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Archive pour la catégorie '1920-1929'

Silence (id.) – de Rupert Julian – 1926

Posté : 24 juin, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, JULIAN Rupert | Pas de commentaires »

Silence

Rupert Julian est un cinéaste de premier plan (il vient de signer Le Fantôme de l’Opéra) lorsque Cecil B. De Mille, producteur, lui confie la réalisation de Silence, film qui a pendant des décennies rejoint la triste liste des films muets disparus. Ça, c’était jusqu’à ce qu’une copie soit retrouvée dans les archives de la Cinémathèque française. C’était en 2014, et la copie en question était dans un état miraculeusement bon, et complète : un peu plus courte que la version originale américaine, mais telle que prévue pour le marché français.

Surtout, le film est d’une grande beauté, profondément émouvant, et formellement assez bluffant. H.B. Warner (qui s’apprêtait à devenir Jésus Christ pour De Mille dans Le Roi des Rois) y est un condamné à mort que son avocat tente de faire parler à quelques heures de son exécution : pourquoi accepte-t-il de se sacrifier pour un autre, alors qu’il est évidemment innocent ?

L’homme refuse obstinément de parler. Mais à mesure que l’heure fatidique approche, le temps qui s’égrène implacablement occupe toutes ses pensées. Sur son visage en très gros plan se superpose à l’image du balancier d’une horloge, et à celle de la corde qui se balance au même rythme… Il stoppe le balancier, mais un autre balancier continue le mouvement en surimpression. Implacable et formidable montage qui introduit le long flash-back qui constitue l’essentiel du métrage.

Julian y dévoile la même maîtrise que dans son Fantôme…, avec cette capacité d’associer l’émotion à la plus grande des tensions. Il utilise merveilleusement les éléments de ses décors pour souligner la force implacable du destin : les barreaux de la prison sur le visage de Warner, la fenêtre qui le sépare de sa fille : cet enfant qu’il a eue avec la femme qu’il aimait et dont le destin l’a privé.

Ce saligaud de destin, qui n’épargne rien à ce brave homme qui accepte tous les coups du sort avec une grandeur d’âme immense, mais en accusant le coup. L’acteur semble d’ailleurs réellement vieillir au fur et à mesure que les années s’écoulent, grande composition d’acteur. On ne dira rien de la longue séquence finale, si ce n’est qu’elle d’une force immense, et qu’on en sort avec le sentiment d’avoir vu un grand film qui revient de loin.

La Divine Croisière / Le Miracle de la mer – de Julien Duvivier – 1929

Posté : 17 juin, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, DUVIVIER Julien, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

La Divine Croisière

Voilà pourquoi Duvivier est le plus grand des réalisateurs français. La Divine Croisière est encore nimbé de religion, le scénario est hautement improbable (la fille d’un armateur tyrannique décide de prendre la mer pour retrouver le bateau disparu de celui qu’elle aime). Mais pourtant, le film est un chef d’œuvre, visuellement splendide, et d’une puissance extraordinaire.

Le film est beau à tous points de vue. Et il n’en manque pas (de points de vue). Film d’aventure, film ésotérique, film social engagé, film quasi-documentaire sur une petite cité de pêcheurs… Cela pourrait partir dans tous les sens, c’est juste extrêmement dense, mais parfaitement tenu.

Impossible de faire le tour de toutes les beautés du film. Commençons par l’utilisation de la lumière, motif omniprésent qui semble conduire vers l’apogée du film : le « miracle » en haute mer. Une lanterne qui éclaire la nuit, un début d’incendie… Duvivier s’autorise toutes les audaces visuelles avec une maîtrise parfaite.

Plus qu’une maîtrise, à vrai dire : le film est d’une grande virtuosité, constamment au service du récit et des émotions. Duvivier souligne les grands mouvements romantiques comme les soudains aspects de rage, et nous offre des ruptures de tons parfois radicaux. Parfois dans le même temps d’ailleurs : un beau montage parallèle met en regard l’euphorie de retrouvailles et l’horreur d’une mort violente.

La violence est rare, mais elle marque la rétine, comme cet homme inconscient passé par-dessus bord, vision glaçante qui rompt avec la bonhomie de certaines séquences, notamment celles mettant en scène le bon prêtre, jovial et généreux. Tout l’opposé du puissant armateur, qui casse une grève naissante avec froideur.

Duvivier prend évidemment le parti des petits, les marins exploités dont il filme les visages en très gros plans d’une expressivité sublime. Il y a dans ces portraits une vérité incroyable. On peut ajouter des séquences impressionnantes de tempête, avec une belle utilisation de maquettes. Ou encore une belle direction d’acteurs, qui évite le piège de la béatitude que le thème pouvait laisser craindre.

