma, comme s’il avait eu besoin de toutes ces contraintes en termes de décors et d’effets spéciaux, pour ne s’intéresser qu’à ses personnages, reléguant l’intrigue et tout ce qui n’est pas exclusivement basé sur les rapports humains aux oubliettes.

Alors oui, c’est beau. Ça l’est même dès ce long plan-séquence qui ouvre le film (presque une habitude pour De Palma) et qui présente en un seul mouvement tous les personnages et les premiers enjeux du film. Ça l’est encore plus avec l’échange nocturne entre les trois amis que jouent Don Cheadle, Tim Robbins et Gary Sinise, le premier étant le capitaine de la toute première mission partant pour Mars, le deuxième celui de la seconde, et le troisième celui qui en a été écarté.

Dans l’espace, ce sont les liens fraternels et amoureux réduits à leur expression la plus pure, ce qui n’empêche pas De Palma de faire preuve d’une belle ambition formelle, jouant (avec les moyens du bord) avec les règles de la (de l’a-) pesanteur, notamment dans un plan renversant dans tous les sens du terme, hommage assumé à Kubrick.

Mais c’est l’émotion qui prime. Et me voilà conquis, bien tardivement, mais bien sincèrement. Parce que c’est bien la sincérité qui s’impose dans ce beau film méprisé à sa sortie, et oublié depuis.

Merci pour le chocolat – de Claude Chabrol – 2000

Posté : 25 octobre, 2024 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2000-2009, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Merci pour le chocolat

Titre ironique, pour un Chabrol très grand cru. Dans pure veine hitchcockienne, le cinéaste-cinéphile cite tout à la fois Soupçons et Le Secret derrière la porte (un Lang lui-même très hitchcockien), ne filmant rien d’autre que ça : le soupçon et le secret, dans les alcôves d’une grande maison bourgeoise en apparence si parfaite.

Il faut dire qu’on est en Suisse, ce qui n’est pas si anodin : « Qui veux-tu qu’il te vole en Suisse ? », interroge l’un des personnages dans les premières minutes du film. Ben oui : dans ce décor-là, où tout a l’air si beau et si vrai, tout ne peut qu’être beau et vrai. Comme le mariage qui unit l’héritière d’une entreprise de chocolat et un grand pianiste.

La première faille apparaît très tôt, lorsqu’on apprend que ces deux mariés, Isabelle Huppert et Jacques Dutronc, s’étaient déjà mariés bien des années plus tôt, avant que le pianiste ne refasse sa vie avec la meilleure amie de la première, avec qui il a un enfant. Seconde épouse qui est morte prématurément, et mystérieusement.

Si on ajoute à cette découverte le lait que monte chaque soir la première (et troisième) épouse dans la chambre de son beau-fils, et si on a déjà vu Soupçons, on ne peut pas ne pas imaginer des choses…

L’intrigue se complique encore avec une jeune femme née le même jour que le fils du pianiste, avec qui elle aurait pu être échangée à la naissance… et qui s’avère être elle-même une jeune pianiste du talent. De quoi renforcer le malaise, recentrer l’intérêt, et pimenter les rapports familiaux.

Pas un cri, pas un mot qui dépasse. Une gentillesse et une bienveillance affichée à chaque moment. Mais de subtils mouvements de caméra qui viennent troubler l’élégance classique de la mise en scène : un plan légèrement désaxé, presque imperceptible, et c’est un sentiment de trouble et d’angoisse qui perce.

Merci pour le chocolat est un grand Chabrol, l’œuvre d’un cinéaste cette fois très inspiré et très attentif aux détails. Parce que c’est là, dans les détails, que naît l’intranquillité du film, son atmosphère si pesante qui tranche avec la quiétude des images.

Isabelle Huppert, décidément immense, y livre l’une de ses interprétations les plus dérangeantes, troublante et touchante jusqu’à l’abject. L’ultime plan sur elle est d’une richesse, d’une complexité et d’une puissance extraordinaires. Oui, décidément, grand Chabrol.

