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Archive pour la catégorie '2020-2029'

Maigret – de Patrice Leconte – 2022

Posté : 2 avril, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, d'après Simenon, LECONTE Patrice, Maigret | Pas de commentaires »

Maigret

Presque soixante ans que le cinéma français ne s’était pas intéressé au plus populaire des policiers de la littérature francophone. Comme si Jean Gabin avait à ce point dévoré le rôle qu’il interdisait à quiconque de lui succéder. Sur grand écran, on a quand même eu droit à un Maigret italien (Gino Cervi dans Maigret à Pigalle) et un autre allemand (Heinz Rühman dans Maigret fait mouche), tous deux dans les années 60. Mais depuis, seule la télévision avait osé s’emparer du personnage créé par Simenon. Et elle ne s’est pas privée, les séries et téléfilms pullulant dans le monde entier.

Quand même, voir Depardieu se mettre dans la peau du commissaire avait quelque chose d’exaltant (il entre d’ailleurs dans le club très fermé des acteurs ayant incarné à la fois Maigret et Jean Valjean, après Harry Baur et Jean Gabin), surtout qu’il avait déjà frôlé le personnage avec le Bellamy de Chabrol. C’est donc avec un mélange d’excitation et d’angoisse qu’on entre dans la salle… et c’est avec un mélange de satisfaction et de frustration qu’en en sort.

Le film de Patrice Leconte est sincère et généreux, on ne peut pas lui retirer ça. Il est aussi, en l’occurrence, très appliqué, mais pas très incarné. Ce qui est le plus beau dans les romans de Simenon, c’est la manière dont Maigret se glisse jusqu’à s’oublier dans l’atmosphère d’un lieu, d’un microcosme, dont il fait siennes les habitudes, le rythme, les odeurs même. Mais la reconstitution du Paris des années 1950 (l’époque à laquelle est écrit Maigret et la jeune morte, dont le film de Leconte est une adaptation) est tellement propre et dénuée d’aspérité qu’elle maintient constamment une certaine distance.

Plus gênant encore : la lenteur appuyée avec laquelle les dialogues sont prononcés, manière maladroite de donner corps au rythme langoureux des romans. Mais il y a de belles choses, à commencer par le personnage lui-même, et l’incarnation qu’en fait Depardieu. Radicalement différent de Gabin dans son approche de Maigret, on peut pourtant en dire à peu près la même chose : il se glisse véritablement dans la peau du personnage, tout en le transformant à sa manière.

Et c’est un Depardieu vieillissant, fatigué et physiquement très imposant qui fait de Maigret un policier en bout de course, qui sait proche la fin du voyage, et dont le parcours et les drames personnels se confondent avec son enquête à ce stade de sa carrière et de sa vie. Un homme qui continue à réfléchir au rythme des verres bus dans les bistrots, mais qui a dû se résoudre à abandonner la pipe. Ce qui donne paradoxalement les séquences les plus savoureuses du film, celles où la pipe fumée par d’autres occupe une place centrale dans l’esprit de Maigret/Depardieu.

On aimerait que ce film ne soit qu’un nouveau départ, qu’il soit une enquête parmi d’autres, et que Depardieu ait d’autres occasions de creuser le personnage, peut-être avec d’autres cinéastes plus exaltants. Ce n’est clairement pas l’ambition affichée avec ce film, dont la simplicité du titre annonce la couleur : Leconte et son co-scénariste Jérôme Tonnerre signent non pas une enquête policière, mais le portrait sincère d’un homme. Leur vision du personnage.

Don’t look up : déni cosmique (Don’t look up) – d’Adam McKay – 2021

Posté : 22 février, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, FANTASTIQUE/SF, McKAY Adam | Pas de commentaires »

Don't look up

Au départ : l’envie d’Adam McKay d’évoquer la crise climatique. A l’arrivée, une comédie d’un cynisme radical sur le déni climatique. Don’t loop up manque sans doute un peu de folie dans la forme. Pas sur le fond. Le scénario est quand même l’un des plus barrés, et l’un des plus riches de ces dernières années.

