Uranus – de Claude Berri – 1990
Claude Berri est en plein dans sa veine patrimoniale. Entre Pagnol (Jean de Florette et Manon des Sources) et Zola (Germinal), le voilà qui s’attaque à Marcel Aymé, adaptant son très cynique, et très savoureux roman Uranus, portrait grinçant d’une petite ville française qui s’arrange avec elle-même quelques mois après la libération.
Pathétiques ou salauds… Pas grand monde à sauver a priori, dans cette galerie de personnages dont aucun semble-t-il n’a eu un comportement exemplaire pendant l’occupation. Pourtant, l’humanité n’est jamais bien loin. Et même chez le pire dénonciateur post-libération, même chez l’ancien collabo le plus zélé, la plume d’Aymé et la caméra de Berri soulignent la complexité et la singularité de chacun. L’honnêteté, même.
Pas franchement un film confortable, donc. Du genre à balayer assez radicalement l’image de la France, grande nation de résistance. Du genre, plutôt, a placer chacun devant ses complexités, et sa possible lâcheté. Le personnage de Philippe Noiret est sans doute celui qui se rapproche le plus du narrateur, du point de vue qu’adopte Berri (et sans doute Aymé, mais pas lu le livre) : un homme lettré et ostensiblement joyeux, qui décide de prendre tous les défauts de l’homme et toutes les horreurs commises par lui avec une bienveillance radicale.
Il est étonnant ce personnage, et incarné avec gourmandise. C’est cette gourmandise, largement partagée par l’extraordinaire distribution, qui fait tout le sel de ce film, tout le plaisir qu’on y prend. Il y a bien sûr Depardieu, dans ce qui est peut-être son rôle le plus gargantuesque, un patron de bistrot qui avale des litres d’alcool en éructant, mais s’apaise en découvrant la poésie. Il y a aussi Jean-Pierre Marielle en chef de famille au patriotisme pratique, Michel Blanc en communiste zélé, Michel Galabru en profiteur de guerre…
Uranus, au-delà de sa truculence, est un grand film d’acteurs. En cela, c’est du pur cinéma français à l’ancienne, porté par les paroles de Marcel Aymé et par le pur plaisir procuré par les comédiens. C’est aussi une vision cynique et radicale de la France de l’immédiat après-guerre. La nation de résistants en prend un sacré coup…