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Archive pour la catégorie '1930-1939'

Retour à l’aube – d’Henri Decoin – 1938

Posté : 12 mars, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, DARRIEUX Danielle, DECOIN Henri | Pas de commentaires »

Retour à l'aube

Elle est simple, cette histoire : la jeune et jolie femme du chef d’une petite gare découvre la ville et ses tentations, au risque de se perdre. Simple, et semblable à tant d’autres films qui opposent l’innocence des jeunes filles de la campagne au cynisme des citadins.

Le fond du film n’est guère différent. Mais pour ce qui est de la forme… Decoin signe une petite merveille, à la fois légère et grave, anodine et d’une intensité folle. La jeune fille, c’est Danielle Darrieux forcément, la muse incontournable du réalisateur à cette époque (à moins que ce ne soit le contraire). Le couple représente alors une sorte d’idéal de cinéma, et Retour à l’aube est l’un de leurs chefs d’œuvre.

Elle est merveilleuse, Darrieux, dans le rôle de cette jeune innocente confrontée aux tentations, aux doutes, aux drames, en une seule soirée qui vaut une vie, tout ça à cause d’un train raté pour deux minutes. « Deux minutes m’ont perdue… On croit que ce n’est rien, deux minutes… » Le regard de Darrieux, ses lèvres en suspension, ses cris paniqués… Le genre de rôle qui suffit à faire la réputation d’une actrice. Elle en aura d’autres, des rôles marquants, mais celui-ci est magnifique.

Decoin, grand cinéaste et grand amoureux, ne la quitte pas un instant. Il la filme avec passion. Il filme aussi l’effet qu’elle fait sur les autres et c’est aussi beau : les regrets des employés d’un hôtel qui la regardent partie les menottes aux poignets, les réflexions pleines de désirs de riches peu reluisants, le trouble de policiers pas si inflexibles, celui d’un grand voleur et grand séducteur, et la vulnérabilité tardive d’un mari pas si froid…

Il est beau ce film, parce que Darrieux est grande, et parce que Decoin, cinéaste décidément précieux et trop peu reconnu, filme chaque situation, si anodine soit-elle, comme s’il s’agissait du sommet du film. C’est la marque de ses plus belles réussites. C’est de cette passion totale que naît les torrents d’émotion que suscite Retour à l’aube. Une merveille. Point.

Remous – d’Edmond T. Gréville – 1935

Posté : 8 février, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, GREVILLE Edmond T. | Pas de commentaires »

Remous

Le désir est un thème qui réussit bien à Gréville, à qui on devra le très bon Port du Désir avec Gabin, ou le formidable Le Diable souffle, que Remous annonce à bien des égards. Formellement, on retrouve la même ambition, la même volonté d’utiliser toute la force du cinéma, avec une narration avant tout basée sur les silences, les regards, le mouvement, les ellipses (superbes et lancinantes, les ellipses).

Du grand cinéma, sur un sujet fort et audacieux : l’impuissance d’un homme, sorti diminué d’un accident de la route durant son voyage de noces, et la frustration de plus en plus difficile à gérer de sa jeune et belle épouse, qui l’aime sincèrement mais se retrouve face aux réalités de son corps et de ses désirs. Tout ça est bien plus que suggéré dans ce film à la fois direct et délicat.

Gréville, par successions d’épisodes entrecoupés par des plans d’eaux en furie (tout un symbole), filme ce couple si beau dont la perfection se fissure au fur et à mesure que le quotidien s’impose, un peu comme un barrage qui se remplirait peu à peu jusqu’à… jusqu’à quoi au fait ? Qu’il n’explose, ou qu’au contraire les eaux s’apaisent et se reposent ? Comme un symbole, encore : le mari, architecte, est justement en train de construire un barrage.