Tout commence par une découverte excitante pour une poignée d’astronomes : une doctorante (Jennifer Lawrence) et son professeur (Leonardo Di Caprio) ont découvert l’existence d’une énorme comète inconnue jusqu’à présent. Cidre et crackers pour tout le monde ! C’est toujours cool de pouvoir donner son nom à un rocher dans l’espace. Reste à calculer la trajectoire du truc, et là, c’est la douche froide. Six mois et quatorze jours : c’est le temps qui reste avant l’impact, direct et fatal, avec la terre. A la clé : l’extinction de toute forme de vie.

Heureusement, il reste suffisamment de temps pour expliquer la situation à madame la présidente des Etats-Unis (Meryl Streep), qui pourra sans grande difficulté faire ce qu’il faut pour faire exploser la comète « tueuse de planète ». Sauf que la grande dame est plongée en plein scandale, et qu’elle ne pense qu’aux sondages. Quant à la star des médias (Cate Blanchett), elle craque sur le sexy scientifique, mais blackliste l’hystérique lanceuse d’alerte, tout sauf glamour. Manquait plus que le grand capital… Il s’en même, sous les traits d’un richissime magnat des nouvelles technologies (Mark Rylance) qui voit tout le potentiel qu’il peut tirer de la situation.

Bref. On n’est pas dans la merde… Et on voit bien le glaçant parallèle avec la crise climatique, le déni écologique de notre époque. Dans cette débâcle, c’est des détails que viennent les sourires. De l’obsession de Jennifer Lawrence pour la mesquinerie de ce haut responsable de la NASA qui s’est fait rembourser des grignotages qui étaient gratuits. Des horreurs (« il est d’une autre époque ») débitées par un Ron Perlman en pseudo sauveur de l’humanité. Ou de l’irrésistible arrogance (ou est-ce de la stupidité?) d’un Jonah Hill, génial en chef de cabinet de sa mère de présidente.

Adam McKay filme ça avec la légèreté d’une comédie, oui, mais sans pour autant sacrifier les enjeux dramatiques, évidemment immenses. Don’t look up prend ainsi les attraits d’un vrai film apocalyptique, poignant, critique acerbe et tous azimuts de notre époque (politiques, réseaux sociaux, médias, capitalisme… tout en bloc), et ode bienveillante à la beauté des choses simples. Entre deux rires grinçants, le film révèle même une belle profondeur. Et avec un casting proprement hallucinant, ce qui ne gâche rien (on n’a pas encore cité Timothée Chalamet, Ariana Grande, Michael Chiklis ou Paul Guilfoyle…). Un rien trop sage, mais réjouissant, et assez glaçant.

Nomadland (id.) – de Chloé Zhao – 2020

Posté : 19 février, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, ZHAO Chloé | Pas de commentaires »

Nomadland

Grande actrice, grande cinéaste, grand sujet… Voilà un chef d’œuvre qui n’a pas volé sa pluie de récompenses (Lion d’Or, Golden Globe et Oscar du meilleur film, rien que ça). Chloé Zhao, pourtant, choisit une approche plutôt casse-gueule pour évoquer ces nouveaux nomades qui vivent sur les routes des Etats-Unis dans leurs fourgons aménagés, allant d’un petit boulot à un autre au gré des saisons et des perspectives. Ce pourrait être complaisant, ce pourrait être édifiant, voire lénifiant. Mais non : Nomadland est simplement d’une justesse absolue, avec une émotion, immense, qui jamais ne force le passage.

Joli parti-pris aussi : celui de confronter la formidable Frances McDormand (et David Strathairn) à d’authentiques « nomades », qui tiennent tous leurs propres rôles. Le procédé n’est ni nouveau, ni unique (Emmanuel Carrère a fait un choix similaire avec son Ouistreham, tout récemment), et peut lui aussi être casse-gueule (Clint Eastwood s’y est lamentablement vautré avec son 15h17 pour Paris), surtout que les nomades en question n’ont rien de faire-valoir : Chloé Zhao les filme avec la même intensité, la même profondeur que son actrice principale.

