Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour la catégorie '1980-1989'

Itinéraire d’un enfant gâté – de Claude Lelouch – 1988

Posté : 7 novembre, 2021 @ 8:00 dans 1980-1989, LELOUCH Claude | Pas de commentaires »

Itinéraire d'un enfant gâté

Itinéraire d’un enfant gâté n’a pas seulement permis à Lelouch de connaître l’un de ses plus gros succès commerciaux, après une série de films en demi-teinte. Ses retrouvailles avec Belmondo, presque vingt ans après Un homme qui me plaît, ont également offert à l’acteur le déclic dont il avait sans doute besoin, après des années de polars interchangeables pour la plupart des dispensables… et d’ailleurs très oubliés.

Avec Itinéraire d’un enfant gâté, c’est un peu comme si Belmondo se rappelait qu’avant d’être un produit à la recette parfaitement maîtrisée, il était l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Un phénomène qui, à ses débuts, était aussi à l’aise chez Godard que chez De Broca, chez Melville que chez De Sica. C’est cet acteur-là qu’on retrouve, enfin, devant la caméra de Lelouch, dans un rôle taillé pour lui, et dans un film à la démesure du cinéaste, ample, généreux, et profondément émouvant.

L’itinéraire de cet enfant gâté est de ces histoires qu’affectionne Lelouch, le parcours à la fois simple et romanesque d’un enfant abandonné, recueilli par des artistes de cirque, devenu saltimbanque, puis chef d’entreprise, puis père fatigué de la place qu’il prend lui-même sur la vie des autres… Un homme qui, au mitan de sa vie, choisit de disparaître, de prendre le large et de ne plus revenir.

Une histoire simple finalement, mais dont Lelouch fait une épopée intime et romanesque, avec un style qui fait hurler ses détracteurs, mais qui déclenche des torrents d’émotion aux bienheureux qui se laissent emporter par la générosité et la soif de cinéma du monsieur. Lelouch aime le cinéma non pas comme un moyen de raconter simplement une histoire, mais comme un art total où tout est au service de l’émotion.

Qui d’autre que lui ose faire des scènes où les chansons (avec des paroles de Didier Barbelivien) sont si importantes ? Qui encore s’autorise de si grands mouvements de caméra, en même temps que d’incessants va-et-vient entre les époques ? Grandiloquent ou virtuose, qu’importe, Lelouch est aux manettes de nos émotions, et on passe des larmes au rire dans le même beau mouvement.

Belmondo est formidable dans une sorte de double du cinéaste. Un marionnettiste lui aussi, qui transforme le transparent Richard Anconina (le personnage, pas l’acteur) en un double de moins en moins désincarné, lui apprenant à dire bonjour comme lui, et surtout à ne jamais avoir l’air de surpris, dans une séquence assez mémorable. Du cinéma généreux, simplement.

Les Fantômes du chapelier – de Claude Chabrol – 1982

Posté : 16 octobre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1980-1989, CHABROL Claude, d'après Simenon | Pas de commentaires »

Les Fantômes du Chapelier

Simenon et Chabrol : l’association de ces deux noms est tellement évidente qu’on aurait tendance à imaginer, tout naturellement, que la filmographie du second est remplie d’adaptations des romans du premier… Mais non : il y a eu Betty, en 1992, et ces Fantômes du chapelier dix ans plus tôt. L’ombre du créateur de Maigret plane sur la filmographie du cinéaste, mais comme une inspiration diffuse, une sorte de figure tutélaire qui trouvera son apogée avec l’ultime film de Chabrol, Bellamy, hommage de l’un au personnage le plus célèbre de l’autre.

Les Fantômes du chapelier est en tout cas là pour confirmer que Chabrol était fait pour filmer du Simenon. Le film est à la fois une excellente adaptation, et un pur Chabrol. L’atmosphère, si chère à l’écrivain, ce microcosme si précis bousculé par un événement extérieur, les petits secrets et les grandes mesquineries… La réussite du film tient peut-être avant tout du fait que tous ces éléments doivent autant de l’un que de l’autre. Totalement Simenon, et totalement Chabrol.

Chabrol qui s’amuse aussi à citer son autre référence majeure, Hitchcock, reprenant des plans de Psychose avec une précision étonnante : un grand angle plongeant sur la chambre de Serrault et sa « femme », et bien sûr ces ombres chinoises laissant deviner le couple en pleine discussion derrière les rideaux de la chambre… C’est presque avec ces images que le film s’ouvre. Mais Chabrol ne cherche pas pour autant à refaire le coup de Norma Bates : tout dans ces citations visuelles appelle le spectateur à comprendre la situation avant même qu’il la mette réellement en image.