Duvivier met en scène ce qui ressemble fort à un miracle, avec apparition divine. Mais son cinéma est entièrement tourné vers les personnages, vers ce milieu des marins dans lequel il nous plonge intimement. Et c’est absolument magnifique.

Pendant plus de quatre-vingt-dix ans, le film était considéré comme perdu en grande partie. Sa version complète a finalement été retrouvée et reconstituée grâce à Lobster, la précieuse société de Serge Bromberg. Le film, superbement restauré, figure dans le coffret consacré aux premiers chefs d’œuvre de Duvivier. Indispensable.

La Petite Marchande d’allumettes – de Jean Renoir – 1927

Posté : 4 juin, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, RENOIR Jean | Pas de commentaires »

La Petite Marchande d'allumettes

Voilà sans doute le tout premier chef d’œuvre de Renoir. Jusqu’à présent, son œuvre muette m’avait toujours laissé au mieux dubitatif (Sur un air de charleston), au pire franchement déçu (Nana). Mais revoir cette adaptation du célèbre conte d’Andersen est un véritable émerveillement.

De l’histoire simple et tragique de cette pauvre jeune femme qui se laisse mourir de froid parce qu’elle est incapable de vendre ne serait-ce qu’une boîte d’allumettes, le jeune Renoir tire une sorte de leçon de cinéma, déchirante et impressionnante.

Impressionnant, de voir comment le jeune cinéaste, qui peut afficher une certaine nonchalance vis à vis de la pure technique, utilise ici toutes les possibilités qu’offre le langage cinématographique, dans un grand mouvement d’une beauté folle.

Dans la grande séquence d’hallucination, bien sûr, où la jeune femme qui se laisse glisser vers la mort s’imagine trouver sa place dans le monde féerique des jouets qu’un policier lui a montré à travers une vitrine. Typiquement le genre de séquences promises à un vieillissement prématuré, mais non… Ces pantins qui prennent vie, ce gros ours en peluche qui boit un thé chaud, et surtout cette extraordinaire chevauchée céleste… Tout ça est d’une beauté et d’une force incroyables.

Dans les séquences « réelles » aussi, Renoir utilise merveilleusement les artifices du cinéma : la maquette qui ouvre le film, les décors minimalistes de studio (juste un fond blanc, parfois), les transparences… Renoir utilise tous les « trucs » possibles, sans jamais jouer la carte du réalisme, mais en en tirant une vérité déchirante. Et en offrant au passage à sa muse Catherine Hessling (souvent agaçante dans d’autres films) ce qui est probablement son plus beau rôle.

Sur un air de Charleston – de Jean Renoir – 1927

Posté : 6 mai, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, COURTS MÉTRAGES, FANTASTIQUE/SF, FILMS MUETS, RENOIR Jean | Pas de commentaires »

Sur un air de Charleston

Comme le titre ne le souligne pas, Sur un air de Charleston est un film muet. Et comme le titre ne le souligne pas non plus, c’est un film de science-fiction. Enfin à peu près. Sur le principe en tout cas : on est en 2028, « quelques années après la prochaine guerre » annonce un intertitre pas très visionnaire. Le film, c’est vrai, est bien moins pertinent dans sa représentation du futur que dans ce qu’il dit de l’époque où il est tourné.

C’est toujours intéressant de découvrir un film de jeunesse d’un grand cinéaste. Celui-ci est signé Jean Renoir, alors on s’y engage avec un certain enthousiasme, qui se heurte vite à une interrogation : qui donc a imaginé ça ? Le délire qui se dégage de ce film m’a en tout cas laissé franchement sur le bord de la route. Ce n’est pas encore ici que l’œuvre muette de Renoir va être réévaluée sur ce blog.

Nous sommes donc dans un futur où l’Europe est en partie recouverte par la glace, et où la civilisation la plus avancée se trouve en Afrique. Un explorateur (noir, donc, mais joué par un blanc maquillé très outrancièrement en noir, comme c’était de bon ton à l’époque) s’envole dans une sphère (pas très aérodynamique, au passage) et atterrit dans un Paris retourné à l’état sauvage. Pas de grands effets ici : on se contente d’un plan sur une tour Eiffel pliée en deux et du décor unique d’une rue abandonnée où se passe toute l’action.

Là, l’explorateur tombe sur une jeune femme très dévêtue (Catherine Hessling, la muse de Renoir fils comme elle a été celle de Renoir père), qui tue le temps en jouant avec un grand singe (un acteur recouvert d’un costume très approximatif) et en dansant le charleston. Que l’explorateur, qui craint d’être mangé par l’autochtone, découvre avec passion et décide d’importer dans son Afrique.