C’est qu’ils ont une histoire, ces nomades, et que cette histoire, quelle qu’elle soit, est inscrite sur les visages et les allures, dans les regards plein de vie, mais voilés par des souvenirs qui n’appartiennent qu’à eux. Si le film est si beau, si bouleversant même, c’est parce que la réalisatrice filme ses personnages comme autant d’individus ni plus grands, ni plus médiocres que d’autres. Jamais d’en haut, toujours à hauteur d’âme. Et non, ce n’est pas si courant.

Aucun jugement, aucune complaisance, aucun misérabilisme, ni aucun angélisme. Ce mode de vie nomade est pour tous la conséquence d’accidents et de drames de la vie. Mais c’est un mode de vie accepté, séduisant par certains aspects, et même revendiqué par certains comme une manière de renouer avec les racines de l’Amérique. On n’a d’ailleurs pas vu si souvent une telle manière de filmer l’Amérique, à la fois très inscrite dans une réalité sociale dévastatrice, et intemporelle par la beauté sidérante des paysages, qui jouent un rôle central dans le film.

Frances McDormand, actrice décidément immense (troisième Oscar, comme une évidence) incarne avec une intensité et un naturel proprement sidérants cette Amérique des oubliés. La solitude, la douleur du souvenir, les doutes et la peur de l’avenir… et l’extrême pudeur de ces femmes et de ces hommes qui ont décidé de vivre malgré tout. Avec honnêteté et ferveur. C’est sublime, de ces films qu’on n’oublie pas.

Madeleine Collins – d’Antoine Barraud – 2021

Posté : 16 février, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, BARRAUD Antoine, EFIRA Virginie | Pas de commentaires »

Madeleine Collins

Un chignon aux allures de tourbillon dans la chevelure d’une blonde élégante et mystérieuse. L’influence hitchcockienne est assumée, clairement affichée. Mais, en fait, assez trompeuse. Madeleine Collins a certes des allures de thriller racé au scénario retors, mais c’est avant tout le portrait d’une femme qui s’est elle-même enfermée dans un engrenage mental sans issue. Un portrait au-delà de l’intime : intérieur.

Et plus le film avance, plus apparaissent les affres, la fragilité et même la panique de ce personnage qui semblait tout d’abord froid et manipulateur, gérant sa double vie avec une science du mensonge à toute épreuve. Et là, c’est du côté du Bigamie d’Ida Lupino que l’on penche. Mais là encore, le film échappe à toute comparaison facile, au moins pour deux raisons. D’abord le scénario, qui ménage le mystère et ne révèle ses vérités qu’au compte-goutte. Assez brillant, en fait.

Et puis, et surtout, Virginie Efira, dont on ne dira jamais assez à quel point elle s’est imposée sur le tard mais en peu de temps comme l’une des plus grandes actrices du cinéma français, peut-être la plus sensible, la plus intense de sa génération. Dire qu’elle est formidable dans ce rôle si complet n’est pas suffisant. Elle l’est, formidable : elle est tour à tour glaçante, bouleversante, inquiétante, touchante. Mais elle est bien plus : elle est l’âme de ce film.

Sans elle, on le sent, rien ne tiendrait dans Madeleine Collins. En tout cas avec avec cette intensité là. Son personnage est d’une richesse tout de même rare, tant elle passe par des émotions radicalement opposés. Et dans tous les registres, elle est d’une justesse et d’une vérité absolues, jamais dans l’excès, jamais dans la retenue non plus. A l’exception d’un premier plan séquence longtemps mystérieux, la caméra ne la quitte jamais. Et elle est, de bout en bout, merveilleuse.

West Side Story (id.) – de Steven Spielberg – 2021

Posté : 4 février, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, COMEDIES MUSICALES, SPIELBERG Steven | Pas de commentaires »

West Side Story

Je dois confesser ne jamais avoir été un grand fan du film de Robert Wise, pas vu depuis bien longtemps. Mais découvrir ce que Spielberg a fait de la comédie musicale de Broadway était quand même bien plus qu’intriguant. Spielberg s’attaquant à un genre phare du cinéma hollywoodien ? Carrément excitant…

Eh bien il ne faut pas longtemps pour être complément séduit par l’entreprise, totalement happé par l’ambiance esthétique et sonore de ce film, à la fois très fidèle à la comédie musicale originale, et qui porte sans le moindre doute possible la signature du cinéaste. Quelle ouverture ! Une caméra qui surplombe un quartier en pleine démolition, plongeant littéralement dans des décors de studio, parfaits jusque dans les tas de gravas, et dont se dégage pourtant un étrange et puissant parfum de réalité.