Rawhide (id.) – créée par Charles Marquis Warren – saison 1 – 1959

Posté : 24 octobre, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, EASTWOOD Clint (acteur), HIBBS Jesse, McLAGLEN Andrew V., POST Ted, TÉLÉVISION, WARREN Charles Marquis, WESTERNS, WHORF Richard | Pas de commentaires »

Rawhide Incident of the TumbleweedIncident of the Tumbleweed (saison 1, épisode 1)

épisodes 1 à 10

1 : Le Wagon cellulaire (Incident of the Tumbleweed) – réalisé par Richard Whorf

Dès le premier épisode de cette série western, on comprend l’importance qu’elle a eu dans la carrière de Clint Eastwood. Une série western assez classique, sans éclat particulier, clairement pas au niveau du Virginien par exemple. Mais le show est bien fait, souvent plein de rythme et bien réalisé.

Surtout, Clint y tient un rôle de premier plan (son nom apparaît en même temps que celui d’Eric Fleming, le rôle principal), qui lui permet vraiment d’exister, de jouer sur la longueur, sur un ton léger ou plus sombre.

Dans ses années d’apprentissage, il a joué quelques silhouettes dans des films intéressants, ou des personnages plus importants dans des films pas terribles. Le plaisir qu’il a de trouver un vrai rôle est perceptible. Dans une série au long cours qui commence avec une idée sympa : ce wagon cellulaire qui occupe une place centrale.

2 : Le Trouble-Fête (Incident at Alabaster Plain) – réalisé par Richard Whorf

Clint a le beau rôle dès ce deuxième épisode, dans lequel il côtoie notamment Martin Balsam dans le rôle d’un prêtre. Deux particularités dans cet épisode original et sympathique : d’abord un mariage, puis l’importance du beau décor d’une mission au milieu de nulle part.

3 : L’Exécuteur (Incident with an executioner) – réalisé par Charles Marquis Warren

Petit chef d’œuvre de tension, et l’occasion pour Clint de jouer avec Dan Duryea (eh ouais!) dans le rôle d’un tueur dont la cible est l’un des passagers d’une diligence qui ont rejoint la troupe de Gil Favor. Lequel ? Charles Marquis Warren, qui réalise fort bien cet épisode, laisse planer le suspense. Parmi les passagers : un jeune frimeur interprété par James Drury, futur Virginien.

4 : Les Malheurs de Sophie (Incident of the Widowed Dove) – réalisé par Ted Post

Episode inégal, mais intéressant, qui met en scène une première tension entre Rowdy Yates (Clint) et Gil Favor (Fleming), pour une femme évidemment. Les deux hommes quitter leurs rôles bien cadrés. Clint/Rowdy se rebelle. Gil, lui, d’habitude si sûr de lui et si infaillible dans ses décisions, enchaîne les conneries. On s’en réjouit !

C’est aussi la première collaboration de Clint et Ted Post, futur réalisateur de Pendez-les haut et court et Magnum Force.

5 : Au bord de la folie (Incident of the Edge of Madness) – réalisé par Andrew V. McLaglen

La caravane n’est ici qu’un prétexte pour la confrontation d’une poignée de monstres pathétiques, interprétés notamment par Marie Windsor et Lon Chaney Jr. Affrontement passionnant, dont Favor et Yates ne sont que des observateurs à peine actifs.

6 : Le Pouvoir et la Charrue (Incident of the Power and the Plow) – réalisé par Andrew V. McLaglen

Après Dan Duryea, Brian Donlevy… Rawhide est l’occasion pour Eastwood de croiser quelques acteurs de l’âge d’or. Et Andrew McLaglen, héritier (discutable) de cette période.

L’épisode est bienveillant et un peu naïf, autour d’un comanche qui rêve de devenir fermier… Un moment savoureux, quand même : lorsque le cuisinier lancer à un Rowdy/Clint toujours un peu béat : « Il faut toujours que tu t’étonnes de tout ? ».

