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Archive pour la catégorie '2020-2029'

Mayday (Plane) – de Jean-François Richet – 2023

Posté : 11 juillet, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, ACTION US (1980-…), RICHET Jean-François | Pas de commentaires »

Mayday

Il y a des gens comme ça qui ont la poisse. Comme les quatorze passagers de ce vol commercial qui devrait être sans problème, en cette soirée de Nouvel An, si un orage particulièrement violent n’obligeait le pilote à faire un atterrissage d’urgence sur une île. Ce serait déjà passablement contrariant, mais il se trouve que cette île est une zone de non-droit tenue par des milices terroristes… Oui, pas de bol.

Voilà une série B aussi chiche en moyens que généreuse en tension et en action. Et, surprise, c’est un cinéaste français que l’on a connu plus ambitieux chez nous qui est derrière la caméra : Jean-François Richet, qui continue donc un parcours assez atypique, entre grosses productions françaises (Mesrine, L’Empereur de Paris) et films de genre américains (Assaut sur le Central 13, Blood Father).

On est surpris, d’abord, de voir de sa part un film si dénué de gros effets, si modeste en quelque sorte. Parce que la première partie est un quasi-huis clos, qui ne sort à peu près jamais de l’avion, voire même du cockpit. Richet choisit le point de vue presque exclusif du pilote joué par Gerard Butler, et c’est la meilleure idée de ce début de film. Des catastrophes aériennes, on en a vu des tonnes au cinéma, mais le plus souvent du point de vue passif des passagers. Ce changement de paradigme est assez fascinant.

Il crée en tout cas une tension qui ne retombe jamais. Il faut dire que Richet construit son film au cordeau, évacuant tout le gras tout en faisant exister (a minima, mais tout de même) ses personnages. Surtout, ses scènes d’action qui s’enchaînent bientôt sont sèches, brutales, et d’une redoutable efficacité. Et puis Mayday ne pête jamais plus haut que son cul : Richet assume avec gourmandise le statut de série B de son film, et assure haut la main le plaisir.

Ghostbusters : l’héritage (Ghostbusters : Afterlife) – de Jason Reitman – 2021

Posté : 10 juillet, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, FANTASTIQUE/SF, REITMAN Jason | Pas de commentaires »

Ghostbusters  l'héritage

Dans l’immense collection actuelle des suites-remakes-reboots et toute autre manière d’exploiter jusqu’à la lie les recettes éprouvées pour assurer un succès sans trop de risques, ce retour-ci a quelque chose de joliment rafraîchissant. Quelque chose qui ressemble à de la douce nostalgie sans doute.

Le fait que le scénariste et réalisateur de ce troisième (ou quatrième, si on compte le remake au féminin récent et déjà oublié) opus soit le fils d’Ivan Reitman n’est évidemment pas anodin. Comme ne l’est pas le fait que la jeune héroïne du film ait 12 ans, soit exactement l’âge qu’avait Jason lorsque son père tournait SOS Fantômes 2.

Tout est dans ce parti-pris là : la sincérité de cette suite tardive, le respect, l’amour, et aussi l’envie de trouver ses propres marques. Ce Ghostbusters là fait en gros ce qu’un fils fait avec un père qu’il aime : il lui rend un hommage vibrant, tout en s’en démarquant ouvertement. L’esprit est là, les références aux deux premiers films sont omniprésentes, mais Jason Reitman, tout en signant une suite directe (avec la même menace, les mêmes fantômes, les mêmes gadgets), signe un film assez différent.

Le décor du film n’est pas anodin : loin de New York, le fils Reitman situe son action dans le coin le plus paumé d’Amérique. Les acteurs des deux premiers films, très présents par références interposées, n’apparaissent en fait que quelques minutes, farouchement nostalgiques et un peu déconnectées du récit. Surtout, le fait de recentrer le film sur des enfants et adolescents fait de cet Afterlife un peu plus qu’un hommage au Ghostbusters original : un hommage à tout un pan du cinéma des années 1980, symbolisé par les Goonies.

Jason Reitman est un réalisateur plutôt habile (on lui doit Juno), et pour tout dire nettement plus emballant que son père. Et ça se sent dès les premières images : même s’il touche visiblement à ses limites dans les scènes d’action, pas très immersives, il révèle d’emblée une ambition formelle et un sens du rythme qui renvoie les deux premiers films à une sorte de préhistoire du genre. Attachant, le film trouve un étrange équilibre, hommage tendre sincère, et nouveau départ qui apporte un vrai vent de fraîcheur à la saga.