Tout le film, d’ailleurs, est basé sur cette équation a priori impossible. Spielberg signe un pur film de studio, où tout est à sa place, chaque élément de décor est fonctionnel, et les personnages (comme l’intrigue) se résument à une opposition hyper-schématique : d’un côté les descendants d’Irlandais sur le point de se voir déloger leur paradis américain ; de l’autre les nouveaux venus tiraillés entre l’envie de conquérir leur terre d’accueil et leur attachement pour leur Puerto Rico d’origine. Schématique, donc, mais d’une justesse absolue : le film prend les allures d’une fable, cruelle et constamment en prise avec la réalité.

Et puis il y a la manière de Spielberg, ce style si éclatant qui rend évident le mouvement de caméra le plus complexe. Il n’y a qu’à voir comment il filme le tout premier numéro musical, la formation de cette bande de jeunes dans ce quartier moribond, avec des travellings et mouvements de grue d’une virtuosité folle, mais qui n’ont jamais d’autre but que de nous plonger dans l’action, dans l’émotion, jamais tape-à-l’œil. Comme Les Aventuriers de l’arche perdue et d’autres réussites, son West Side Story est le triomphe d’un cinéma tourné vers le mouvement.

Il y a aussi ce mélange de modestie et d’assurance qui caractérise ses meilleurs films. Spielberg n’est pas du genre à survendre son talent, ou à se défaire de ses sources d’inspirations. On sent dans son film une admiration profonde pour celui de Wise, et la volonté d’en garder l’essence… tout en signant une œuvre personnelle. On retrouve ainsi toutes les chansons inoubliables de la comédie musicale, tous les moments qu’on attend… et même l’apparition de Rita Moreno, rescapée du premier film, à qui Spielberg fait bien mieux qu’offrir une apparition clin d’œil : il lui confie l’un des plus beaux personnages du film, celui d’une vieille commerçante qui, en quelque sorte, fait le pont entre les deux communautés.

Le West Side Story de Spielberg surpasse de loin celui de Wise par la virtuosité du cinéaste, qui nous offre quelques immenses moments de pur cinéma : une extraordinaire fausse bagarre dans un commissariat, un vrai affrontement dont des ombres vertigineuses renforcent l’aspect dramatique, un numéro chanté et dansé (« America ») irrésistible dans des rues bondées… Il fait aussi le choix gagnant de l’honnêteté et de l’authenticité : en confiant les rôles des Puerto Ricains à des hispaniques, et en choisissant des comédiens qui sont avant tout des chanteurs. D’où ce sentiment de redécouvrir des chansons pourtant bien connues, et cette certitude qu’on ne pourra plus jamais apprécier le film original comme avant.

Me voilà totalement séduit, et sans la moindre réserve, par ces premiers pas d’un grand cinéaste dans un genre qui semble, désormais, fait pour lui. On en sort la gorge nouée, bien sûr (faut-il rappeler que West Side Story est une adaptation libre de Roméo et Juliette?), mais surtout galvanisé, plus que jamais amoureux du cinéma. Et ça fait plus de quarante ans que Spielberg nous fait régulièrement cet effet là !

Boîte noire – de Yann Gozlan – 2021

Posté : 18 janvier, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, GOZLAN Yann | Pas de commentaires »

Boîte noire

Me voilà séduit, et même franchement bluffé par ce Boîte noire flippant, passionnant, et d’une belle ambition. Un thriller paranoïaque français autour du crash d’un avion de ligne est déjà bien intriguant, et franchement original, mais le film va plus loin, en jouant constamment sur le son et la perception, comme ressors dramatique et narratif principal.

Le personnage principal, joué par un Pierre Niney décidément naturel et intense dans tous les registres, est un enquêteur du BEA, le bureau d’enquête et d’analyse qui intervient après les catastrophes aériennes. Lui est spécialiste de l’analyse des données sonores récupérées dans les boîtes noires. Autant dire que visuellement, le réalisateur et coscénariste Yann Gozlan ne choisit pas le chemin de la facilité.