Vous saisissez l’inversion des valeurs ? L’Europe devient une terre de curiosité pour la très civilisée Afrique… Mouais. Curieux projet que ce film de jeunesse, qui dure à peine vingt-cinq minutes dont la moitié consacrée à un court de danse charleston. Oui, dans un film muet. Toute la gageure repose alors sur la capacité qu’a Renoir d’accrocher l’attention en filmant deux personnes se déhanchant. Il s’y essaye en multipliant les ralentis sur sa muse, dont le charme insolent a mal passé l’épreuve du temps.

Content de l’avoir vu, dirons-nous…

Fait-divers – de Claude Autant-Lara – 1923

Posté : 2 mai, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, AUTANT-LARA Claude, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Fait-divers

C’est donc à l’époque du muet que Claude Autant-Lara a commencé sa carrière, avec une poignée de courts métrages dont ce Fait-divers est le tout premier, l’histoire on ne peut plus banale d’un triangle amoureux à Paris : une femme, deux hommes, autant de raisons de titiller les jalousies et les envies de meurtre.

Histoire banale, donc, mais ce Faits-divers s’inscrit dans un courant très en vogue à cette époque : une approche à la fois poétique et expérimentale du cinéma, pour laquelle le langage artistique surpasse et de loin l’intérêt purement narratif.

C’est clairement le cas ici, où toutes les techniques à la disposition du cinéaste sont utilisées. Surimpressions, images ralenties ou accélérées, montage alterné… Les images sont tellement stylisées qu’elles frôlent parfois l’abstraction.

C’est dans le pire des cas curieux, dans le meilleur fascinant. Autant-Lara signe en tout cas un premier film audacieux et plein d’envie de cinéma. Et réussit quelques scènes mémorables, à commencer par une séquence de meurtre fantasmé à l’esthétique traumatisante. Une curiosité, pour le moins.

Ménilmontant – de Dimitri Kirsanoff – 1926

Posté : 1 mai, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1920-1929, FILMS MUETS, KIRSANOFF Dimitri | Pas de commentaires »

Ménilmontant

Ce sont des images d’une violence rare qui nous font entrer dans le film : l’assassinat d’un couple à coups de haches. Pas d’effets gores, non, mais un montage serré au couteau et des très gros plans qui donnent à sentir la violence et la sécheresse du propos. Le film, moyen métrage qui restera le sommet de la carrière de Kirsanoff, n’est commencé que depuis quelques minutes à peine. Et déjà, nous voilà assommés.

D’autant plus que cet acte criminel fondateur n’est que l’introduction. Au meurtre lui-même suit immédiatement des images des filles du couple, dont la jeunesse et la pureté sont stoppées dans leur élan avec une brutalité insondable. Une ellipse déchirante, et les voilà jeunes femmes, orphelines à qui on a volé toute chance d’accéder à une belle vie.

La première partie est forte sur le fond, et d’une audace extrême dans la forme. Tout n’est pas totalement maîtrisé, mais on doit attribuer au cinéaste un sens très acéré de l’expérimentation. Montage rapide, mouvements soudains de caméra, surimpressions… Il y a chez Dimitri Kirsanoff une volonté de pousser l’art cinématographique dans ses retranchements. Et ce qu’il nous offre est un acte artistique qui doit plus à Epstein ou Eisenstein qu’au réalisme poétique que sa manière de filmer les décors invoque avec quelques années d’avance.

L’expérimentation est souvent fascinante. Mais c’est quand Kirsanoff touche à la maîtrise absolue de son art que son film frôle le chef d’œuvre. Il en est même tout proche dans deux séquences d’une force et d’une beauté saisissantes.

La première met en scène la plus jeune des sœurs, qui suit l’homme qui lui plaît jusqu’au pied de son immeuble, bâtisse miteuse dans une rue miteuse, triste décor pour une défloraison qui n’a rien d’un conte de fée. La chair est triste, et le côté glauque de cette soirée initiatique est souligné par une succession de fondus-enchaînés assez extraordinaires, dont l’utilisation n’a rien perdu de son efficacité près d’un siècle plus tard.

La seconde est plus simple encore, et plus courte. La même jeune femme, qui a donné naissance à un bébé avec lequel elle se retrouve seule à la rue, est assise sur un banc. Un vieil homme vient s’asseoir à côté, se prépare un sandwich, et avec une pudeur bouleversante, pousse vers la jeune femme, sans même la regarder un peu de pain et de saucisson, qu’elle avale avec des torrents de larmes. Qui ne tardent pas à gagner les joues du pauvre spectateur.