A défaut d’être ébouriffant (le film reste quand même très sage), l’approche est séduisante, et même touchante. Suite, reboot, hommage… Qu’importe, le plaisir est bien là.

Chien de la casse – de Jean-Baptiste Durand – 2023

Posté : 7 juillet, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, DURAND Jean-Baptiste | Pas de commentaires »

Chien de la casse

Chien de la casse est un peu au film de banlieue ce que La Mort aux trousses était au film noir : une sorte de contre-pied réjouissant, qui ramène le « genre » à ses fondamentaux. Parce qu’au fond, il est plus souvent question de la jeunesse et du désœuvrement que de la banlieue elle-même. Ici, les vieilles pierres et les grands espaces remplacent les barres d’immeubles et les horizons fermés, et les jeunes font de grandes phrases, citent Montaigne, et s’emmerdent.

Et il y a ce grain de sable qui vient remettre en cause le fragile équilibre de ces soirées à ne rien faire : une jeune auto-stoppeuse dont tombe amoureux le plus taiseux de la bande, révélant aux autres leurs propres doutes, leurs incertitudes et leur fragilité. Et voilà à peu près le meilleur résumé que je peux faire de ce film où, foncièrement, il ne se passe rien.

Rien d’autres en tout cas que des discussions stériles, des silences, de l’attente, de petits trafics pas bien méchants… Il ne se passe rien, et il ne fait même pas beau, dans cet arrière-pays du Sud de la France, où l’avenir se résume à de maigres possibilités : se barrer dans l’armée, se créer son propre emploi, ou rêver d’un ailleurs dont on sait bien qu’il n’existera pas.

C’est un premier film, mais le réalisateur Jean-Baptiste Durand affiche une maîtrise de son art, et de son sujet, qui lui permettent d’éviter les grands discours, l’approche trop démonstrative. Son film se concentre sur l’amitié de deux jeunes hommes inséparables, mais que tout semble opposer. L’un (Anthony Bajon, étrangement séduisant) est un taiseux immobile, qui passerait volontiers ses journées devant sa « Play » à enchaîner les parties de FIFA. L’autre (Raphaël Quenard) est un tchatcheur lettré et ouvert, qui parle aux jeunes comme aux vieux.

On aurait vite de conclure qu’il y a le dominant et le dominé, mais la vie est autrement plus complexe et nuancée, et le film de Jean-Baptiste Durand aussi. Ce que révèle le cinéaste, c’est ce lien invisible qui unit deux êtres dissemblables, et qu’ils n’ont peut-être même pas choisi. « Je suis pas ton ami, je suis ton frère. Même si tu me hais, je resterais quand même ton frère », lance Miralès à Dog. Et c’est la vérité de ce lien qui domine, au-delà de la tension qui monte, au-delà de la tristesse et de la peur du lendemain.

Chien de la casse, surtout, frappe par son rythme et la puissance des émotions, pourtant tues. Jusqu’à la douleur d’une perte dont on ne dira rien, mais que Durand filme avec une pudeur et une simplicité bouleversante. Au-delà de la performance d’acteurs merveilleux (Bajon et Quenard, deux grandes révélations de ces dernières années), c’est peut-être bien la naissance d’un grand cinéaste que Chien de la casse nous offre. Bref, un film qui pourrait bien faire date.

About Kim Sohee (Saheum Sohee) – de July Jung – 2022

Posté : 4 juillet, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, JUNG July | Pas de commentaires »

About Kim Sohee

Une critique sociale inspirée d’une histoire vraie. Oui, ça peut faire peur, surtout quand on connaît le fait divers. Et une fois n’est pas coutume, sans doute vaut-il mieux le connaître avant de voir le film. Pour une fois, donc, vive le spoil !

Kim Sohee, c’est une jeune étudiante coréenne que son lycée place dans un centre d’appel d’un grand groupe de télécommunication pour son stage professionnel. Pleine de vie, pleine de projets, la jeune femme ne tarde pas à être broyée par la pression que lui mettent ses managers, par l’inhumanité de la tâche qu’elle doit accomplir, et par le silence de tous ceux qui l’entourent : profs, amis, et même parents… Jusqu’à la tragédie, qui fait de la jeune Kim Sohee une sorte de symbole de cette Corée rongée par l’obsession chiffrée de la performance, à tous les niveaux.