Les premières minutes, d’ailleurs, semblent nous préparer à un thriller tendu et diablement efficace, mais plutôt classique. Le film ayant ce titre, on sait bien que l’avion à bord duquel s’ouvre le film ne va pas arriver à bon port. La caméra filme les pilotes dans le cockpit, puis se balade dans les travées des passagers, avec une tension qui ne cesse de grandir. Va-t-on participer au crash, comme dans tant d’autres films avant ? Non : au bon moment, sans esbroufe, avec une remarquable économie de moyen, Gozlan nous sort de l’avion pour nous glisser dans les oreilles de son héros.

Et il n’en sortira plus guère. Malgré quelques facilités de scénario, et quelques raccourcis, l’essentiel du film repose sur ce qu’entend le personnage de Niney, ou ce qu’il croît entendre. La mise en scène, assez brillante, joue avec les perceptions, dirige l’attention du spectateur vers le son dominant, ou au contraire l’anomalie vaguement parasite. C’est fait avec une vraie inventivité, avec un sens du décalage entre le son et l’image, qui finit par créer une ambiance paranoïaque implacable.

A l’image de Pierre Niney, on finit par soupçonner tout le monde, et par remettre en question tout ce qu’on voit. Côté ambiance, Gozlan flirte du côté des grands classiques paranoïaques, à commencer par Les Trois jours du Condor bien sûr. Il y a du Blow Out aussi, dans la manière de disséquer le son (même si De Palma passait souvent du son à l’image). Mais s’il faut retenir une référence, c’est plutôt du côté de The Ghost Writer qu’il faut chercher.

Gozlan s’inscrit clairement dans la lignée du chef d’œuvre de Polanski, mêlant paranoïa, technologie et mensonges dans un cocktail imparable, et glissant des références plus ou moins visibles, comme cette utilisation mystérieuse et inattendue du GPS. Assez brillant, franchement flippant, et totalement passionnant.

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6) – de Juho Kuosmanen – 2021

Posté : 16 janvier, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, KUOSMANEN Juho | Pas de commentaires »

Compartiment n°6

Il ne faut pas se fier aux premières impressions, elles sont souvent bien trompeuses. Le type avec lequel cette jeune étudiante finlandaise en voyage en Russie partage le compartiment de son train a tout de la brute épaisse totalement décérébrée, dont la seule présence à l’écran suffit bientôt pour instaurer un sentiment de menace et d’étouffement. Le film, lui, affiche une austérité revendiquée par le refus du réalisateur d’enjoliver ses acteurs comme ses décors…

Voilà en gros où on en est après une dizaine de minutes de projection. Et puis quelque chose se passe. Oh ! Rien de spectaculaire. Rien, même, de vraiment tangible. Un regard, un rayon de soleil sur un visage, la rencontre avec une vieille dame pas même digne… Des petites choses comme ça qui, au fil d’un voyage dénué de tout spectaculaire, font peu à peu basculer les impressions, décalant le centre d’équilibre comme se décale l’univers de la jeune femme, Laura.

Laura, jeune Finlandaise qui vient de passer quelques mois à Moscou où elle a vécu une vie de fantasme, côtoyant la bonne société intellectuelle et vivant dans un appartement bourgeois partagé avec une enseignante devenue sa maîtresse. Son amour, croit-elle alors qu’elle entame un long voyage vers Mourmansk, au Nord, où elle veut voir les Petroglyphes, dessins gravés sur la pierre il y a dix mille ans, « parce qu’il faut connaître son passé pour mieux comprendre son présent ».

Dans ce train, elle croise donc la route de Ljoha, un sale type vulgaire et abrupt, qui finira pourtant par dévoiler une fragilité toute enfantine, en même temps qu’une sensibilité à fleur de peau. Qu’importe le but, bien sûr, qui sera forcément absurdement décevant. C’est le voyage qui compte, la manière dont ces deux solitudes si obstinément différentes se croisent et se trouvent. C’est filmé avec une grande simplicité, et c’est d’une vérité magnifique.

