La Princesse errante (Ruten no ōhi) – de Kinuyo Tanaka – 1960
Pour son quatrième film derrière la caméra, cinq ans après Maternité éternelle, Kinuyo Tanaka change de registre. Et gagne ses galons de réalisatrice de gros budget, avec son premier film en couleurs et en cinemascope, et avec l’une des grandes stars de l’époque, Machiko Kyo.
Mieux encore : c’est elle, Kinuyo Tanaka, qui décide d’adapter l’autobiographie de Hiro Saga, Japonaise au destin extraordinaire, qui lui donne l’occasion de signer un film dans la lignée de Guerre et Paix, ou du Docteur Jivago (que David Lean adaptera cinq ans plus tard). Hiro Saga, jeune femme aspirant à une vie d’artiste, ballottée par les remous d’une histoire pleine de violences.
Le film commence par une mort, en 1957. Le visage éploré de l’héroïne penché sur… Vingt ans plus tôt, elle n’est qu’une jeune étudiante artiste, lorsqu’elle est choisie (sur photo) pour épouser le frère de l’empereur de Mandchourie, pour consolider les liens fragiles entre le Japon et la Chine. Contre toute attente, le mariage est heureux, emprunt d’une étonnante simplicité. Une fillette naît de ce mariage. Mais la guerre éclate, les rapports entre Chine et Japon se tendent, et l’armée soviétique menace…
On le sait depuis son premier film, le cinéma de Kinuyo Tanaka n’est pas joyeux, joyeux. Ici, il flirte avec la pure tragédie, avec une ampleur et un lyrisme que la réalisatrice maîtrise admirablement. En soulignant constamment la beauté et la pureté de la nature qui sert de cadre aux drames et aux tueries, Tanaka annonce même la force de cinéastes comme Michael Cimino, ou Terrence Malick. Avec une modernité assez sidérante.
Son film, magnifique, est un pamphlet contre l’absurdité de la guerre, qui sépare des familles qui ne demandaient rien d’autre qu’une vie paisible, et le portrait sensible et plein d’intensité d’une jeune femme complexe et débordant d’amour. Dit comme ça, ça peut paraître naïf. Ça ne l’est jamais : le regard de la cinéaste est constamment juste, et précis, usant du chapitrage et de la voix off pour rythmer le récit, pour souligner l’accumulation des épreuves et la résilience.
Quatrième film, quatrième merveille… Kinuyo Tanaka, en plus d’être une grande actrice au sommet de son art (elle vient alors de retrouver Ozu pour Fleurs d’equinoxe), fait décidément partie des cinéastes les plus enthousiasmants de cet âge d’or du cinéma japonais.