Ce pourrait être plombant, c’est absolument passionnant, et bouleversant. July Jung (dont c’est le deuxième long métrage, huit ans après A girl at my door) signe une mise en scène précise et intime, suivant au plus près du visage et du corps le parcours de cette jeune femme, danseuse acharnée prête à répéter cinquante fois le même mouvement, que l’on voit inexorablement se détacher de tout, comme si la réalisatrice filmait la vie qui lui échappait, souffle par souffle.

Et ce n’est que la première partie. Au mitan du film, la rupture, et un autre point de vue : celui d’une policière dont on sent d’emblée qu’elle, au contraire de Kim Sohee, a perdu ses illusions depuis bien longtemps. Mais son propre parcours, dans les pas de la jeune femme, dresse un troublant parallèle, et va plus loin encore dans le constat de ce pays où toute humanité est sacrifiée sur l’autel du profit, du résultat, du classement, de la hiérarchie.

Révoltant, troublant, désespérant, déchirant, magnifique, ce portrait croisé sans concession de deux femmes si éloignées, et pourtant presque jumelles, est d’une puissance assez incroyable. Le genre de films dont on espère qu’il contribuera à faire bouger les lignes. Même si ce n’est pas le cas, c’est une merveille, ce qui est déjà pas mal.

De grandes espérances – de Sylvain Desclous – 2022

Posté : 17 avril, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, DESCLOUS Sylvain | Pas de commentaires »

De grandes espérances

Dans Mon crime, son personnage était constamment dans l’ombre de son amie actrice et pseudo-meurtrière. Pourtant, elle dévorait l’écran par un magnétisme assez rare. Ce magnétisme explose littéralement dans De grandes espérances où, sur un autre registre, elle est de toutes les scènes, et presque de tous les plans. Rebecca Marder est une actrice magnifique, et c’est la première qualité de ce film que de le confirmer.

Et mine de rien, il est d’une extrême richesse ce personnage de jeune femme brillante, issue de la classe la plus populaire, et destinée aux plus hautes fonctions de l’État. Elle est presque trop parfaite : belle, intelligente, engagée à gauche, grande amoureuse, débatteuse enflammée, visionnaire et courageuse. Mais il y a cet écueil sur une route toute tracée : une altercation imbécile sur une petite route de Corse, un homme trop agressif, un petit ami trop lâche, et un fusil trop à portée de main…

Et voilà comment la peinture sociale, déjà passionnante grâce à ce personnage si fort, tourne au thriller politico-romantique. Et comment les failles apparaissent : une fragilité jusque là si bien cachée, un père pas très présentable quand on fréquente d’anciens ministres, et un mensonge qui passe mal. Le mensonge : ce sujet si complexe qui laisse la brillante oratrice muette face au jury de l’ENA, comme si, soudain, la réalité du monde et la pureté des convictions se télescopaient.

Le manichéisme apparent (le gentil social de gauche face au méchant capitaliste de droite) se heurte très vite à une vérité bien plus complexe. Les uns et les autres sont du même monde, du même moule, et les bons sentiments n’y font rien. Le film de Sylvain Desclous n’appuie jamais sur ces contradictions, mais distille des petites touches de cynisme, qui renforcent paradoxalement l’humanité des personnages.

Les scènes entre la fille et le père sont particulièrement fortes, en ce qu’elle mettent en évidence le mur qui sépare les couches sociales, quels que soient les liens. Elles sont belles et pudiques ces scènes, comme des parenthèses d’authenticité refoulée dans un monde où tout n’est que posture et représentation. La dernière image, sans rien en dire, est magnifique de pudeur et d’émotion.

Le dernier mercenaire – de David Charhon – 2021

Posté : 16 avril, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, CHARHON David | Pas de commentaires »

Le dernier mercernaire

Envie de débrancher le cerveau ? Ce film là en vaut un autre. Il est assez con, avec une histoire inutilement alambiquée d’espionnage et de trahison. Il est globalement très mal joué, avec des acteurs pas aidés par des dialogues souvent lourdingues. Les scènes d’action sont au mieux divertissantes, jamais percutantes. Bref, pas grand-chose à sauver. Mais si on choisit celui-là plutôt qu’un autre, c’est pour Jean-Claude Van Damme, dans son premier film d’action en français. Et là, c’est un festival.

