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Archive pour la catégorie '2020-2029'

Avatar, la voie de l’eau (Avatar : The Way of Water) – de James Cameron – 2022

Posté : 1 mars, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, CAMERON James, FANTASTIQUE/SF | Pas de commentaires »

Avatar La Voie de L'Eau

Treize ans d’attente (enfin… un peu pour ceux qui, comme moi, ont attendu fin 2022 pour découvrir Avatar), treize ans sans long métrage de fiction, treize ans de frustration pour les amoureux d’Abyss et Terminator 2 (ses deux chefs d’œuvre, n’est-ce pas?). Et la seule question qui se posait vraiment… Non pas : est-ce qu’Avatar 2 se montrera à la hauteur stratosphérique des précédents films du réalisateur ? Mais : est-ce que Cameron a toujours cette patte qui n’appartient qu’à lui ? Cette façon de rendre évidentes les situations les plus complexes, les plus chaotiques…

Disons pour faire simple que Cameron a un langage cinématographique qui s’apparente à la fameuse ligne claire de la bande dessinée. Et oui, il l’a toujours, avec la même acuité, le même sens inné de la narration et de l’action. Bref : Cameron reste sans conteste l’un des grands narrateurs du cinéma contemporain. L’un des plus ambitieux visuellement aussi. Et, hélas, l’un des très rares habitués des blockbusters pour qui les effets spéciaux et le grand spectacle sont, toujours, au service du film, et pas leur seul objectif.

En cela, James Cameron est peut-être le seul (en tout cas l’un des rares) cinéaste que l’on puisse comparer à Spielberg. Comme son aîné, il a inventé une forme ultime de divertissement, que beaucoup ont copié en ne gardant que l’aspect spectaculaire innovant, et en oubliant qu’il y avait derrière ça le regard d’un auteur. Cameron est un auteur, c’est une évidence. Et ça l’est particulièrement dans cette (première) suite tardive, qui prolonge l’expérience du premier film, tout en étant une sorte de synthèse de toute l’œuvre du cinéaste.

Avatar 2 est un film passionnant. C’est aussi un film frustrant. Parce qu’il semble acter le fait que Cameron va passer le reste de sa carrière sur Pandora, et parce qu’il n’apporte pas grand-chose de neuf. OK, la forêt a laissé la place à la mer. Mais à part ça ? On reprend les mêmes, ou presque, et on recommence. Deux personnages phares (interprétés par Sigourney Weaver et Stephen Lang) ont disparu ? On trouve des solutions un peu faciles pour les faire revenir d’une manière ou d’une autre… C’est l’avantage des avatars : ça permet beaucoup de choses.

Pour le reste, l’histoire se résume à quelques rebondissements, et le film, qui dure plus de trois heures, aurait pu sans problème être deux fois moins long sans qu’on n’y perde grand-chose. C’est spectaculaire et grisant (même en 2D), mais ni plus ni moins que le premier film. Et le grand morceau de bravoure qui vient clore le film, à bord d’un bateau en pleine déroute, s’apparente à une sorte d’immense best-of du cinéma cameronien, citant dans la même scène Titanic, T2, Abyss et le premier Avatar. Cameron n’a rien perdu de son savoir-faire, mais on aimerait qu’il se remette à nous surprendre. Juste une dernière fois.

La Conspiration du Caire (Walad min al Janna) – de Tarik Saleh – 2022

Posté : 11 février, 2023 @ 8:00 dans * Polars européens, 2020-2029, SALEH Tarik | Pas de commentaires »

La Conspiration du Caire

Le fils d’un pêcheur est accepté dans la prestigieuse université al-Azhar du Caire, haut lieu de l’enseignement islamique. Là, il deviendra le jouet des services de sécurité du pays, qui veulent en faire leur taupe pour infiltrer les frères musulmans, qui eux-mêmes auraient infiltré l’université. Vraiment ?

Le réalisateur d’origine égyptienne (il a la nationalité suédoise), à qui on doit déjà Le Caire Confidentiel, laisse un temps planer l’idée que son film se résumerait à ça : la menace intégriste qui rongerait le monde musulman de l’intérieur. Son scénario est en fait autrement plus retors, et son film nettement plus politique que religieux : c’est la société égyptienne dans ce qu’elle a de plus trouble et opaque qui est au cœur de l’histoire.