Seidi Haarla et Youri Borissov sont formidables, dans ce duo d’êtres mal assortis. Juho Kuosmanen les filme dans toute la complexité de leur relation, avec une justesse de chaque instant, passant du dégoût à la curiosité, puis à la tendresse, puis… Au cœur du film, une scène charnière, toute en regards évités, où la jeune femme réalise qu’elle n’a qu’une envie, retrouver la complicité qui vient de disparaître.

Quant à l’austérité initiale, elle n’était qu’un leurre. Il y a au contraire dans cette rencontre improbable une légèreté et une chaleur qui contrastent avec la rudesse des paysages et le froid palpable de cet hiver du Grand Nord. Compartiment n°6 s’inscrit dans cette longue tradition des solitudes inconciliables qui se trouvent pourtant qui, des Misfits à Lost in Translation, a donné tant de beaux films.

Le Diable n’existe pas (Sheytân vodjoud nadârad) – de Mohammad Rasoulof – 2020

Posté : 13 janvier, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, RASOULOF Mohammad | Pas de commentaires »

Le Diable n'existe pas

Comme son compatriote Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof fait partie de ces réalisateurs iraniens régulièrement condamnés par le pouvoir en place. Leurs films seraient de la propagande, et une menace pour la sécurité nationale. Si, si. Bonne nouvelle : au-delà de l’aspect forcément politique du Diable n’existe pas (malgré les condamnations, malgré les interdictions, Mohammad Rasoulof a choisi de le tourner en Iran), c’est surtout une immense réussite, un film qui vous hante longtemps, très longtemps après la projection. Un Ours d’or bien mérité au festival de Berlin.

En un peu plus de deux heures trente, le film conte en fait quatre histoires : quatre moyens-métrages indépendants les uns des autres, mais complémentaires. Bien mieux qu’une simple succession de sketchs, Le Diable n’existe pas frappe d’abord pour l’intelligence de sa construction. Chaque segment enrichit les précédents avec son propre rythme, sa propre logique, mais avec un même fil rouge, la peine de mort, thème central dont on ne prend conscience qu’à la dernière minute de la première histoire, comme une immense gifle que l’on ne voyait pas venir, et dont l’effet ne se dissipera plus.

Le film s’ouvre sur de longs plans suivant un homme entre deux âges, bonne tête mais taciturne. On le voit passer un contrôle, sortir un lourd sac de son coffre… D’emblée, une sorte d’inquiétude s’installe. Qu’y a-t-il dans ce sac ? Quelque chose d’inavouable ? Le corps d’un homme peut-être ? Mais non : du riz, la portion normale à laquelle sa famille a droit. L’homme est un bon mari, un bon père de famille, un bon fils, un bon voisin, un type bien en fait, bien intégré dans la société, dont on suit le quotidien sans éclat mais bien rempli. On le suit aussi le soir, lorsqu’il prend sa voiture et qu’il traverse la ville à la nuit tombée, le regard comme perdu, happé par ces feux qui passent au rouge, au vert, et dont on comprendra brutalement ce qu’ils évoquent pour lui…

Après ce premier segment, qui montre ce que peuvent avoir de déshumanisant les exigences de la société iranienne, la suite fait un peu figure de retour aux sources : à cet âge où le choix n’est pas encore fait. Après le quotidien d’un homme installé, dans ce qu’il a de plus banal, c’est un huis clos étouffant et sous tension qui nous attend. Six jeunes conscrits sont enfermés dans leur chambrée minuscule. L’un d’eux est en sueur, pâle comme un cadavre. Cette nuit, il sait qu’il doit pour la première fois « retirer le tabouret » d’un condamné à mort, comme doivent souvent le faire les jeunes hommes durant leur service militaire. Il cherche à y échapper, attendant l’appel de sa petite amie dont il compte sur les relations. Lui refuse de tuer son semblable, ses camarades tentent de le raisonner, lui expliquant que c’est un passage obligé pour faire partir de la société… C’est extrêmement tendu, admirablement mis en scène dans les décors exigus de cette caserne-prison. Et là encore, la réalité est bien loin de ce qu’on croyait percevoir.