Il faut l’aimer, Van Damme, pour apprécier Le dernier mercenaire. Et voilà : il se trouve que j’ai depuis longtemps une tendresse que je n’arrive pas même à m’expliquer pour lui, en dépit de ses films, très largement pas terribles. Et cette manière qu’il a de sans cesse rebondir en se moquant de lui-même, en parodiant sa propre image, a quelque chose de touchant, et d’assez passionnant.

Ici, il est un mercenaire, un espion, un roi du déguisement et de la castagne, une véritable légende qui trimballe derrière lui des décennies d’exploits pour la France, et surtout l’aura de l’acteur. Et c’est ce dernier aspect qui rend le personnage attachant. Pas ce gag lourdingue d’un Van Damme qui passe devant l’affiche de Bloodsport en lançant un « ça c’est un mec ! ». Mais cette vision d’un Van Damme en proie à une immense lassitude qui nous ressort son fameux grand écart, ou ce héros soudain renvoyé à sa fragilité de père absent, incapable de parler à ce fils qu’il ne connaît pas.

Dans cette comédie d’action, l’objet de toutes les attentions n’est qu’un macguffin comme un autre. Ce qui compte, c’est cette relation père-fils au centre de tout. Ou plutôt non : pas la relation, le personnage du fils n’a pas grand-intérêt. Mais la fêlure du grand homme, cette incapacité qu’à Van Damme de livrer ses sentiments, de faire face à ses choix de père misérable. Et Van Damme est très bien dans ce rôle d’homme fatigué et plein de doutes.

Enfin… de doutes… Rien de très sérieux, quand même. Tout n’est que prétexte à enchaîner les blagues et les scènes d’action. Miou-Miou cachetonne, Alban Ivanov et Eric Judor font ce qu’on attend d’eux (sans filtre), Patrick Timsit serre les dents, Assa Sylla surnage dans un rôle à peine écrit. Et Van Damme s’impose au milieu de ce petit monde avec une humilité inattendue. La seule raison d’être du film.

Mon crime – de François Ozon – 2023

Posté : 14 avril, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, OZON François | Pas de commentaires »

Mon crime

François Ozon aime le cinéma français des années 1930, et il aime Danielle Darrieux. Il l’avait déjà montré il y a vingt ans avec 8 femmes, l’un des derniers grands rôles de la star. Il le réaffirme aujourd’hui avec Mon crime, une fantaisie policière où l’ombre rassurante de Darrieux plane constamment.

C’est sa voix que l’on entend le temps de deux chansons. Et l’action se déroule dans le Paris de 1935, alors que la carrière de l’actrice explose : les deux héroïnes assistent d’ailleurs à la projection de Mauvaise graine, le film que Billy Wilder a tourné en France avec Darrieux. Voilà pour le décor, et presque pour le parrainage.

L’ambiance, elle aussi, semble tout droit sortie du cinéma français de cette époque. A la fois pour l’intrigue et la manière légère de l’aborder : cette histoire d’une apprentie comédienne accusée d’un meurtre qu’elle n’a pas commis, et qui décide de se l’approprier avec son amie apprentie avocate, lorsque les deux jeunes femmes, sans le sou, comprennent à quel point l’histoire va faire d’elle des héroïnes modernes.

Il est question de la domination des hommes sur les femmes, de révolution qui s’annonce, mais aussi du pouvoir de l’image et des médias… mais sur un ton que n’aurait pas renié Sacha Guitry, à qui on pense beaucoup tout au long du film. La virtuosité, l’éloquence, le grain de folie… Du Guitry presque dans le texte.

Porté par deux actrices enthousiasmantes (Nadia Tereskiewicz, César du meilleur espoir cette année, et Rebecca Marder, à qui le César du meilleur espoir revenait presque de droit cette année), le film d’Ozon n’oublie pas non plus ce qui faisait la grandeur du cinéma français des années 30 : la richesse des seconds rôles.