Film engagé, mais aussi thriller efficace, La Conspiration du Caire multiplie les fausses-pistes et dévoile une société rongée par la corruption, la manipulation, la violence institutionnelle. Dans ce vaste jeu de massacre, le pauvre étudiant se retrouve ballotté au gré de ses rencontres, utilisé sans trop de vergogne par à peu près tout le monde, y compris ce flic un peu paumé, un peu tendre, capable des pires dérives comme de la plus folle rédemption.

La religion, finalement, n’est qu’une passionnante toile de fond, un peu à la manière du Nom de la Rose. Et plutôt que l’islamisme radical, ce sont les cent nuances de l’Islam que met en lumière Tarik Saleh, dont le style impressionne dès qu’il filme l’institution religieuse : superbes travellings sur des apprentis imams évoluant dans le décor de l’université, plongées vertigineuses sur une « armée » d’étudiants coiffés de rouge…

Tourné loin de l’Egypte, où le réalisateur est « indésirable » depuis avant Le Caire Confidentiel, Tarik Saleh ne risque pas de renouer avec son pays d’origine avec ce film, passionnant… thriller?… parcours initiatique ?… pamphlet ? Tout ça à la fois, pour une plongée fascinante et oppressante dans une guerre de pouvoir assez glaçante.

Babylon (id.) – de Damien Chazelle – 2022

Posté : 10 février, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, CHAZELLE Damien | Pas de commentaires »

Babylon

Est-ce la mauvaise passe que traversent les salles obscures ? Le cinéma en tant que sujet n’a peut-être jamais autant inspiré les grands cinéastes qu’aujourd’hui. David Fincher (Mank), Quentin Tarantino (Once upon a time in Hollywood), Steven Spielberg (The Fabelmans)… et Damien Chazelle, pas encore quadragénaire, qui nous plonge avec Babylon à l’époque charnière de la fin du muet et du début du parlant.

Cette période a inspiré plus d’un film, de Chantons sous la pluie à The Artist. Chazelle rend d’ailleurs un bel hommage au film de Stanley Donen et Gene Kelly, particulièrement dans la très belle dernière scène, dans une salle de cinéma. Il y en a plusieurs, des scènes qui se passent dans des salles obscures, toutes différentes, toutes poignantes, toutes pleines de vie. Parce que Chazelle a beau signer un film profondément nostalgique, Babylon est aussi et avant tout un chant d’amour plein de vie au cinéma d’hier et d’aujourd’hui.

Le moment qui résume, peut-être, le mieux le propos du film, c’est cette scène où une critique à la plume acerbe confirme à la star sur le déclin que oui, ses jours de gloire sont terminés, mais que ce qu’il laisse dépasse de loin sa propre personne. Que des enfants qui naîtront cinquante ans plus tard vibreront devant les films qu’il a fait, devant ce qu’il représentera pour toujours, en tout cas pour longtemps.

On pourrait comparer Babylon à Une étoile est née, pour les destins croisés de cette grande star sur le déclin et de cette starlette en pleine ascension (Brad Pitt et Margot Robbie, formidables tous les deux). Mais ce serait aller un peu vite. Chazelle, cinéaste, est au moins autant chef d’orchestre. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler dans son film, mais des personnages qui se croisent et interagissent comme des musiciens, ou comme les notes d’une partition qui passe du gigantisme à l’intime avec une maîtrise exceptionnelle du mouvement.

On parle de la séquence d’ouverture ? Ou plutôt non : « des » séquences d’ouverture ? D’abord, une soirée d’orgie hallucinante qui nous dévoile d’emblée l’envers du rêve, la débauche et la vulgarité de stars dont l’humanité est dévoilée avec beaucoup de crudité. Et puis l’autre envers du décors : un plateau de cinéma en plein air, où se tournent simultanément plusieurs films dans un bordel absolument pas organisé, mais d’où naissent de vrais moments de pure magie : une larme qui coule au bon moment, un coucher de soleil miraculeux et un papillon sur le noir, qui donnent du sens au chaos.