7 : La Vie à un fil (Incident at Barker Springs) – réalisé par Charles Marquis Warren

Une histoire de vengeance pas si banale que ça, et qui évoque mine de rien le poids des choix du passé, le destin du gunman, thème classique du western. Et très belle réalisation de Charles Maris Warren lui-même, notamment pour le superbe duel final, expéditif du côté du vrai héros de cet épisode (Paul Richards), attentiste pour Favor et Yaves.

Rawhide Incident West of LanoIncident West of Lano (saison 1, épisode 8)

8 : A l’Ouest de Lano (Incident West of Lano) – réalisé par Charles Marquis Warren

La caravane croise la route de quatre jeunes femmes, belles et légères. A l’image de cet épisode enlevé et romantique, avec le cœur de Favor qui se met à trembler.

Encore un bel épisode de Charles Marquis Warren, qui ose une terrible rupture de ton, passant brusquement de la romance à la tragédie, pour terminer sur une très belle image de piéta.

9 : Plus de peur que de mal (Incident of the Town in Terror) – réalisé par Ted Post

Pas de méchant ici, mais une ville terrorisée à l’idée que la caravane apporte une épidémie mortelle. Voilà un épisode qui évoque une actualité sanitaire encore dans toutes les mémoires, où le virus commence à décimer le troupeau et les hommes. A commencer par Rowdy, que la maladie terrasse soudain après une première partie qui semblait si légère.

10 : Le Veau d’or (Incident of the Golden Calf) – réalisé par Jesse Hibbs

Le convoi croise la route d’un étrange prédicateur perdu au milieu de la plaine. On se doute bien qu’il n’est pas tout à fait l’homme de dieu qu’il prétend être, et pas seulement parce qu’il a la tête de Macdonald Carey. Parce qu’à force de jouer avec l’énorme pépite qu’il a dans la poche tout en refusant de dire où il l’a trouvée, pour ne pas confronter les hommes de Gil à la cupidité, on voit bien qu’il ne fait rien d’autre que titiller cette cupidité.

Scénario un rien alambiqué, et un peu tiré par les cheveux. L’action est très limitée (un cow-boy qui tombe maladroitement d’un cheval, un duel tué dans l’œuf…), à l’exception d’une bagarre à mains nues dans un saloon. Clint joue les faire-valoir, se contentant d’une poignée de répliques. Mais l’épisode est franchement plaisant.

Les Graines du figuier sauvage (Daneh Anjeer Moghadas) – de Mohammad Rasoulof – 2024

Posté : 23 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, RASOULOF Mohammad | Pas de commentaires »

Les Graines du figuier sauvage

Il y a des admirations, comme ça, qui dépassent les autres. Après avoir découvert Le Diable n’existe pas, celle que j’avais pour Mohammad Rasoulof était déjà très grande. Les Graines du figuier sauvage ne fait que la renforcer, la décupler. A la fois pour le courage ahurissant du cinéaste, et tout simplement pour la beauté et la puissance tout aussi ahurissantes de son cinéma.

Loin de se plier à la pression que faisait peser sur lui le régime de Téhéran, conscient de ce qu’il risquait, Rasoulof s’est lancé dans un projet irréalisable : tourner en Iran (clandestinement, bien sûr) un film très ouvertement et très durement critique à l’égard du régime théocratique, et totalement ancré dans l’actualité : les manifestations et le vent de liberté qu’a déclenché la mort de Mahsa Amini, tuée pour avoir mal porté son voile.

Le projet même de ce film, et le destin de Mohammad Rasoulof, forcé de quitter son pays à pied pour échapper aux répressions du régime, et qui arrive en Europe à temps pour présenter son film à Cannes… Ce contexte donnait une furieuse envie de l’aimer, ce film. C’est rien de dire que c’est le cas : plus encore que son précédent long métrage, Les Graines du figuier sauvage (titre sublime) est une merveille de cinéma, un film à la fois frontal et allégorique absolument magnifique.