Et là, c’est un bonheur assez rare : Fabrice Lucchini, plus proche de Louis Jouvet que jamais en juge pédant et à côté de la plaque ; Isabelle Huppert en vieille gloire du muet qui refuse de jouer les femmes vieillissantes ; Michel Fau en procureur phallocentré (« Si on ne la condamne pas pour son crime, chaque femme pensera qu’elle aura le droit de nous égorger à la première maîtresse ! ») ; André Dussolier en père, disons, pragmatique… Tous prennent visiblement un grand plaisir, très, très communicatif.

Le Parfum vert – de Nicolas Pariser – 2022

Posté : 31 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, PARISER Nicolas | Pas de commentaires »

Le Parfum vert

Une comédie policière un peu rétro… Voilà le genre de plaisir qui ne se boude pas. Nicolas Pariser flirte ouvertement du côté d’Hitchcock. Une petite chose gentiment désuète qui pourrait suffire à mon bonheur, si le réalisateur avait su proposer autre chose qu’une compilation de clins d’œil et de citations plus ou moins évidentes.

Beaucoup d’Hitchcock, donc, des 39 marches à La Mort aux trousses en passant par Sueurs froides et beaucoup d’autres, mais aussi du Tintin (avez-vous remarqué la statuette de l’Oreille cassée), et quelques autres références. Ce catalogue de citations a deux effets : premièrement, il conduit assez vite à un sentiment de profonde lassitude ; deuxièmement, il permet de tenir jusqu’à la fin du film sans trop s’ennuyer, en s’amusant à reconnaître tel ou tel film.

On en sort quand même avec une vraie frustration. On pouvait attendre un peu plus d’originalité et d’audace de cette histoire de course poursuite à travers l’Europe, avec un duo mal assorti incarné par Sandrine Kiberlain et Vincent Lacoste. Elle, illustratrice lasse et prête à se lancer dans toutes les aventures. Lui, comédien très rive gauche dont un camarade est mort sur scène après lui avoir murmuré d’étranges paroles à l’oreille. Et ça, oui, c’est L’Homme qui en savait trop.

La Nuit du 12 – de Dominik Moll – 2022

Posté : 18 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, MOLL Dominik | Pas de commentaires »

La Nuit du 12

Zodiac, Memories of Murder… les polars évoquant l’obsession de flics qui échouent à résoudre un crime sont presque devenus un genre en soi. Et un genre souvent passionnant, comme le confirme La Nuit du 12, fraîchement césarisé, qui vaut à Dominik Moll un nouveau triomphe personnel plus retentissant peut-être encore que son Harry, un ami qui vous veut du bien, il y a vingt ans.

Surtout, Moll, tout en s’inscrivant dans la mouvance des chefs d’œuvre de Bong Joon Ho et David Fincher, signe un film très différent, bien dans la lignée de ce que sa courte filmographie (sept longs métrages en trente ans, c’est peu) suggérait déjà : il est un cinéaste du détail, de la précision, mais aussi d’un certain quotidien, dans lequel il infuse le déséquilibre et la rupture par de toutes petites touches.

Bon. Il y a tout de même un énorme point de bascule dans La Nuit du 12 : la scène du meurtre, ce moment très banal (une jeune femme qui quitte une soirée pour rentrer chez elle) qui tourne à la barbarie (un inconnu l’aborde, l’asperge d’essence et met le feu). Un moment qui rompt si brutalement le cours de la vie que Moll le film avec un soudain recul, avec le filtre inhabituel dans le film d’une musique dramatique, et avec une pudeur qui transforme l’horreur en une profonde émotion.

Cette scène, traumatisante et bouleversante, infuse tout le film. Elle permet aussi de ne jamais revenir lourdement sur la souffrance des flics chargés de l’enquête. C’est toute une équipe qui est mobilisée, mais le film se concentre sur le jeune chef de groupe et sur le plus ancien de ses adjoints. D’un côté, un trentenaire entièrement focalisé sur son métier, qui évacue son stress et sa colère en enchaînant les tours de piste de vélodrome, qui l’enferment symboliquement dans une logique jusqu’au-boutiste autodestructrice. De l’autre, un quinqua qui a depuis longtemps passé cet équilibre fragile, et qui arrive au point de rupture.