Surtout, Remous est un film de regards, croisés ou évités. On n’y parle pas beaucoup, et les paroles sont le plus souvent noyées sous une musique très présente, très puissante. Un peu gênante d’abord, et puis on réalise la futilité des rares paroles, et la force des images. Gréville revendiquait lui-même cette volonté de raconter par l’image, en digne héritier des réalisateurs du muet. Aux dialogues, il préfère l’évocation symbolique, multipliant les gros plans évocateurs qui disent plus que de longs discours sur l’état d’esprit des personnages.

Direct et délicat, inspiré et audacieux, Remous est un film puissant et profond, et très émouvant ce qui ne gâche rien.

Comme les grands (No greater glory) – de Frank Borzage – 1934

Posté : 14 janvier, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, BORZAGE Frank | Pas de commentaires »

No greater glory

De L’Heure suprême à L’Adieu aux armes, le pacifisme de Borzage ne fait guère de doute. No greater glory, film nettement plus obscur dans son abondante (et passionnante) filmographie, s’inscrit dans cette veine, mais avec un parti-pris beaucoup plus surprenant. Pour mettre en valeur l’absurdité de la guerre, Borzage filme l’affrontement de deux bandes de gamins se battant pour un terrain vague dans la ville.

Le procédé en soi n’est pas le plus fin du monde. Ce parallèle entre la Grande Guerre encore si proche et des batailles d’enfants peut sembler bien péremptoire, surtout que le scénario va très loin dans l’analogie et le pathos, jusqu’à un final tragique dont on peut souligner l’audace et la sincérité, ou mettre en doute le bon goût. Ou reconnaître que ces deux propositions se valent également.

Mais plusieurs aspects font clairement basculer le film du côté de la fable cruelle mais humaine. D’un côté, l’humanité, justement, qui domine encore chez ces enfants qui, bien que prêts à tout pour défendre leur terrain sans charme, ont gardé leurs cœurs grand ouverts et regardent leurs adversaires avec une étrange affection… variation enfantine et presque naïve d’un thème cher à Renoir.

Borzage capte l’innocence toujours présente dans ces regards déterminés. L’amour, aussi. Il capte aussi, et c’est l’autre belle réussite de ce film, les regards des adultes, vétérans des tranchées. Avec une piquante ironie d’abord : le film commence sur le front de 1918, avec un soldat hurlant sa haine de la guerre et du patriotisme… le plan suivant montrant le même soldat, redevenu professeur après la guerre, assurer à ses élèves que rien ne vaut le patriotisme, et que la guerre est le meilleur moyen de l’exprimer.

Un autre moment, moins ironique et plus anodin en apparence, est remarquable. Alors que les enfants n’ont plus que le mot « guerre » sur les lèvres, le gardien du terrain, un vétéran à qui manque un bras, souffle ce simple mot, « guerre », comme abattu par l’obstination des plus jeunes de répéter les erreurs/horreurs de leurs aînés. Un simple mot, et peut-être le plus beau moment du film, le plus borzagien, le plus déchirant.

La Forêt pétrifiée (The Petrified Forest) – d’Archie Mayo – 1936

Posté : 13 janvier, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, BOGART Humphrey, MAYO Archie L. | Pas de commentaires »

La Forêt pétrifiée

Née une quinzaine d’années après ce film, la fille d’Humphrey Bogart et Lauren Bacall s’appelle Leslie Howard Bogart. C’est dire l’importance qu’a, dans la vie de Bogart, l’acteur Leslie Howard, dont on se dit pourtant qu’ils n’ont strictement rien en commun : d’un côté, un charme désuet et british ; de l’autre, un charisme brut et dangereux. Il y a une raison à cela : en 1936, lorsque la Warner a décidé d’adapter la pièce de théâtre dans laquelle jouaient les deux acteurs, c’est Howard qui a imposé la présence de Bogart à l’écran, les producteurs préférant à cet obscur second rôle une valeur nettement plus sûre comme Edward G. Robinson.