On a donc une petite ville terrorisée par des meurtres de femmes, un petit cercle de bourgeois qui se retrouvent chaque jour sans vraiment se passionner pour le fait divers, et le criminel qui se trouve être l’un d’eux. Rien de vraiment spectaculaire, mais un malaise qui s’installe pour ne plus s’évanouir, avec cet étrange lien qui unit le chapelier Michel Serrault et son voisin tailleur, Charles Aznavour.

Le premier, aisé et respecté, est accueilli au café comme un habitué qu’on appelle par son prénom. Le second, immigrant effacé et malingre, est un petit homme qui semble n’exister aux yeux de personne. Le tailleur, pourtant, se met à suivre le chapelier où qu’il aille, ce dernier se délectant de cette ombre dont il ne cherche jamais à se détacher. Si le film est si réussi, c’est aussi parce que les rapports entre ces deux là ne sont jamais simples, toujours troublants…

Kachoudas, le tailleur joué par Aznavour, sait que Labbé, le chapelier joué par Serrault, est le tueur qui fait trembler la ville. Il le sait, mais il ne dit rien, laissant même une victime mourir devant ses yeux. Pourquoi se tait-il ? Simplement parce qu’il veut simplement vivre tranquille ? Et pourquoi Labbé le laisse-t-il le suivre ? Les doutes constants qui naissent de ces interrogations nourrissent le malaise qui ne cesse de croître au fur et à mesure que la folie du chapelier semble prendre le dessus.

Michel Serrault est formidable dans ce rôle, à la limite du grotesque, notable grandiloquent et pathétique que personne ne penserait même à soupçonner. Face à lui, Aznavour est touchant en Arménien dont la vie semble n’avoir été qu’une fuite en avant silencieuse. Dérangeant et inconfortable, Les Fantômes du chapelier fait partie des très bonnes adaptations de Simenon, et des très bons Chabrol.

Absence de malice (Absence of Malice) – de Sydney Pollack – 1981

Posté : 18 septembre, 2021 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 1980-1989, NEWMAN Paul, POLLACK Sydney | Pas de commentaires »

Absence de malice

Sydney Pollack, cinéaste engagé, aime associé le film de genre et la critique du système américain. C’est une constante, qui a souvent donné d’excellents films, des Trois Jours du Condor à Havana (oui, j’aime Havana). Absence de malice n’est pas son film le plus connu, pas le plus célébré, pas le plus intense non plus, il faut le reconnaître. Mais il trouve sa place dans une filmographie très cohérente (même si pleine de surprises).

Paul Newman est excellent dans le rôle d’un petit chef d’entreprise que le FBI et les journalistes désignent comme l’héritier naturel de son truand de père. Un homme normal et sans histoire, emporté dans la spirale infernale du « système », thème pollackien par excellence. Le film manque d’intensité, disais-je. Mais Pollack excelle à décrire un univers inhumain, d’où personne ne surnage vraiment.

Newman lui-même, victime de moins en moins conciliante, qui comprend vite que pour garder la tête hors de l’eau dans cette Amérique-là, il faut adopter le point de vue et les méthodes de ceux qui vous détruisent. Et que dire de Sally Field, très bien en journaliste dont l’idéalisme fait si peu de cas des dégâts collatéraux de ses scoops ? Cynique, cruel, sans concession, Absence de malice s’inscrit dans la lignée des grands films de Pollack, à la fois film noir passionnant et miroir tendu à un certain système, déshumanisé et dénué d’empathie.

Les politiques, les forces de l’ordre, les journalistes, personne ne sort grandi de ce jeu de massacre fort bien écrit, et réalisé avec une certaine efficacité… mais oui, sans cette flamme qui aurait fait la différence, sans cette passion qui aurait fait de la « croisade » de Paul Newman une sorte de porte-étendard, un film majeur sur un certain journalisme, plus tourné vers les « coups » que vers la vérité. Un rendez-vous manqué, tout de même…

Quand Harry rencontre Sally (When Harry met Sally) – de Rob Reiner – 1989

Posté : 10 septembre, 2021 @ 8:00 dans 1980-1989, REINER Rob | Pas de commentaires »

Quand Harry rencontre Sally

Un film dont les personnages principaux sont des amoureux de Casablanca ne peut pas foncièrement être mauvais. C’est un fait qui se vérifie avec ce modèle de comédie romantique, qui continue à infuser son influence pas loin de trente-cinq ans plus tard. Quand Harry rencontre Sally reste un modèle du genre, une love story au long cours, l’histoire d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, ne s’aiment pas, se perdent de vue, se recroisent, se reperdent de vue, se retrouvent, deviennent amis, et mettent un temps fou à admettre qu’ils s’aiment.