Chazelle filme ce chaos à grand renfort de travellings, de gros plans et de plans très larges, démiurge dont le style impressionnant n’est jamais écrasant, toujours extrêmement maîtrisé et même très humain. Chazelle filme une époque et un mouvement, pas un biopic. D’ailleurs, à de rares exceptions près (Thalberg notamment), tous les personnages sont fictifs, quoi que très inspirés par d’authentiques personnalités, à l’image du personnage de Brad Pitt qui évoque la figure de John Gilbert.

Le film commence en 1926, mais les figures qu’on y croise évoquent parfois un Hollywood plus ancien encore : celui des années 1910 où tout se construisait, et du début des années 1920. L’overdose de la starlette sous les yeux d’une vedette très opulente, au début du film, rappelle évidemment la déchéance de Roscoe Arbuckle en 1921. Chazelle s’autorise beaucoup de liberté, pour mieux restituer la folie d’une époque révolue, et la perte d’une certaine idée de la liberté justement.

Moins spectaculaire mais tout aussi impressionnante : la séquence où l’actrice qui monte tourne sa première scène parlante, le silence absolu et les règles draconiennes ayant remplacé sur le plateau l’effervescence et le joyeux bordel des tournages muets. Margot Robbie y est d’ailleurs absolument formidable, attirant la lumière jusque dans ses nuances de jeux.

C’est aussi l’histoire d’un idéal perdu, et de l’apparition d’un Hollywood où les femmes n’ont plus leur place que sur l’écran, et les noirs n’ont d’intérêt que pour les rentrées qu’ils peuvent assurer dans leur communauté. Cruel et désenchanté, mais pas totalement cynique : l’amour du cinéma domine constamment, jusque dans la folie glauque de la scène du blockhaus (un peu too much, mais glaçante), et dans la dernière scène mélancolique et déchirante de Brad Pitt, inoubliable.

Mais le cinéma, c’est un peu plus que la vie. Chazelle le ressent profondément, et il en fait le cœur de son film, extravagant et sensible. Beau.

Les Banshees d’Inisherin (The Banshees of Inisherin) – de Martin McDonagh – 2022

Posté : 4 février, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, McDONAGH Martin | Pas de commentaires »

Les Banshees d'Inisherin

Mais pourquoi donc Colm a-t-il décidé de ne plus adresser la parole à Padraic, son ami de toujours ? Ils ne se sont pas disputé pourtant. Mais simplement… « I don’t like you no more », lâche Colm, les yeux rivés dans ceux de son ancien ami. Qui ne comprend pas. Et pour qui ce rejet soudain constitue un séisme dans une vie jusqu’ici parfaitement harmonieuse : chaque après-midi, direction le pub avec son ami, avant de s’y retrouver le soir.

C’est que sur Inisherin, une île isolée au large de l’Irlande, la vie s’écoule lentement, sans heurt, loin de cette guerre civile dont on parle vaguement sans la comprendre, et dont on entend quelques éclats de loin en loin, de l’autre côté du bras de mer (on est en 1923). Il ne s’y passe rien, ou si peu, au grand dam de l’affreuse épicière qui se plaint que ses taiseux de clients ne lui apportent jamais aucune nouvelle.

Martin McDonagh, au scénario et à la caméra, peuple son microcosme de personnages flirtant avec la caricature, comme son ton flirte avec la comédie. Pourtant, il se dégage de cet univers un peu excessif une vérité qui prend aux tripes. Parce que derrière la trop douce sœur de Padraic, derrière le regard demeuré de l’idiot de l’île, derrière la gentillesse obstinée de Padraic et le silence tout aussi obstiné de Colm, McDonagh capte le malaise, la douleur sourde, la solitude écrasante d’un havre coupé des remous du vrai monde.

On sourit, plus qu’on ne rit franchement : l’émotion est toujours là, tapie et prête à surgir, avec l’innocence et la simplicité d’une fable. McDonagh, après le triomphe de Three Bilboards, reforme son duo de Bons baisers de Bruges : Brendan Gleeson, intense en colosse fragile et jusqu’au boutiste, et Colin Farrell, formidable en brave type qui se demande s’il ne serait pas, quand même, un peu idiot sur les bords. Farrell a d’ailleurs reçu le prix d’interprétation à Venise pour ce rôle.