Cette fidélité de Howard, qui a conditionné sa participation au film à celle de son camarade de scène, a radicalement changé la vie de Bogart : c’est sa prestation du gangster Duke Mantee, tueur que l’on sent tiraillé par des sentiments plus profonds, qui a révélé la star, lui ouvrant la voie vers le Roy Earle de High Sierra, puis vers ses rôles les plus iconiques des années 40. Et il se trouve qu’au delà de cet aspect forcément historique, La Forêt pétrifiée est un film formidable.

Archie Mayo ne cherche pas à échapper au procédé théâtral : son film respecte quasi scrupuleusement les unités de temps et de lieu. Toute l’action se déroule dans ce bar-restaurant-station essence perdu au milieu du désert de l’Arizona, sorte d’oasis poussiéreux totalement coupé du monde. Pourtant, la mise en scène de Mayo est très cinématographique, dans sa manière de faire ressentir la présence de la nature : les vastes paysages omniprésents, le ciel immense et étoilé, le vent qui souffle sur une terrasse, la poussière qui colle aux vêtements…

D’un procédé narratif assez classique (une petite communauté prise en otage par des gangsters en cavale, comme dans Key Largo ou Desperate Hours, deux autres Bogart), Mayo tire une sorte de fable autour de la révélation d’une jeune femme qui s’ouvre à sa propre vie. C’est Bette Davis, craquante et pétillante, peut-être un peu trop pour ce personnage qui étouffe littéralement dans cette vie qui ne lui offre aucun horizon.

On pourrait aussi s’agacer du détachement toujours très british de Leslie Howard, qui semble un peu daté aujourd’hui. Mais le couple qu’il forme avec Bette Davis est touchant, et la relation qu’il noue avec Bogart est assez fascinante. Justement parce que les deux acteurs, comme les deux personnages, sont deux opposés, attirés par un même idéal.

La Terre (Zemlya) – d’Aleksandr Dovzhenko – 1930

Posté : 11 janvier, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, DOVZHENKO Aleksandr, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

La Terre

Le cinéma russe muet lance ses derniers feux avec ce film, qui évoque cette période très précise de la révolution, lorsque les terres agricoles cessent d’être des propriétés privées. C’est ce tournant, contemporain au tournage, qui est au cœur de ce film, et qui attise les tensions entre les membres d’une petite communauté. Et mine de rien, c’est le temps qui passe et qui emporte tout que capte ce film, qui commence par une étonnante scène de mort pour se terminer par une naissance plein de tension et de vie…

Les générations qui passent, les aspirations qui changent… Quatre générations cohabitent plus ou moins harmonieusement dans cette communauté. Le patriarche d’abord, qui assiste dans la première séquence, fascinante et apaisée, à la mort de son vieil ami dans un paysage de campagne baigné de lumière. « Tu meurs, Petro ? - Je meurs, Semyon. » Un silence… « D’accord, meurs. » pas de drame, une sorte de communion absolue entre l’homme, la terre, les arbres, et ça fait jaillir des torrents d’émotion qu’on n’avait pas vu venir…

Omniprésent, le dernier né, qui observe son entourage avec l’innocence et les espoirs du premier âge. Et entre ces deux extrêmes, Vassil et son père : l’un est un jeune homme qui encourage le changement, le second un homme entre deux âges attaché à la propriété. Jusqu’au jour où Vassil, tout à sa joie de conduire un tracteur, arrache les bornes qui délimitent un champs. La nouvelle fait l’effet d’un drame. Peu après, le jeune homme est tué…

L’histoire est très simple, les personnages parfois contraints à la fonction qu’ils représentent… Mais le film a un force incroyable, parce qu’il est la quintessence du cinéma muet russe, merveille de rythme et de montage, et parce que toutes les images y font sens. Ode à la révolution russe ? Ce n’est pas si simple, tant le regard de Dojkenko est plein d’ironie (l’arrivée « triomphale » du tracteur par exemple).