Plus d’une heure trente pour arriver à un constat évident dès les premières images ? Oui, mais il y a dans cette comédie romantique une justesse des sentiments qui vous transporte quand vous avez 16 ans, qui vous retransporte quand vous en avez 25, puis 35, puis 45… Bref. Cette histoire là garde toute sa fraîcheur, toute sa vérité aujourd’hui, dans le regard d’un ancien ado devenu père de famille.

Au scénario : Nora Ephron, une spécialiste du genre, pas toujours dans la nuance. Derrière la caméra : Rob Reiner, un cinéaste touche à tout qui à cette époque transforme tout ce qu’il touche en réussite hollywoodienne (de Princess Bride à Misery, que du bon alors). Devant : Meg Ryan et Billy Cristal, pas exactement les acteurs les plus glamours du monde, mais dont l’alchimie est si parfaite. Elle, le nez qui coule et pleine de manie. Lui, cynique et un rien hautain. Deux êtres mal formatés, qui ensemble dégagent une sorte de plénitude.

Reiner capte cette osmose en misant sur le temps long, dans une histoire qui s’étale sur plus de dix ans ans. C’est ce refus de l’urgence qui fait du film une rom’com’ si intemporelle, et si marquante. Plus encore que les quelques moments forts, comme le fameux orgasme simulé par Meg Ryan dans le bar, ou la soirée à quatre avec les meilleurs amis Carrie Fisher et Bruno Kirby. Il n’y a pas de tant de films qui ont su donner corps à une telle relation, à une telle intimité entre un homme et une femme.

Le film est beau, aussi, pour la manière dont Reiner filme Harry et Sally ensemble, au cœur de New York, dans une intimité que rien ne peut mettre à mal malgré la ville grouillante. Quand ils sont ensemble, rien d’autre n’existe. Quand ils se parlent au téléphone, c’est comme s’ils étaient côte à côte : le split screen a rarement été aussi joliment utilisé. Comme ces interludes, avec de vieux couples qui témoignent face caméra, évoquant chacun la même évidence qui unit Harry et Sally : « It had to be you »

Vivement dimanche ! – de François Truffaut – 1983

Posté : 31 août, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1980-1989, TRUFFAUT François | Pas de commentaires »

Vivement dimanche

Truffaut tire sa révérence (très prématurément) sur une série noire, l’un de ces films de genre inspirés de la littérature anglo-saxonne qui ont émaillé sa carrière depuis Tirez sur le pianiste. Il renoue d’ailleurs avec un noir et blanc au grain très semblable.

C’est peut-être le plus classique de ses polars, le plus simple dans sa narration. Cette histoire d’une secrétaire qui risque tout pour innocenter son patron bien peu reconnaissant, accusé de meurtres, est aussi le plus hitchcockien des films de Truffaut, grand admirateur du maître.

Le mélange de suspense et de légèreté, le thème du faux coupable, le rythme, le personnage même de la secrétaire, qui serait allé comme un gant à la blonde Grace Kelly. Mais pour Truffaut, c’est la brune Fanny Ardant qui s’y colle, tout juste sortie du superbe La Femme d’à côté.

Tout le film tourne autour d’elle, reléguant le patron Jean-Louis Trintignant à un rôle d’observateur constamment bousculé et débordé par la tornade Ardant. Elle est de toutes les scènes, ou presque, et c’est elle le vrai sujet du film, ou plutôt l’amour que lui porte Truffaut, qui la filme comme personne.

Chaque plan semble caresser le visage de Fanny Ardant, souligner la douceur et la sensualité de sa silhouette, l’insolence irrésistible de son regard et de son sourire. Ce film, c’est une déclaration d’amour par caméra interposé.