Et puis il y a l’île elle-même, superbement filmée (dans les îles d’Aran). McDonagh capte la beauté spectaculaire de son décor tout en en saisissant le caractère hors du temps, coupé du monde. La belle musique de Carter Burwell (le compositeur quasi-attitré des frères Coen, et fidèle de McDonagh depuis son premier film) souligne cette beauté sauvage et quasi-mystique, qui ressemble à une plongée dans les affres de l’âme humaine.

Une tragi-comédie aux portes de la folie et du désespoir… Une fable autour du sens de la vie… Voilà un voyage beau, triste et plein de vie qui risque bien de me hanter longtemps.

Armageddon Time (id.) – de James Gray – 2022

Posté : 13 décembre, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, GRAY James | Pas de commentaires »

Armageddon Time

Il a fallu des voyages dans la jungle (The Lost City of Z) et dans l’espace (Ad Astra) pour que James Gray se décide à revenir à New York. Et ce retour se fait avec le plus intime, le plus personnel de ses films. Tellement personnel, même, qu’il en est troublant, tant on a le sentiment, scène après scène, que ce sont ses propres souvenirs d’enfance que nous livre le cinéaste, qui semble totalement libéré de toute contrainte de genre, ou d’efficacité immédiate.

James Gray nous plonge dans le New York de 1980, et suit l’histoire d’un gamin du Queens que sa famille cherche à protéger du monde extérieur, mais qui s’attire quelques ennuis avec son copain de classe, qui se trouve être noir, et du Bronx… Si on ajoute que le gamin a l’âge que Gray avait à cette époque, qu’il est roux et malingre, et qu’il rêve de devenir artiste dans une famille qui ne l’est ni de près ou de loin… Difficile d’y voir autre chose que la vision de Gray de sa propre enfance.

Qu’importe d’ailleurs la part de pure fiction. Le cinéaste nous offre une évocation de cette époque charnière pour lui, qui est aussi une époque charnière pour New York et pour l’Amérique, cette époque « d’Armageddon », pour reprendre le titre du film, où s’affrontent tous les possibles des dernières années, et les changements effrayants qui s’annoncent avec le triomphe attendu de Reagan et du libéralisme galopant.

Armageddon Time n’est d’ailleurs pas un film politique, mais James Gray y dévoile une nostalgie profondément intime, et profondément émouvante. Il y rend aussi un hommage appuyé, et plus ou moins conscient semble-t-il, à un cinéaste qu’il a souvent cité comme une référence : Truffaut bien sûr, et particulièrement Les 400 coups. Son héros a à peu près le même âge qu’Antoine Doinel, se retrouve confronté à des incertitudes très similaires… et quand il cherche à s’évader, c’est en volant un ordinateur, qui fait furieusement penser à une certaine machine à écrire.

Sans préjuger de ce que sera The Fabelmans de Spielberg, on jurerait qu’Armageddon Time emprunte les mêmes voies : celles d’un cinéma introspectif, comme si ces (grands) cinéastes ressentaient le besoin de partager une époque fondatrice de leur jeunesse. C’est beau, particulièrement lorsque Gray invoque la figure de ce grand-père joué avec une bouleversante bienveillance par Anthony Hopkins. Et ça nous renvoie tous à nos propres nostalgies. Grand film intime.

Novembre – de Cédric Jimenez – 2022

Posté : 12 décembre, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, JIMENEZ Cédric | Pas de commentaires »

Novembre

Cédric Jimenez, cinéaste pas toujours délicat, qui s’attaque aux attentats du 13 novembre ? On pouvait craindre le pire. La surprise est bonne. Thriller efficace, Novembre est aussi et surtout une espèce de voyage intense et respectueux au sein de notre mémoire collective. Contrairement à Revoir Paris, qui était une évocation qui se libérait de tout poids lié à une reconstitution précise, le film de Jimenez colle réellement aux événements qui ont bousculé la France ces jours-là.