En y repensant quelques heures après être sorti de la salle, deux détails s’imposent et surprennent. D’abord, le film dure 2h46, ce qui semble incroyable tant l’expérience est immersive et semble condensée. Ensuite, la très grande majorité du métrage se résume à une espèce de huis clos (dans plusieurs lieux : un appartement en ville, puis une maison de campagne, enfin une ville en ruines) entre les quatre membres d’une même famille.

Le père, la mère, et leurs deux filles. Et une petite poignée d’autres personnages qui n’apparaissent au fond que brièvement. Pourtant, on sort du film avec la sensation d’avoir vu une grande fresque sur l’histoire en marche de tout un pays. Ce qu’est le film, au fond, mais concentré sur une famille dont on ne voit d’abord que le confort bourgeois, et les liens si forts et sincères qui les unissent.

Ils s’aiment, ces quatre là, c’est flagrant. Et la vie qu’ils mènent derrière les murs de ce bel appartement n’est pas loin de ressembler aux nôtres : on parle, on mange, on passe du temps sur son téléphone ou devant la télé, on rêve d’une maison plus grande… Bref, on vit, sans que rien ne vienne troubler ce bel équilibre.

Bien sûr, il y a ce voile que les femmes doivent enfiler avant de sortir : très serré pour la mère, un peu plus lâche pour les deux grandes filles. Il y a aussi cette manière dont la mère arrondit constamment les angles pour son mari, ouvertement tournée vers ses désirs à lui, et sur l’harmonie de sa famille. Et il y a ces propos flirtant avec le libertarisme que commencent à tenir les filles. La faute à leurs fréquentations étudiantes, sans doute…

« Ça leur passera », assure le père, tout à sa promotion : il vient d’être nommé « enquêteur », la dernière marche avant de devenir juge du tribunal révolutionnaire. En d’autres termes, mais il ne le découvre qu’une fois en poste : son boulot désormais, c’est de signer les arrêtés envoyant les accusés à la mort. Ce qu’il a bien du mal à assumer. Dans un premier temps en tout cas.

En filmant cette famille tiraillée entre deux visions de la société, Rasoulof donne corps aux tourments hallucinants de son pays, qu’il ausculte sans jamais céder à la facilité. Parce que, en dépit des réalités de son job, malgré les aspirations des jeunes, le lien qui unit cette famille demeure, tenu à bout de bras et de dévouement par cette mère qui semble si forte, mais qu’on sent totalement tiraillée.

Un événement vient tout bousculer : la disparition de l’arme de service du père, et le soupçon qui s’installe autour de l’identité du voleur, forcément un membre de la famille. Cette disparition met en place plus qu’un trouble, un véritable malaise, et bientôt une rupture radicale, à la fois dans le ton et dans le décor.

Loin de Téhéran, le contexte historique en marche disparaît. La situation du pays et son destin se résument à cette famille si unie transformée en anti-héros d’une espèce de film noir (et gorgée de soleil), non pas autour d’un mystérieux trésor, mais d’une prise de conscience, de cette volonté enfin revendiquée de ne plus s’asseoir devant l’homme dominant. De résister, et de vivre.

C’est fort, c’est beau, c’est plein de vie et d’un fol espoir. Les Graines du figuier sauvage, dont on espère qu’il n’est pas le dernier film iranien de Rasoulof, est un chef d’œuvre, le genre de (grands) films dont on se dit que, peut-être, ils peuvent changer le monde. A défaut, il restera un grand moment de cinéma.