Dans le troisième segment, un nouveau changement de perspective s’opère. Changement de décor aussi : on découvre un jeune conscrit profitant de trois jours de permission dans les vastes paysages de la campagne verdoyante iranienne. Le jeune homme profite de ce temps libre pour retrouver sa petite amie dans sa maison familiale, loin de la ville. Il y découvre une famille en deuil, après la mort d’un homme que lui-même ne connaissait pas, un « activiste » dont il apprend en même temps l’existence et la mort, exécuté la veille dans la prison où il était incarcéré. En découvrant la photo de cet ami qu’on lui cachait, le jeune conscrit comprend que c’est l’homme à qui il a lui-même « retiré le tabouret » pour avoir droit à ces trois jours de permission…

Nouveau changement de perspective dans le quatrième et dernier segment. Et nouveau changement de décor : cette fois, les montagnes arides et désertiques, où vit un homme qui, lui, a refusé de se plier, sacrifiant ainsi tout son avenir et tout ce à quoi il pouvait prétendre. On dirait volontiers que c’est le plus beau des quatre, mais ce serait injuste. Il est le plus fort, le plus bouleversant, parce qu’il est éclairé par les trois précédents, parce qu’il boucle une sorte d’étude à hauteur d’hommes sur ce que la peine de mort et cette société iranienne exigent. Le film est politique, oui, bien sûr. Mais s’il est si beau, et finalement si universel, c’est parce qu’il ne filme que des individus, dans leur complexité, leurs doutes et leurs certitudes. Tout simplement magnifique.

The Power of the Dog (id.) – de Jane Campion – 2021

Posté : 6 janvier, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, CAMPION Jane, WESTERNS | Pas de commentaires »

The Power of the Dog

Douze ans que Jane Campion n’avait plus réalisé de long métrage. Depuis Bright Star, elle n’avait pas totalement disparu pour autant, signant les deux saisons de sa superbe série Top of the Lake. Mais quand même, la voir revenir au cinéma était forcément très excitant… même si, en guise de cinéma, il faudra hélas se contenter de Netflix. Et qu’est-ce qu’on aurait aimé voir The Power of the Dog sur un grand écran, dans une grande salle…

Douze ans d’attente, et Jane Campion revient avec un nouveau chef d’œuvre, immense, de ces films dont on sent qu’ils nous hanteront longtemps. Un film qui multiplie les fausses pistes, trompant constamment les attentes, jouant avec les sensations, les sentiments et les idées reçues du spectateur, avec une virtuosité et une intensité exceptionnelles.

Il y a d’abord ce genre du western que Campion donne l’impression d’aborder avec un certain classicisme. Mais du genre, elle ne garde pas grand-chose : le décor spectaculaire du Montana, les personnages de cowboy mal dégrossis dans ce qui est le plus grand ranch du territoire… Et c’est à peu près tout, la réalisatrice se moquant bien de toute référence au genre.

L’intrigue, d’ailleurs, se déroule dans les années 1920, à une époque où les bandits de grands chemins et les Indiens ne sont plus une menace, où les héros n’existent plus, et où dans ces grands espaces, c’est avant tout à la solitude et l’éloignement que sont confrontés les personnages. Comme dans La Leçon de Piano, autre chef d’œuvre qui a révélé au monde le talent si singulier de Jane Campion ? L’apparition d’un piano dans cette maison si loin de tout, cadeau fait à une jeune femme perdue par son mari, fait planer une nouvelle illusion…

Illusion qui ne dure guère, explosant violemment lors d’une séquence d’une cruauté insidieuse à peine supportable. Le piano, refuge salvateur il y a près de trente ans, devient ici un objet de torture malgré lui, qui ne fait qu’accentuer le malaise parce qu’il symbolise les fausses illusions derrière lesquelles se cachent les personnages.

Tout est mensonges, illusions et faux semblants dans ce faux western où des personnages hantés par leur solitude et leur mal-être se rencontrent, ou plutôt se percutent violemment. Une jeune mère célibataire (Kirsten Dunst), qui épouse un homme effacé (Jesse Plemons) ayant renoncé à des études brillantes pour tenir un ranch avec son frère, cynique et tyrannique (Benedict Cumberbacht), qui prend en grippe sa nouvelle belle-sœur et son fils trop efféminé (Kodi Smit-McPhee)… Quatre personnages forts, quatre acteurs formidables.