Mais Jimenez choisit de ne rien filmer des attentats eux-mêmes, prenant le parti-pris (évident à ce stade de notre traumatisme à tous) de ne pas mettre en image des tueries dont, tous, on s’est fait nos propres images insoutenables. Son film reconstitue avec minutie les heures et les jours qui ont suivi, et il a la pertinence d’un témoignage personnel, à ceci près que ce serait celui de flics qui se seraient retrouvés plongés dans cette horreur, confrontés à l’urgence de retrouver et de neutraliser au plus vite les survivants de ces attaques.

Plutôt que de se risquer à une représentation des attentats, Jimenez fait dont appel à notre mémoire. Si son film est si fort, si marquant, c’est parce qu’il donne le sentiment de nous plonger dans les coulisses d’images que l’on a bel et bien vues dans ces heures d’angoisse : ces images vides d’un immeuble criblé de balles par exemples, ou d’une capitale foudroyée par la douleur avec des gyrophares en arrière-plan. Novembre réveille ces souvenirs-là, ces images diffusées à la télévision il y a sept ans, qui ne disaient rien d’autre que l’angoisse, la peur et la douleur collectives.

Novembre restitue un récit derrière ces images d’attente, en nous faisant partager l’urgence de ces policiers qui, eux, n’étaient pas dans l’attente mais dans l’action. Là, Jimenez prend des libertés en inventant des personnages, et particulièrement celui du superflic joué par Jean Dujardin. Mais ces libertés, au service de l’efficacité, ne nuisent pas au propos. Après tout, le film n’est pas un documentaire, mais une fiction. Une fiction qui prend en compte le vécu personnel de chacun de ses spectateurs, ce qui n’est pas une mince affaire.

Alors oui, Novembre est une réussite. Radicalement différent du sensible et très beau Revoir Paris, et finalement assez complémentaire. On en sort en tout cas assez assommé. Moins par l’incroyable déluge de feux de la scène de l’assaut, que par tous les souvenirs, toutes les sensations et émotions, qu’il fait resurgir avec une acuité troublante.

Poulet frites – de Jean Libon et Yves Hinant – 2022

Posté : 5 décembre, 2022 @ 8:00 dans * Polars européens, 2020-2029, DOCUMENTAIRE, HINANT Yves, LIBON Jean | Pas de commentaires »

Poulet frites

Quatre ans après le formidable Ni juge, ni soumise, les deux auteurs de la série documentaire Strip Tease sortent de leurs cartons une autre pépite : une enquête autour d’un meurtre à Bruxelles, dont l’indice le plus important, celui qui pourrait innocenter le principal suspect, est une frite retrouvée dans l’estomac de la victime, et qui a « le même calibre » que les frites cuisines par ledit suspect.

On retrouve dans Poulet frites le même esprit que dans le précédent long métrage (et que dans feu la série) : une manière de capter la réalité en filmant les personnages au plus près, dans leur routine quotidienne. Ici, l’équipe a semble-t-il suivi l’équipe de policiers (et la juge Anne Gruwez, la même qui était au cœur de Ni juge…, formidable personnage de cinéma) pendant de longs mois. Cette enquête avait d’ailleurs été diffusée dans Strip Tease il y a une bonne quinzaine d’années, en trois épisodes d’une heure.

Le duo Libon/Hinant en livre un montage inédit, et dans un beau noir et blanc. Et le résultat est passionnant à tous les niveaux. C’est d’abord une plongée documentaire fascinante dans le quotidien de ces flics qui ont accepté de se faire filmer dans la routine de leur travail, devant une caméra qui capte aussi bien lemoments de grâce et d’autres moins glorieux. C’est aussi un vrai polar, auquel le montage au cordeau donne un rythme de fiction.