Tequila Sunrise (id.) – de Robert Towne – 1988

Posté : 27 août, 2021 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 1980-1989, TOWNE Robert | Pas de commentaires »

Tequila Sunrise

Il y a de bien belles images dans ce polar très daté années 80. Des plans américains, souvent, qui jouent avec la lumière éclatante de Californie, ces ciels oranges, bleues ou presque marrons selon l’heure du jour. Des silhouettes en ombres chinoises, ou des couleurs à peine perceptibles dans une lumière entre chien et loup. Robert Towne, nettement plus réputé pour son travail de scénariste (Chinatown) que de réalisateur, s’applique, pour le moins.

Il manque tout de même un liant, ce mouvement que l’on attend d’un grand film. Tequila Sunrise est, visuellement, un beau film, mais un film qui semble par moments enchaîner les jolies photos pour illustrer des magazines, ou les vitrines des cinémas. C’est une réserve qui n’est pas anodine, mais saluons malgré tout les efforts et la beauté de certains plans : il y a tant de polars, alors comme aujourd’hui, qui n’ont pas même cette ambition.

Curieusement, c’est surtout sur le scénario que le film pêche. A la fois trop complexe dans ses rebondissements, et trop simplistes dans les rapports humains entre les personnages, Tequila Sunrise ne sonne jamais vraiment juste. Le triangle amoureux est convenu : ces deux amis, l’un flic, l’autre voyou, amoureux de la même femme. Convenu, et jamais vraiment inquiétant : on sent bien que, peu importe la beauté renversante de Michelle Pfeiffer, le flic Kurt Russell et le voyou Mel Gibson s’aiment trop profondément pour se faire du mal.

Mais il y a un autre triangle amoureux, qui serait presque plus prometteur, et dont Mel Gibson serait le cœur, tiraillé entre son amitié indéfectible pour son pote de toujours Kurt Russell, et celle plus obscure qui le lie à un grand trafiquant de drogue dont je tairai le nom pour ne pas spoiler un rebondissement qu’on voit venir très tôt. Prometteur, mais pas beaucoup plus intense, hélas.

Pas désagréable, mais Tequila Sunrise ne dépasse jamais le stade de sympathique polar estampillé eighties, avec chanson de Duran Duran pour l’atmosphère, et quelques seconds rôles qu’on aimait bien : J.T. Walsh et Raul Julia, deux gueules pour toujours associés aux films de genre de cette époque. L’époque où Mel et Kurt étaient d’une jeunesse éclatante.

La Femme d’à côté – de François Truffaut – 1981

Posté : 26 août, 2021 @ 8:00 dans 1980-1989, TRUFFAUT François | Pas de commentaires »

La Femme d'à côté

Pour Truffaut, la passion, quelle qu’elle soit, a toujours gardé le souffle de l’adolescence, cette pureté incandescente qui dévore tout. C’est vrai de sa cinéphilie, c’est aussi vrai de l’amour qu’il vit ou qu’il filme. Dans La Femme d’à côté, il fait les deux, en filmant pour la première fois son ultime amour, Fanny Ardant, comme une incarnation définitive de cette passion dévorante, suffocante.

Cet avant-dernier film de Truffaut est peut-être son plus beau, avec La Peau douce, dont il est une sorte de variation sur un même thème. Un film modeste en apparence, visuellement simple et direct, qui met en scène des personnages sans histoire, dans une petite communauté bien tranquille où rien ne se passe jamais.

Bernard (Depardieu), qui mène une vie paisible avec sa femme et son jeune fils, jusqu’au jour où un couple emménage dans la maison voisine. Terrible hasard : la femme, c’est Mathilde (Fanny Ardant), avec qui Bernard a vécu une passion traumatisante huit ans plus tard. L’un comme l’autre pensaient s’en être sorti, jusqu’à ces retrouvailles inattendues.

« Ni avec toi, ni sans toi », résume Madame Jouve, la narratrice, elle-même rescapée, ou plutôt estropiée, de la passion amoureuse. Entre ces deux là, c’est électrique, au-delà du fusionnel. Qu’ils se frôlent simplement ou qu’ils arborent un détachement feint, la tension est immédiate, totale, transcendée par la musique magnifique de Georges Delerue, qui nous transporte littéralement.

Un sommet : la panique de Mathilde, qui fuit la cérémonie dont elle est l’attraction principale, fuyant en même temps tous les fards et masques sociaux dont elle se couvre constamment, pour s’effondrer dans le recoin d’un bosquet, pour un lâcher prise aussi absolu que bouleversant.