On pourrait aussi évoquer la délicatesse extrême avec laquelle le cinéaste filme les retrouvailles des deux sœurs, et les regards si lourds d’amertume et d’amour mêlés qu’elles s’échangent. Ou la violence de la bagarre finale. On pourrait aussi souligner que ce petit bijou de mise en scène et d’émotion n’utilise pas le moindre intertitre. On pourrait enfin rappeler que la redoutable critique Pauline Kael l’a cité comme l’un de ses films préférés. Ménilmontant, en tout cas, est plus qu’une curiosité : une petite merveille.

Le Mariage de Mademoiselle Beulemans – de Julien Duvivier – 1927

Posté : 29 avril, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, DUVIVIER Julien, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Le Mariage de Mlle Beulemans

Le cinéma de Duvivier ne cesse de surprendre par ses qualités ethnologiques qui évitent systématiquement toutes les images cartes-postales. Le Mariage de Mademoiselle Beulemans surprend donc dès les premières minutes, par son introduction qui sonne comme un aveu rigolard : oui, il va cette fois jouer avec les clichés du pays dans lequel il pose ses caméras, en l’occurrence la Belgique.

Çcommence donc par cinq minutes touristiques : en guise de générique, Duvivier tourne les pages d’un livre consacré à la Belgique et à ce qu’il faut en connaître. Défilent alors des images de Bruxelles, de Bruges, d’Anvers ou de Gand, des gravures évoquant le goût du peuple belge pour la bonne chaire et la bonne bière. Et c’est dans le milieu des brasseurs de bière qu’il pose ses caméras, flirtant décidément avec les clichés liés à la Belgique.

La pièce dont le film est l’adaptation (et dans laquelle Julien Duvivier avait joué quelques années plus tôt) était en grande partie basée sur la langue et l’accent belges ? Duvivier contourne les contraintes du muet en basant son film sur l’atmosphère des brasseries et sur la truculence très visible de ses personnages. L’accent lui-même est remarquablement bien rendu par l’utilisation très habite des intertitres, pourtant parcimonieux.

Une comédie : il n’y en a pas tant que ça dans la carrière de Duvivier, surtout des comédies si légères et simples. Il s’y révèle très à l’aise, signant un film vif et plein d’esprit, qui oppose les postures élégantes d’un jeune Parisien de passage à Bruxelles, et l’aspect brut de coffrage de ce microcosme des brasseurs belges.

De son triangle amoureux assez classique, Duvivier fait un portrait vivant et irrésistible de ce petit monde. C’est donc l’histoire d’une jeune femme, fille d’un des grands brasseurs de la ville, qui hésite entre le fils d’un autre brasseur à qui elle est promise, et un Parisien de passage qui peine à trouver sa place dans ce monde qui n’est pas le sien.

Le film est plein de scènes de foules, notamment de tavernes, tellement vivantes qu’on a le sentiment d’entendre le brouhaha. Une séquence, surtout, impressionne : le concours de pipe, dans une pièce de plus en plus enfumée. A l’image de la toute dernière scène, qui mêle l’intime de la situation au gigantisme de la mise en scène, Duvivier joue constamment sur ces deux tableaux : une histoire basée sur une poignée de personnages, et un contexte grouillant de vie et d’excès. C’est totalement irrésistible.

L’Agonie de Jérusalem – de Julien Duvivier – 1927

Posté : 8 avril, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, DUVIVIER Julien, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

L'Agonie de Jérusalem

Un anarchiste en rupture avec la société va connaître la rédemption en suivant les pas de Jésus dans Jérusalem. Sur le papier, L’Agonie de Jérusalem n’est pas franchement exaltant : encore un film mystique qui promet d’appuyer lourdement sur les symboles et les beaux sentiments. C’est le cas : Duvivier, aux manettes, est lui-même en pleine crise mystique quand il écrit et tourne le film, prenant le parti comme il en a l’habitude de tourner sur les lieux mêmes de l’action, où il espère d’ailleurs connaître une sorte de révélation qui ne viendra pas, ce qui contribuera à lui faire passer sa crise de foi.

A vrai dire, seule la dernière partie appuie lourdement sur le côté mystique de l’histoire, en plaçant littéralement le personnage principal, contemporain, dans les pas de Jésus, à grand renfort de reconstitutions historiques. On est quand même très loin d’une vision à la Cecil B. De Mille, et ce qui frappe surtout, c’est l’extraordinaire maîtrise technique et artistique de Duvivier, qui joue avec le langage cinématographique avec une invention et une intelligence déjà remarquables.