Entre Bastien Bouillon (étonnant César du meilleur espoir pour ce rôle – étonnant parce qu’il est loin d’être un débutant) et Bouli Lanners (César du second rôle), c’est toute la souffrance de cette enquête au long cours que capte Dominik Moll, à travers quelques éclats, de rares confessions, mais surtout à travers des silences, des non-dits, une incapacité du jeune flic à verbaliser, et une pression que son aîné peut de moins en moins canaliser

Le décor montagneux de la Maurienne n’est pas non plus anodin. Loin d’ouvrir le récit, il l’enferme au contraire dans des espèces de murs naturels qui renforcent le sentiment d’oppression, comme si les personnages s’enfermaient dans une logique de vie sans issue, que les repas qu’ils partagent régulièrement mettent en lumière, avec cette convivialité et cette légèreté feintes qui ne trompent pas grand-monde, pas même eux-mêmes.

Formidable polar entêtant, La Nuit du 12 pourrait être plombant. Il est effectivement très sombre, avec ces hommes et ses femmes qui s’accrochent avec la conviction du désespoir au moindre fil, systématiquement contrarié. Pourtant, Moll y insuffle de la vie, et même un étonnant sentiment d’optimisme. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Domingo et la brume (Domingo y la niebla) – d’Ariel Escalante Meza – 2022

Posté : 16 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars sud-américains, 2020-2029, ESCALANTE MEZA Ariel | Pas de commentaires »

Domingo et la brume

Dans un petit village de montagne du Costa Rica, les habitants déménagent les uns après les autres, leurs terres étant achetées par une grosse entreprise qui prévoit d’y faire passer une autoroute. Les travaux ont commencé, troublant la quiétude habituelle de ce coin reculé, mais un vieil homme refuse obstinément de vendre : Domingo, veuf qui craint s’il part d’être coupé du lien qui le relie encore à sa femme défunte…

Le thème de ce film costa-ricain (une première « ever » pour moi, me semble-t-il), l’obstination d’un homme qui ne veut pas céder aux sirènes de l’argent facile, préférant défendre jusqu’au bout un mode de vie simple et proche de la nature, évoque d’emblée le formidable As Bestas, l’un des meilleurs films de l’année dernière. Mais la comparaison ne va pas beaucoup plus loin que ce thème et la peinture d’un microcosme d’un autre temps rattrapé malgré lui par une modernité et un capitalisme présentés sans détour comme une menace.

En cela, le film d’Ariel Escalante Meza est un manifeste politique contre la déforestation, pour la sauvegarde des espaces naturels, et pour le respect d’un mode de vie séculaire. Mais le cinéaste, dont c’est le deuxième long métrage, signe un film nettement plus vaporeux que celui de Sorogoyen, flirtant avec le surnaturel, avec cette brume qui revient comme un mantra, et qui évoque autant le Fog de John Carpenter que le fantastique onirique de l’Oncle Boonme (c’est discutable bien sûr, mais c’est le film de Weerasetakhul qui m’est revenu à l’esprit devant certaines scènes nocturnes).

Cette brume, le héros du film (Domingo, donc) la voit comme une personnification de feu son épouse, qui vient lui rendre visite nuit après nuit. Et curieusement, cet aspect peut-être fantastique (et peut-être n’est-ce que la vision d’un homme trompé par l’alcool qu’il consomme en grandes quantités et de la culpabilité qui le ronge de ne pas avoir été un bon mari) donne un cadre plus concret au drame qui se noue, à ce refus obstiné de vendre comme le font tous ses amis, tous ses voisins.

Malgré une lenteur parfois un rien excessive (un travers habituel chez les « réalisateurs à festivals »), Ariel Escalante Meza signe un film envoûtant, d’une beauté formelle spectaculaire. Le gars a un sens du cadre et de l’image exceptionnels, et il ne me semble pas qu’il y ait dans ces quatre-vingt-dix minutes le moindre plan anodin. Chaque image est splendide, jouant avec des lumières quasi-surréelles et des ombres très profondes.

Le réalisateur sait aussi capter la profondeur du regard, beau, de Carlos Ureña, dont le visage fascine lorsqu’il n’est pas escamoté par un autre travers du cinéaste, qui a une tendance un peu trop appuyée à filmer ses personnages (longuement) de dos. L’émotion et la complexité des sentiments sont telles lorsqu’il cadre les visages que ce goût pour les dos lasse un peu. Mais il y a une vraie atmosphère dans ce film, une vraie intensité aussi. Le Costa Rica est donc aussi une belle terre de cinéma

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