Son film est en tout cas une ode magnifique à ce rapport si fort qui unit l’homme à la terre, au-delà de toutes les révolutions et de toutes les générations. Voir l’incroyable première scène, donc, mais aussi la manière dont le père se tient droit dans son champs, ou cette danse nocturne où chaque pas du jeune Vassil soulève des nuages de poussière. Moment magique et envoûtant, où la frontière entre la vie et la mort s’efface.

Maria Marten, or the murder in the red barn (id.) – de Milton Rosmer – 1935

Posté : 9 janvier, 2023 @ 8:00 dans * Polars européens, 1930-1939, ROSMER Milton | Pas de commentaires »

Maria Marten or the murder in the red barn

Le film commence sur une scène de théâtre, où un « M. Loyal » présente au public les personnages et les acteurs qui vont interpréter le drame sur le point de se jouer. Puis le rideau se lève, et nous voilà plongé dans l’Angleterre rurale des années 1820…

Le procédé narratif n’est pas neuf, ni très original. Il donne ici le sentiment d’être utilisé pour excuser à l’avance le jeu très théâtral et exubérant des comédiens, à commencer par la « star » du film (son nom s’inscrit en lettres deux fois plus grandes que le titre) ; Tod Slaughter, vedette de l’époque spécialisée dans les films d’épouvante victoriens.

Il est ici un noble désargenté dont on sait dès le lever de rideau qu’il sera le grand méchant de l’histoire. Une histoire vrai à propos, ou à peu près : le film s’inspire d’un authentique fait divers de cette époque. Une jeune femme, Maria Marten, a été assassinée par celui qui était son amant, et qui a prétendu après avoir reçu des lettres de Maria, disparue mais bien en vie. Jusqu’à ce que le corps de la victime soit retrouvée dans une grande rouge.

C’est dans cette grange que se déroulent les deux séquences les plus réussies du film, celles où la tension atteint son apogée, où les grands gestes et les roulements d’yeux de Tod Slaughter épousent le mieux les jeux d’ombres et le style dramatique de Milton Rosmer. Là, le temps de ces deux séquences, le film évoque certains films de James Whale, voire de Tod Browning. En mode très mineur.

Les Bleus du Ciel – de Henri Decoin – 1933

Posté : 5 janvier, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, DECOIN Henri | Pas de commentaires »

Les Bleus du ciel

On ne compte plus les films prenant pour cadre de fond un terrain d’aviation, dans ces années 30 où les héros du ciel sont si populaires. Celui-ci, premier long métrage que Henri (Henry) Decoin signe de son seul nom, choisit la légèreté, en se focalisant sur l’amour que ressent un mécanicien un peu invisible pour la fille du patron, qui est aussi le meilleur pilote du club local.

Comme le jeune homme énamouré est joué par Albert Préjean, alors on chante beaucoup dans Les Bleus du Ciel, où l’action est régulièrement entrecoupée par des chansons. Une, surtout, qui revient comme un mantra : « Je suis quelqu’un maintenant », hymne à la méthode coué qu’un professeur d’énergie (joué par Palau, qu’on a connu moins excessif) tente d’insuffler au jeune Préjean, qui vient lui demander conseil.

C’est léger, et assez inconsistant. Mais c’est aussi charmant, grâce à la gouaille de Préjean, au charme insolent de Blanche Montel, aux acrobaties du chien, et surtout au regard de Decoin, qui filme ses personnages avec une vraie sensibilité. Il crée aussi des espèces de bulles d’humanité dans un décor plein de vie, où les protagonistes, Préjean en tête, se trouvent des recoins discrets pour laisser transparaître leur humanité : une cabane au bord du terrain d’aviation, l’ombre d’une aile d’avion, le couvert d’un buisson…

Le talent de Decoin est en construction, et le cinéaste fera mieux dès son film suivant (Toboggan), et encore plus avec celui d’après, Le Domino Vert, qui marquera sa rencontre avec Danielle Darrieux. Techniquement, le film reste aussi très imparfait. Mais il y a un grand charme qui se dégage de ces Bleus du Ciel, petite chose joyeuse et pleine de vie.