Les Deux Anglaises et le Continent – de François Truffaut – 1971

Posté : 22 octobre, 2024 @ 8:00 dans 1970-1979, TRUFFAUT François | Pas de commentaires »

Les Deux Anglaises et le Continent

On peut sereinement affirmer que Henri-Pierre Roché serait tombé dans un oubli abyssal si François Truffaut n’était pas tombé amoureux de sa prose. Ce n’est pas un affront que de le dire, tant les deux uniques romans qu’il a publiés sont passés inaperçus à leur sortie, dans les années 1950. Sauf de Truffaut, donc, qui a dit tout le bien qu’il pensait du premier, Jules et Jim, avant même que le second soit écrit.

Le second, c’est donc Les Deux Anglaises et le Continent, que Truffaut adapte tout juste dix ans après le premier. Une sorte de prolongement, avec inversement des rôles, d’une histoire qu’on devine très personnelle, pour le romancier comme pour le cinéaste. Une espèce de triangle amoureux : une femme qui aime tour-à-tour (ou en même temps?) deux hommes inséparables là, un jeune homme qui aime tour-à-tour (ou en même temps?) deux sœurs ici.

Là où Jules et Jim était plein de vie et d’une certaine folie débridée, Les Deux Anglaises… est un film douloureux, dont j’avais même gardé le souvenir d’une austérité un peu rebutante. Ce qui, à le revoir bien des années après, s’avère assez radicalement faux. Derrière cette apparente austérité, c’est un film merveilleux et plein de chaleur que signe Truffaut, au rythme envoûtant, à la fois lent et vibrant.

Un film très beau, et très littéraire aussi. Comme une déclaration d’amour de Truffaut à la littérature, le film s’ouvre sur des images de la couverture du livre de Roché, et sur des pages annotées, avant de raconter l’histoire sous une forme épistolaire qu’il affectionne, mais qui atteint ici une sorte d’aboutissement magnifique, la voix off (celle de Truffaut lui-même) donnant le sentiment de tourner les pages d’un livre qui prend vie sous nos yeux.

C’est aussi la première fois que Truffaut dirige Jean-Pierre Léaud en dehors de son personnage d’Antoine Doinel. L’alter ego de Truffaut incarne merveilleusement l’amour du jeune homme pour ces deux sœurs, et devient autant le double du cinéaste que de Roché lui-même. A travers lui, c’est aussi la découverte de l’amour et de la sensualité que filme Truffaut comme personne avant lui, allant jusqu’à parler longuement des plaisirs de la masturbation, et à filmer les draps tâchés de sang après une première nuit d’amour…

A sa sortie, Les Deux Anglaises et le Continent a rencontré un cuisant échec, jugé comme étant d’un autre temps dans une société profondément changée après mai 68. Cinquante ans après, le film reste pourtant aussi passionnant qu’audacieux. L’un des plus beaux Truffaut, l’un des plus personnels, aussi.

Thomas Crown (The Thomas Crown Affair) – de John McTiernan – 1999

Posté : 21 octobre, 2024 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 1990-1999, McTIERNAN John | Pas de commentaires »

Thomas Crown

John McTiernan est un grand réalisateur qui manque cruellement au cinéma de genre américain. C’est dit. On lui doit quelques classiques du cinéma d’action (dont Predator et Die Hard, deux chefs d’œuvre), mais aussi, et c’est plus surprenant, deux remakes de films de Norman Jewison. Disons-le franchement : ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux…

Avant son très faiblard Rollerball, c’est à un autre classique qu’il s’est attaqué : L’Affaire Thomas Crown. Son remake est efficace et plaisant, mais aussi totalement et radicalement inutile, se contentant grosso modo de troquer la coolitude de Steve McQueen contre l’élégance de Pierce Brosnan.

Le rôle est évidemment taillé pour celui qui était encore James Bond. Sans surprise, c’est lui qui est à l’origine du projet, et qui est allé chercher McTiernan, avec qui il avait déjà tourné le méconnu Nomads dans une autre vie (quinze ans plus tôt, quand l’acteur et le réalisateur avaient encore tout à construire).

