Premier amour (Pierwsza milosc) – de Krzysztof Kieslowski – 1974
Documentaire ou fiction ? Premier amour n’est ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre. C’est en tout cas un parfait film de transition pour le jeune Kieslowski, entre son passé de documentariste et ses films de fiction à venir. La narration est clairement celle d’une fiction, mais il n’y a dans ce moyen métrage d’à peine une heure aucun ressort dramatique marqué. Les deux personnages principaux vivent, simplement, les débuts de leur vie d’adulte devant une caméra qui les filme au plus près. A travers eux, c’est toute la société polonaise de l’avant-Solidarnosc qui apparaît avec toutes ses difficultés, tout son mal de vivre.
Le mariage des deux tourtereaux n’a ainsi rien d’une grande fête où la musique et l’alcool coulent à flots. C’est plutôt une triste cérémonie rituelle qui marque le passage à l’âge adulte, le début d’un parcours personnel dont peu de personnes sortent comblés : durant ce mariage, les parents du jeune couple lui souhaitent « une meilleure vie que celle que j’ai eue ». Visiblement sans trop y croire. L’avenir n’est pas rose dans la Pologne des années 70.
Le film donne vraiment l’impression de s’immerger dans cette société qui n’a rien de séduisante. Pourtant, on ne voit quasiment rien de la Pologne de cette époque. Ni les rues, ni les maisons, ni les passants, ou presque… Les très gros plans dévorent l’écran, à l’exclusion de tout véritable décors, ou presque. Une façade par ci, un parc pour enfants par là, guère plus… Kieslowski sait que c’est à travers les personnages et leur vérité qu’il décrira le mieux les réalités de la Pologne. Le cinéaste se tourne déjà vers la fiction pure.
Avec des non-acteurs qui jouent leurs propres rôles devant la caméra, Kieslowski signe un film visuellement très laid (y’a pas, je préfère quand même nettement La double vie de Véronique), mais étrangement fascinant, qui crée une atmosphère à la fois triste et désespérée (où est le salut ? où sont les rêves dans ce pays rongé par une administration à la Kafka, et d’énormes problèmes de logement ?), et ouvertement tourné vers l’avenir. Les enfants, les bébés même, sont omniprésents dans le film. L’avenir du pays, ce sont eux. Kieslowski ne se fait pas d’illusion sur la société dans laquelle il vit. Mais il croit visiblement en la possibilité d’un nouveau départ…