Frankenstein (id.) – de James Whale – 1931

Posté : 4 décembre, 2022 @ 8:00 dans 1930-1939, FANTASTIQUE/SF, WHALE James | Pas de commentaires »

Frankenstein 1931

Il y a eu beaucoup d’adaptations du roman de Mary Shelley, au fil des décennies. Mais celle-ci, la première parlante, reste l’une des plus marquantes. Pas la plus fidèle (le film est d’ailleurs plus spécifiquement adapté d’une pièce de théâtre signée Peggy Webling), mais sans doute celle qui a eu le plus grand impact sur tout le genre fantastique.

Formellement, c’est une merveille. Et c’est frappant dès les toutes premières images : cette scène d’enterrement qui ouvre le film, d’un expressionnisme digne des grandes heures du cinéma allemand. Dans des décors que l’on devine réduits, James Whale frappe les esprits avec une esthétique hyper soignée qui joue constamment avec la profondeur de champs, les premiers plans, pour inscrire l’idée même de la mort dans l’esprit des spectateurs.

Tout au long du film, James Whale crée comme ça de grands moments de cinéma. On pourrait en citer des tas, retenons le face-à-face tendre et terrible à la fois entre le monstre et la fillette au bord de l’étang, bref moment de grâce au cours duquel il découvre brièvement ce qu’est l’innocence. D’autres images sont inoubliables : l’arrivée d’un père portant le cadavre de sa fille dans une ville en liesse, ou la scène du moulin bien sûr, d’une puissance visuelle hallucinante…

Frankenstein, au-delà de l’incarnation stupéfiante et définitive de Boris Karloff, va profondément influencer tout un pan du fantastique, et pas uniquement dans les années 30 : tout le cinéma de Tim Burton est marqué par ce conte macabre glaçant. On imagine bien ce qu’a pu être le choc des spectateurs de 1931. Avant le début du film lui-même, un type de la production apparaît d’ailleurs sur scène, s’adressant aux spectateurs qu’il met en garde.

Et c’est vrai que, même neuf décennies plus tard, ce Frankenstein reste traumatisant, la meilleure peut-être des adaptations du roman de Mary Shelley… qui n’a d’ailleurs pas encore droit à son prénom, le générique évoquant le roman de Mrs. Percy Shelley.

Méphisto – de Henri Debain et Georges Vinter – 1931

Posté : 13 novembre, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, DEBAIN Henri, GABIN Jean, VINTER Georges | Pas de commentaires »

Méphisto

Le film invisible, celui que les vrais amoureux de Gabin rêvaient de voir depuis des décennies : ce film dont on savait vaguement qu’il existait une copie conservée dans une cinémathèque (celle de Toulouse), mais qui n’était jamais sortie de sa boîte. Et voilà que les indispensables magiciens de Lobster Films se sont lancés dans une restauration du film, qui permet aujourd’hui de découvrir enfin ce film mystérieux, dans tous les sens du terme.

Verdict final, pour commencer : Méphisto n’est pas un chef d’œuvre. Très influencé par le Fantômas de Louis Feuillade, il reste encore très marqué par l’esprit de ces serials des premiers temps, avec un méchant au look iconique (chapeau profondément enfoncé, grand manteau, large écharpe dissimulant le visage), un super-enquêteur sur sa piste (Gabin en personne), des fausses-pistes, des rebondissements et des cliffhangers qui clôturent les différentes parties (le film est divisé en quatre chapitres).

Mais aussi : un rythme qui semble déjà approximatif en ce début des années 30. Le début, surtout, est assez poussif, avec un jeu d’acteur qui semble bien maladroit. Même Gabin paraît un peu emprunté. Il faut dire à sa décharge qu’il n’a que peu d’expérience de l’écran : il n’a alors à son actif qu’un unique long métrage, Chacun sa chance. Il est encore connu avant tout pour sa carrière au music-hall, où il se livre à des numéros très influencés par Maurice Chevalier.