Truffaut n’est pas un romantique naïf : c’est un romantique du XVIIIe siècle, marqué par le jeune Werther. Dans son film, l’amour a une pureté tragique indissociable d’une certaine innocence de la jeunesse. Quarante ans après, La Femme d’à côté garde toute sa force et sa beauté tragique. Un chef d’œuvre.

La Vie et rien d’autre – de Bertrand Tavernier – 1989

Posté : 13 août, 2021 @ 8:00 dans 1980-1989, TAVERNIER Bertrand | Pas de commentaires »

La Vie et rien d'autre

Oh le sujet fun que voilà ! Deux ans après la Grande Guerre, des soldats sont chargés d’exhumer les victimes des champs de bataille, d’identifier les cadavres, de donner un nom aux blessés amnésiques… Tâche immense, inhumaine. Bien avant Capitaine Conan, Bertrand Tavernier signe un grand film sur la Grande Guerre, sans rien en montrer d’autre que les fantômes, les effets, les dégâts.

Il offre à Philippe Noiret, son compagnon des premiers temps, le beau rôle du commandant de cette unité d’identification. Un vétéran, marqué dans sa chair et dans son âme, pour qui la guerre ne peut pas être finie. Pas avec les horreurs qui continuent à être son quotidien. Il est magnifique, Noiret, regard triste comme incapable de tourner cette page si lourde.

De ce sujet austère et lourd, Tavernier signe un film beau et puissant. Un film grave, bouleversant, et pourtant plein de vie. Jamais pesant, jamais misérabiliste, Tavernier saisit l’horreur absolue de la guerre sans le bruit et la fureur. L’effet n’en est que plus saisissant : il passe par la dignité des douleurs, par ces silhouettes lourdes qui hantent les champs de bataille à la recherche de proches disparus, mais aussi par cette vie qui cherche constamment son chemin.

Une séquence, surtout, est d’une beauté renversante. Le commandant, Noiret, est dans un cabaret avec Sabine Azéma, femme d’un soldat disparu, dont il est tombé raide dingue. Une « chanteuse parisienne » est sur scène, et tous deux échangent des premiers regards amoureux, dévoilant sans rien dire leurs sentiments respectifs. Les regards se croisent, puis se fuient, Noiret, au premier plan, devient flou… Plus tard, dans leur voiture qui traverse la nuit, elle l’invite à prononcer les trois mots qui changeront tout. Et lui, enfin : « Je vous… écoute ». C’est bouleversant.

C’est le genre de moments qui font la beauté du cinéma Tavernier : des regards, des dialogues qui frappent, une musique qui emporte tout. Comme lors de la scène, historique, où le cercueil du Soldat inconnu est choisi, et où le personnage de Noiret arriver en retard. « J’étais en retard », justifie-t-il. « En retard de quoi ? » interroge son supérieur. « De tout. »

Un dimanche à la campagne – de Bertrand Tavernier – 1984

Posté : 12 août, 2021 @ 8:00 dans 1980-1989, TAVERNIER Bertrand | Pas de commentaires »

Un dimanche à la campagne

Bertrand Tavernier était un immense passeur. Si sa mort a eu un tel impact sur le cinéphile que je suis, c’est avant tout parce que sa disparition ressemble à une grande et belle porte que l’on referme sur le cinéma de patrimoine. Sale année pour le septième art. Mais Tavernier était aussi un grand cinéaste. Revoir Le Juge et l’Assassin et Coup de torchon était déjà une belle manière de s’en assurer. Découvrir (très tardivement, certes) Un dimanche à la campagne l’est encore d’avantage.

C’est peut-être le plus beau de ses films, et pourtant il ne s’y passe rien. Ou presque. C’est le récit d’une simplicité totale d’un dimanche à la campagne, au début du XXe siècle, de ces dimanches d’aimable ennuie que les enfants devenus grands viennent passer avec leur père devenu vieux. Et où les fantômes de la jeunesse disparue affleurent, de cette vie de famille depuis longtemps disparue, et que le vieux père tente de rattraper par bribes.

C’est simple, remarquablement dépourvu d’effets spectaculaires, et c’est d’une beauté stupéfiante. En état de grâce, Tavernier (et sa voix off à la Truffaut) capte l’émotion, le temps qui a passé, les petits malaises, les rancœurs mal ravalées, l’harmonie passée, l’angoisse du temps qui passe… Dans le rôle du patriarche, Louis Ducreux trouve le rôle de sa vie, celui d’un peintre habité par son art, et par les souvenirs de ce temps où sa femme était vivante et ses enfants autour de lui.