On s’attache à ces personnages : les policiers souvent dépassés d’abord, mais aussi ce suspect trop évident dont on voit bien que les flics eux-mêmes doutent de la culpabilité. « Si je l’avais tuée, je m’en souviendrais, quand même ! » lance-t-il à plusieurs reprises, rappelant l’essence même de Strip Tease : une manière brute et frontale de filmer des personnages et des répliques qu’un scénariste n’oserait pas inventer. Comme cet indice central dans l’enquête : cette frite retrouvée dans l’estomac de la victime, et cette réplique définitive de l’enquêteur : « Ce qui m’a frappé, c’est le calibre de la frite… »

Les Papillons noirs – mini-série de Olivier Abbou et Bruno Merle – 2022

Posté : 3 décembre, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, ABBOU Olivier, MERLE Bruno, TÉLÉVISION | Pas de commentaires »

Les Papillons noirs

Voilà une mini-série française qui tient toutes ses promesses, et dont l’ambition et la complexité, révélées d’emblée par un générique mystérieux et fascinant, sont parfaitement tenus. Il y a deux niveaux de narration, dans Les Papillons noirs. D’abord, la relation entre un jeune écrivain en panne d’inspiration et le vieil homme qui l’embauche pour qu’il écrive ses souvenirs. Ensuite, ces souvenirs eux-mêmes : l’histoire d’un couple qui a semé la mort à travers la France, pendant des années…

La série joue admirablement sur le rapport entre le passé et le présent, entre la fiction et la réalité. Avec toujours cette frontière si ténue : ce jeu un peu sadique autour de la perception. Le fait que le fil conducteur est l’écriture d’un livre que tout le monde pense être une fiction n’est pas anodin. Le vieil homme (Niels Arestrup, troublant) est le voisin que tout le monde rêverait d’avoir. Le jeune écrivain (Nicolas Duvauchelle, d’une intensité folle) est pour tous ce génie de la littérature dont l’inspiration est un trésor…

Nicolas Duvauchelle est un choix parfait, parce qu’il incarne à la fois la force brute et une vraie fragilité, toujours borderline. Il est le vrai cœur de l’histoire, y compris dans les longs flash-backs dont les horreurs baignées de soleil pèsent sur son propre destin. Les Papillons noirs, c’est avant tout sa descente à lui dans une réalité d’une noirceur insondable, et d’une intimité inattendue.

On n’en dira pas plus, pour ne pas déflorer les nombreuses surprises que réserve la série. Si la tension connaît quelques passages plus creux, le scénario machiavélique relance constamment la machine, pour réussir à surprendre épisode après épisode, emportant tout dans une spirale fascinante et lugubre. Bien plus qu’un simple thriller hyper efficace (ce qu’il est), Les Papillons noirs est un trip addictif et dérangeant dans des abîmes de noirceur.

Le Serment de Pamfir (Pamfir) – de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk – 2022

Posté : 1 décembre, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, SUKHOLYTKYY-SOBCHUK Dmytro | Pas de commentaires »

Le Serment de Pamfir

Il y a d’abord ce masque sous lequel apparaît le personnage principal, qui le renvoie d’emblée à une mythologie basée sur le rapport aux forces de la nature. Il y a aussi cette présence animale, et les grognements qu’il pousse en faisant l’amour à sa femme. Il y a encore cette omniprésence de la forêt, la manière dont il se fond en elle en la traversant au pas de course, sa marchandise de produits de contrebande sur le dos…

Voir un film ukrainien en 2022, ce n’est pas une expérience qu’on aborde de manière anodine. On s’attend, bien sûr, à ce que la géopolitique y tienne une place centrale. Et là repose la première surprise de ce Serment de Pamfir. Le film n’est pas coupé du monde, loin de là : la question des frontières est omniprésente, centrale même. Mais si la situation sociale est abordée, point de trace en revanche de la menace russe. Le film, c’est vrai, a été tourné plusieurs mois avant le début de la guerre.

Il n’empêche : ce conflit pèse forcément dans la manière dont on perçoit le film aujourd’hui. Il en trouble la perception, poussant à chercher des signes qui n’y sont pas. Le Serment de Pamfir est de fait un film moins influencé par l’actualité que par l’héritage culturel du pays. Le rapport aux anciens est omniprésent, et difficile : le rapport au père d’abord, et surtout, mais aussi le rapport aux traditions, souvent ancestrales. C’est d’ailleurs autour d’un carnaval aux codes assez insondables que se termine le film, carnaval annoncé dès la toute première scène.