Pierce Brosnan est donc un interprète évident pour ce milliardaire qui organise des cambriolages spectaculaires pour la beauté de l’art et pour tromper son ennui. Confier le rôle de l’enquêtrice des assurances à Rene Russo est nettement plus inattendu. Elle est d’ailleurs très bien, mais les scènes « torrides » de leurs ébats sexuels n’ont pas, mais vraiment pas, l’effet escompté.

Et c’est sans doute le choix de confier le projet à McTiernan qui pêche. Grand cinéaste d’action, l’homme n’est pas franchement inspiré par la sensualité. Filmés dans la longueur, mais sans chaleur, le torse velu de Brosnan et le corps dénudé de Rene Russo n’éveillent pas le moindre frisson.

Le monde de l’art dans lequel se déroule une grande partie de l’histoire n’inspire guère plus McTiernan, qui filme ces « barbouillages pour riches crétins » avec une absence impardonnable d’intérêt manifeste.

Le talent du réalisateur se réveille dans la manière de filmer les cambriolages. Là, la fluidité de son style est bien présente, et procure ce plaisir qu’on n’attendait plus. C’est un peu court hélas, et les clins d’œil maladroits au film original (Faye Dunaway dans une apparition rappelant lourdement la partie d’échecs face à McQueen, quelques notes de Windmills of your mind qui résonnent, rompant brièvement avec la musique assez laide) ne suffisent vraiment pas à répondre à cette question : à quoi bon ?

Monsieur Ed, le cheval qui parle (Mister Ed) s2 e25 : Clint Eastwood meets Mr. Ed – épisode réalisé par Arthur Lubin – 1962

Posté : 20 octobre, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, COURTS MÉTRAGES, EASTWOOD Clint (acteur), FANTASTIQUE/SF, LUBIN Arthur, TÉLÉVISION | Pas de commentaires »

Clint Eastwood meets Mr Ed

Il y a des tas de raisons d’affirmer que le parcours de Clint Eastwood ne ressemble à aucun autre dans le cinéma américain. Il y en a une, en tout cas, qui ne souffre aucune contestation : qui d’autre que lui peut se vanter d’avoir tourné avec deux ânes qui parlent ?

Eh oui ! Sept ans après avoir effectué ses premières cascades dans Francis in the Navy (déjà réalisé par Arthur Lubin), Clint est devenu une vedette grâce à sa série Rawhide, et il est l’invité d’un show télé très populaire à l’époque autour d’un autre équidé, digne descendant de Francis : Mister Ed. Un âne doué de la parole, donc, qui a été le faire-valoir du comique Alan Young 143 épisodes durant.

Aucun des 142 autres épisodes ne figurera sans doute sur ce blog dans un avenir plus ou moins proche. Mais celui-ci, tourné en 1962 alors que Clint était l’un des cowboys les plus populaires de la télévision américaine, se voit avec un certain plaisir, en tout cas avec une vraie curiosité. Ne serait-ce que parce qu’on y devine le statut qu’Eastwood avait à l’époque : une vedette suffisamment connue pour donner son nom à un épisode du show, et suffisamment accessible pour lui proposer.

Sur la prestation du futur homme sans nom, pas grand-chose à dire : Eastwood s’y montre charmant, le sourire rigolard de celui qui ne prend pas la chose au sérieux, et qui sait qu’on n’attend rien d’autre de lui que d’apporter un contrepoint vaguement prestigieux aux pitreries d’Alan Young et de son âne qui parle. Une curiosité bien sympa.

La Prisonnière de Bordeaux – de Patricia Mazuy – 2024

Posté : 19 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, MAZUY Patricia | Pas de commentaires »

La Prisonnière de Bordeaux

Un plan, incroyable, délivre le mystère qui règne autour du titre : Hafsia Herzi qui arrive tardivement dans la grande maison bourgeoise d’Isabelle Huppert, où elle rencontre les « amis » de cette dernière, grands bourgeois qui la rabaissent sans même le réaliser à son statut social, provoquant un malaise dont Huppert elle-même ne peut s’extraire.