Il est une sorte de figure de sagesse, mais qui peine à accepter le temps qui passe… et les nouveaux venus qu’il apporte. « J’ai toujours voulu vivre avec mon temps, mais… » Mais sa bru, pourtant si aimante, fait un peu figure d’intruse. Comme ces petits-enfants qui l’agacent bien un peu lorsqu’ils se mettent à courir partout, ou qu’il ignore lorsque la fillette lui tend un dessin.

Tavernier capte ces failles, ces moments en suspens, ces douleurs tues. Sans éclat, sans excès, il filme un dimanche qui s’écoule sans histoire, et attrape au vol les signes de fêlures. Le regard du fils, Michel Aumont, qui encaisse sans rien dire les petites réflexions de son père. Celui de Sabine Azéma surtout, dans la guinguette, gros plan bouleversant de son visage derrière la voilette de son chapeau.

L’émotion apparaît parfois sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Comme dans ce court flash-back d’un pique-nique en famille, où la caméra se dirige vers une assiette blanche et vide, posée sur un drap blanc. Pourquoi donc ce simple mouvement prend-il à ce point aux tripes ? Peut-être parce qu’il manque quelque chose, soudain : les couleurs, la richesse des compositions d’image.

Louis Ducreux incarne un peintre amoureux de Renoir, Caillebote ou Van Gogh. Et c’est loin d’être anodin : Un dimanche à la campagne est aussi le plus pictural des films de Tavernier, véritable manifeste impressionniste où chaque plan semble donner vie à un tableau, ou former un tableau. Un plan, notamment, révèle l’inspiration de Tavernier : Sabine Azéma, qui vient d’arriver chez son père, est filmée seule dans la maison, à la fenêtre, avec des mouvements de caméra qui donnent le sentiment de passer d’un tableau à un autre, comme si les arts de Renoir père et fils ne faisaient plus qu’un.

Coup de torchon – de Bertrand Tavernier – 1981

Posté : 11 août, 2021 @ 8:00 dans 1980-1989, TAVERNIER Bertrand | Pas de commentaires »

Coup de torchon

Amoureux de la culture américaine et tellement Français… Bertrand Tavernier signe l’un de ses chefs d’œuvre avec cette adaptation tellement inattendue d’un (grand) roman noir. Avec son coscénariste Jean Aurenche, Tavernier transpose l’action du 1275 de Jim Thompson du Texas le plus profond à une petite ville de l’Afrique coloniale. Pari audacieux, et coup de génie scénaristique dont le cinéaste fait une sorte de rêverie cynique et une critique acide de l’arrogance coloniale.

Tavernier cinéaste est également au top, flirtant constamment avec le film de genre, signant mine de rien l’un des films les plus mordants sur la France coloniale, avec ces gueules pitoyables ou ridicules. Des gueules soigneusement choisies. Tavernier, qui ne dirigeait pas vraiment ses acteurs, sait pourtant en tirer le meilleur. Philippe Noiret, forcément, est formidable dans le rôle de ce « shérif » passif et un rien pathétique.

« Je ne dis pas que tu as tort, mais je ne dis pas non plus que tu as raison. »… « Alors là, je ne suis pas sûr d’être tout à fait d’accord avec toi. » se défend-il en se faisant humilier à longueur de journée. Le récit intime d’un humilié qui en a trop longtemps encaissé, et qui s’imagine une âme de chevalier blanc. Cynique, cynique, cynique…

Cynique et réjouissant. Coup de torchon est un film d’une noirceur hallucinante. C’est aussi l’un des plus ouvertement réjouissants, avec son humour noir tranchant et ses personnages très hauts en couleurs. Le tandem Jean-Pierre Marielle / Gérard Hernandez est délicieusement odieux. Mais c’est surtout la chouette maisonnée de Noiret que l’on retient : l’horrible épouse Stéphane Audran (géniale) et son « frère » Eddy Mitchell (son rôle le plus marquant?). Inoubliable famille castratrice… Ajoutons Isabelle Huppert, belle incarnation d’une certaine innocence…

Coup de torchon est un film formidable, un pur plaisir de cinéma qui ne cesse de surprendre par son esprit et sa méchanceté, vision après vision. Le genre de films qui vous accompagne toute la vie.

1...45678...21
 

Kiefer Sutherland Filmographie |
LE PIANO un film de Lévon ... |
Twilight, The vampire diari... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | CABINE OF THE DEAD
| film streaming
| inderalfr