De ce quatuor improbable, Jane Campion tire le sentiment constant d’une menace sourde, d’une violence prête à exploser à chaque instant. Elle dont on a trop vite dit qu’elle filmait de grands personnages de femmes, filme de grands personnages tout court. Il n’y a qu’à voir la manière dont elle filme Benedict Cumberbacht, bloc de fureur dont on a le sentiment qu’il est capable du pire, mais dont elle souligne la terrible humanité : grand numéro d’acteur qui, dans le même plan, glace le sang et émeut, comme s’il pouvait en même temps tuer froidement et fondre en larmes.

C’est toute l’ambivalence de The Power of the Dog, sa force franchement unique. Jane Campion signe sans doute le plus cruel de ses films, celui où la violence est la plus palpable, la plus explosive. Mais où tout n’est que sensations, parfois à peine soutenables, et attentes déjouées. Un film immense, qui vous laisse hagard.

Amants – de Nicole Garcia – 2020

Posté : 2 janvier, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2020-2029, GARCIA Nicole | Pas de commentaires »

Amants

Le plus beau dans le cinéma de Nicole Garcia, c’est cette délicatesse et ce naturel avec lesquels elle fait surgir l’émotion autour d’un personnage, autour d’une situation. C’est encore une fois vrai avec Amants, neuvième long métrage de la dame qui, mine de rien, est devenue l’une des cinéastes françaises les plus passionnantes.

Quasiment depuis ses débuts, Nicole Garcia flirte avec le film noir, en effleurant le genre (avec Le Fils préféré, voire même Un balcon sur la mer) ou de manière plus frontale (Place Vendôme). Amants possède tous les attraits du film noir : un jeune homme un peu paumé (Pierre Niney), une femme un peu fatale (Stacy Martin), et un mari un peu gênant (Benoît Magimel). Pour un peu, on se croirait dans Le Facteur sonne toujours deux fois.

Cette référence parmi tant d’autres dans ce genre très américain est très présente. Et même si le film n’est pas clairement un polar, elle plane comme la menace d’un destin tragique inhérent au genre. Ce n’est évidemment pas un hasard si le couple principal termine une soirée tendre et intime en regardant L’Ultime Razzia, avec cet ultime plan superbement définitif sur les portes d’aéroport qui se referment.

La tragédie est au bout du chemin. Nicole Garcia n’en fait pas un mystère. Pourtant, on retrouve dans Amants la même immense empathie pour les personnages, tous les personnages, que dans tous ses films. Et la même attention infinie dans la manière de les filmer. Pas besoin d’être acteur pour comprendre qu’être filmé par elle ressemble à une sorte d’aboutissement. Film après film, le même constat revient d’ailleurs : untel n’a peut-être jamais été aussi bien qu’ici. Spécialement les hommes.

Pierre Niney et Benoît Magimel entrent ainsi dans le beau club déjà occupé par le Gérard Lanvin du Fils Préféré ou le Jean Dujardin d’Un balcon sur la mer. C’est dire. Ils sont tous les deux formidables, mis à nus (littéralement) avec une délicatesse infinie, une classe folle, et même une vraie tendresse. Le personnage de Niney a un côté petit con ? Celui de Magimel a l’arrogance des hommes trop riches ? Oui, et Nicole Garcia les met en scène sans jamais les magnifier. Sans jamais leur enlever leur profonde humanité, non plus.

Entre eux, Stacy Martin est une révélation (pour moi en tout cas, qui étais totalement passé à côté jusqu’à présent), elle aussi superbe dans le rôle d’une jeune femme arrachée trop brutalement à ses rêves d’enfant, ou un peu trop dépendante c’est selon. La scène des retrouvailles avec Pierre Niney, tout en bravades et en cynisme feint, est l’une des plus belles du cinéma de Nicole Garcia. L’un de ces moments magiques où l’émotion éclate sans qu’on l’ait vraiment vu venir.

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