Le Serment de Pamfir est aussi un vrai film de genre, puissant et passionnant, qui flirte souvent avec les codes du western : pour son rapport à la nature donc, mais aussi pour sa tension, et les rapports de force entre les personnages. Ce Pamfir qui cherche avant tout à être un bon mari et un bon père, et qu’un incident amène à se confronter au potentat local, très westernien. Le film a aussi la simplicité du western, voire la même propension à réduire certains personnages à ce qu’ils incarnent.

Ce pourrait être sa limite, mais le personnage principal est tellement fort (dans tous les sens du terme) qu’il dépasse de loin toutes les facilités scénaristiques. Et il y a la forme : ces très longs plans séquences d’une beauté foudroyante, la caméra mobile créant constamment un mouvement qui emporte tout, jusqu’à cette fameuse scène du carnaval, virtuose et immersive, qui semble concentrer en un unique lieu toute la vie de cette région, pendant que Pamfir finit par ne plus faire qu’un avec la nature qui l’entoure, jusqu’à s’enfoncer inexorablement dans ses entrailles.

R.M.N. (id.) – de Cristian Mungiu – 2022

Posté : 30 novembre, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, MUNGIU Cristian | Pas de commentaires »

RMN

Le film s’ouvre dans un abattoir, où un employé roumain rudoie son supérieur après que celui-ci l’est traité de feignant, « comme tous les gitans ». Et on sent bien que c’est le côté « gitan » qui l’a mis hors de lui, plutôt que le côté « feignant ». Il quitte son job et retourne dans son petit village de Transylvanie, où cohabitent difficilement les communautés roumaines et hongroises, et où on vit mal l’arrivée de deux Sri-Lankais embauchés par la grande usine locale, une boulangerie industrielle.

Il faut dire que cette usine, qui est le plus grand employeur local, paye au minimum, et que la plupart des travailleurs du coin sont partis à l’étranger pour gagner une meilleure paye. Mais quand même, doit-on accepter que ces étrangers viennent prendre nos boulots ? Et puis on vient à peine de retrouver la paix après d’être débarrassé des gitans, alors… Peut-on vraiment ouvrir notre communauté à tout le monde ! « On a rien contre eux, du moment qu’ils restent chez eux… »

Ajoutons encore un Français venu compter les ours pour une OMG, et la culture allemande encore bien présente des siècles après une première vague d’immigration… Il y a, concentré dans ce petit village roumain, à la fois tout le métissage culturel européen, et toute l’hostilité vis-à-vis de l’étranger… Un paradoxe explosif que Cristian Mungiu saisit avec une acuité exceptionnelle. Et notamment lors d’un très, très long plan séquence (fixe) au cours duquel le cinéaste filme une assemblée lancée en plein débat sur le sort à réserver aux Sri-Lankais.

Tous les habitants du village sont là, réunis et tournés vers les notables locaux qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit en revanche, c’est l’animosité, la défiance, la manière dont l’hostilité dirigée vers deux travailleurs sans histoire dévoile peu à peu les vieilles rancœurs, le mur qui sépare les deux communautés historiques. Et en même temps, les tourments et troubles des personnages principaux, attirés et séparés par le drame qui se noue dans le village.

D’un côté : Matthias, l’ouvrier qui revient au village, un colosse mal dégrossi, qui retrouve une épouse qu’il a visiblement maltraitée avant son départ, son fils qui ne parle plus depuis qu’il a fait une mystérieuse rencontre dans les bois, son père qui souffre d’un mal dont on ne sait pas grand-chose. Et de l’autre : Csilla, visiblement l’ancienne maîtresse de Matthias, mais aussi le bras droit de la patronne de la boulangerie. Une femme bien, qui fait ce qu’elle peut pour les deux ouvriers venus de si loin…

Quinze ans après sa belle Palme d’Or (4 mois, 3 semaines, 2 jours), Cristian Mungiu signe un film merveilleux, d’une grande puissance et visuellement splendide. Un film qui réussit le tour de force de nous plonger dans les tourments intimes de ses personnages, et de présenter un portrait complexe, pertinent et très percutant d’une Europe tiraillée par les questions d’identité et d’ouverture. La peur de l’autre, l’incompréhension, la quête de soi… Des thèmes fascinants, pour un film magnifique dont le final, déconcertant, hante longtemps le spectateur.

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