En pleine enquête, on le voit donc monter sur scène (littéralement) le temps d’une chanson qui a tout d’un tube pour l’époque : « J’aime les grosses femmes »… Tout un programme ! Curieusement, c’est en montant sur scène dans un boui-boui marseillais que son personnage gagne en épaisseur, et que Gabin semble gagner en confiance. Son jeu s’affirme, sa présence s’impose. Ce n’est pas encore le grand Gabin, mais c’est un Gabin en construction, et c’est passionnant.

Comme il est passionnant de le voir dominer les débats dans ce qui est son premier rôle de flic (il faudra attendre près de vingt-cinq ans pour le revoir endosser l’imper du policier, ce sera pour Razzia sur la chnouf), véritable héros quasi-omniprésent à l’écran. Il lui manque encore un peu d’épaisseur, c’est vrai. Mais à sa décharge, le scénario est assez improbable, avec un « génie du crime » dont on se demande bien ce qu’il cherche vraiment, et qui passe quand même tout le film à rater à peu près tout ce qu’il essaye…

Mais il y a quelques belles idées (le « résumé » des épisodes précédents qui utilise la voix populaire autour des journaux du jour), de beaux moments de suspense (la scène du train, ou celle de la cave, fort joliment réalisées et très tendues), une belle manière de filmer les ruelles de Marseille, ou les extérieurs parisiens. Une fraîcheur aussi, et une générosité dans l’action et les rebondissements. Et le plaisir, immense, de découvrir cette curiosité. Enfin.

L’Etrange Monsieur Victor – de Jean Grémillon – 1938

Posté : 31 octobre, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, GRÉMILLON Jean | Pas de commentaires »

L'Etrange monsieur Victor

Un bourgeois bien installé et aimé de tous cache une double-vie au service de la pègre. Ce thème souvent repris par la suite (pour Le Bienfaiteur notamment, avec le même Raimu) vaut à Jean Grémillon l’une de ses grandes réussites. Le cinéaste est alors au sommet de son art : ce long métrage est tourné entre Gueule d’amour, immense succès, et Remorques, immense chef d’œuvre. L’Etrange Monsieur Victor semble plus anecdotique sur le papier. Mais la réussite est tout aussi frappante.

Il y a Raimu, d’abord, acteur extraordinaire qui sait être dans le même mouvement léger et drôle, et taciturne et inquiétant. La manière dont il utilise ses accents de comédie tout en laissant apparaître la noirceur de son regard est impressionnante. En particulier dans la dernière partie du film, où on attend vainement la rédemption qui semble évidente depuis longtemps. Mais on est chez Grémillon, cinéaste peu porté sur les sentiments faciles.

Il est donc question de culpabilité : cet homme qui cache habilement sa double-vie, et qui laisse un innocent condamné pour meurtre à sa place. Un homme totalement conscient de sa lâcheté, et prêt à tout pour se racheter. Enfin non, pas vraiment tout. Le faux coupable, c’est Pierre Blanchar, acteur toujours juste, mais pas toujours intense. C’est particulièrement frappant lors d’une scène clé, lorsque son personnage, échappé du bagne et réfugié chez Raimu, réalise qu’il est tombé amoureux de la femme de celui-ci, jouée par Madeleine Renaud. Elle laisse transparaître son trouble. Lui reste distant et dépassionné. Hélas.

Seul bémol, vraiment. Le film marque surtout pour la manière dont Grémillon filme le microcosme de ce petit quartier de Toulon : les scènes de rue grouillantes de vie, les sons du quartier résonnant dans l’appartement trop calme, l’ambiance des petits bistrots interlopes, les dialogues entre deux gamins… C’est dans ces petits détails, dans la vie que le cinéaste parvient à capter dans la moindre séquence, que repose la richesse du film.

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