La jeune femme les observe à distance, tous étant regroupés derrière un canapé, comme coupés de son monde à elle, de ce monde où des gens qui doivent lutter pour vivre existent. Et Isabelle Huppert au premier plan de ce petit microcosme coupé du monde, incapable de ne serait-ce que faire un pas pour s’en extraire.

Contre toute attente, c’est elle la « prisonnière », qu’une rencontre improbable va libérer d’une vie rangée, et étouffante. Etrange hasard, quand même, que La Prisonnière de Bordeaux arrive sur nos écrans quelques mois seulement après Les Gens d’à côté. Dans le beau film de Téchiné, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi entretenaient déjà une relation très comparable, et c’est comme si les deux films se répondaient et complétaient, si proches et pourtant si loin, jusque dans la conclusion.

Sans rien dire de cette conclusion, il y a ici une vision plus symbolique, et plus émouvante encore. Une sorte de chant d’amour à la vie, souligné par la magnifique musique d’Amine Bouhafa, qui crée dès les premières images une atmosphère particulièrement envoûtante.

Patricia Mazuy signe un beau film humain et plein d’empathie, qui déjoue tous les clichés, racontant le cheminement de deux femmes aux destins presque inverses, mais partageant pourtant une même réalité dans cette prison où elles vont visiter leurs maris. La riche et la pauvre, la bourgeoise blanche et la travailleuse d’origine nord-africaine… Qui va libérer qui ? Réponse pas si simple, dans un film fort et beau.

L’Histoire de Souleymane – de Boris Lojkine – 2024

Posté : 17 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, LOJKINE Boris | Pas de commentaires »

L'Histoire de Souleymane

Rien de spectaculaire, ou si peu… Un accrochage à vélo, une altercation dans un escalier… Rien que du quotidien, des petits gestes sans grande importance, mais dont l’impact a des répercussions énormes sur Souleymane, ce jeune Guinéen travaillant comme un esclave à Paris, en préparant l’entretien qui, il l’espère, lui permettra de décrocher son précieux sésame pour rester en France.

Ces petits riens, c’est une jeune femme qui refuse un colis à Souleymane, livreur à vélo (« sous-traité » par un « ami », tous les guillemets sont importants) pour qui la moindre minute perdue compte. C’est aussi une rencontre avec des policiers un peu trop insistants, le café offert par un restaurateur, ou la main offerte par un vieillard…

La précarité, l’insécurité et l’urgence de Souleymane sont telles que tous ces petits riens provoquent des torrents d’émotion, côté révolte ou côté bienveillance. C’est que la caméra de Boris Lojkine ne quitte jamais Souleymane, incarné avec une vérité et une intensité folles par Abou Sangare, acteur débutant dont le parcours évoque furieusement celui de son personnage. Sans doute ce parallèle joue-t-il dans la puissance de sa présence. Sans doute aussi est-il tout simplement un immense acteur, qui a d’ailleurs décroché un très mérité prix d’interprétation à Cannes-Un certain regard.

En suivant de si près et sans répit sa course vers ce fameux entretien à travers Paris, Boris Lojkine signe un film d’une grande humanité, et profondément immersif. Un film dont on ne sort pas indemne, pour reprendre une vieille expression galvaudée. Mais c’est vrai qu’on sort de ce film magnifique d’humanité et d’empathie sans doute un peu meilleur, après avoir partagé les frustrations, les colères, les espoirs et les angoisses de Souleymane.

On en sort aussi après ce fameux entretien, longue scène dont la mise se résume à peu près à des séries de plans sur les visages de Souleymane et de l’agente qui l’interroge, mais où se concentre soudain tout ce qu’a enduré le jeune migrant, tout ce qu’il a quitté, tout ce à quoi il s’accroche. Le générique de fin, sobre et silencieux, nous laisse plein d’amour et de révolte, mais assommé. Totalement assommé.

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