Qu’il filme les paysages du Monts des Oliviers ou les ruelles de Jérusalem, ou l’effervescence de milieux interlopes parisiens, Duvivier fait preuve d’un sens de l’espace et de la mise en scène exceptionnel. Bien sûr, le thème lui-même est parfois déroutant, voire irritant, et les effets de mise en parallèle entre la rédemption du héros et le martyr de Jésus a un côté à la fois convenu et vieillot. Mais il y a tout le reste.

Et dès les premières images, le talent de Duvivier est éclatant : cette manière qu’il a de présenter le héros, sortant de prison dans un sublime plan tout en plongée et en ombres portées. Puis la vie qu’il donne à ce petit milieu des anarchistes qu’il filme avec un beau sens du détail qui « sonne vrai ». Un travelling arrière pour introduire le personnage féminin, un plan plein d’humour pour évoquer la ressemblance entre l’oncle célibataire et attachant, et un bulldog… Il y a dans ce film une invention constante et une maîtrise qui en font une œuvre passionnante, même si mineure dans la filmographie de Duvivier.

Il y a, surtout, cette scène où le fils se lance dans un pamphlet contre l’autorité parentale, dans une salle bondé où il ignore que son père se trouve. La confrontation entre les deux, dans cette salle soudain chauffée à blanc, est un sommet de tension et d’émotion. On pourrait continuer comme ça longtemps l’énumération des grands moments, des grandes idées de ce film, aussi déroutant par moments que précieux.

D’autant plus précieux que le film a longtemps été perdu. Il est aujourd’hui disponible dans un superbe coffret regroupant neuf films muets de Duvivier, tous restaurés. Serge Bromberg, le précieux patron de Lobster, y raconte comment son équipe a reconstitué L’Agonie de Jérusalem, dont la copie retrouvée dans les années 1970 était une version très transformée pour le public tchèque, l’exploitant ayant inséré des extraits spectaculaires d’autres films pour épicer le spectacle. Le film de Duvivier revient de très loin, et c’est passionnant.

La femme de nulle part – de Louis Delluc – 1922

Posté : 3 janvier, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, DELLUC Louis, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

La Femme de nulle part

Une grande maison isolée dans la campagne ; une jeune femme dont on sent qu’elle rêve d’une vie plus palpitante que ce quotidien de mère de famille, mariée à un homme qui n’a pas le profil du prince charmant ; une autre femme qui arrive, le pas lourd, le poids du malheur sur les épaules…

Cette inconnue, c’est Eve Francis, l’épouse et muse de Louis Delluc, qui en fait des tonnes, toute en gestuelle excessive, véritable tragédienne à l’ancienne. Face à elle, Gine Avril (actrice très éphémère qui n’a tourné que cinq films entre 1921 et 927) est plus en retenue, avec un jeu plus sobre et plus moderne. Pas sûr que ce soit voulu, mais la confrontation de ces deux jeux d’actrices, de ces deux générations qui se répondent et se répètent, est l’une des belles choses qui reste du film.

Il reste aussi quelques scènes de foules, sans doute volées dans des décors réels : les regards face caméra de quelques badauds en atteste. C’est aussi là que le film trouve tout son intérêt : dans sa manière de filmer une gare italienne, le port de Gênes, ou un cabaret grouillant de vie.

L’histoire elle-même paraît bien anodine aujourd’hui, avec son drame étiré à l’envi. Partira ? Partira pas ? Zat is ze kwestion. La jeune femme suivra-t-elle son amant, comme la visiteuse l’a fait bien des années avant elle ? Abandonnera-t-elle mari et enfant pour vivre la passion ? Ou se laissera-t-elle guider par la raison ? Suivra-t-elle ses impulsions de jeune femme, ou écoutera-t-elle la voix de cette inconnue qui apparaît comme une conscience incarnée, qui elle-même hésite sur le conseil à donner ?

Suspense insoutenable, dont je ne dévoilerai pas le dénouement ici. Soulignons quand même que la décision finale est prise lors d’une scène d’une cruauté quand même assez incroyable, promesse d’une belle vie de traumatisme pour la gamine qui traverse le film tel un fil rouge sensible, ou le rappel des enjeux du drame.

Si le film accuse son presque siècle, il reste un vrai plaisir de découvrir (tardivement, je le concède) le cinéma de Louis Delluc, dont on ne connaît plus guère aujourd’hui que le prix auquel il a donné son nom. Malgré un rythme inégal, et des cartons un rien trop explicatifs, il y a dans ce film quelques jolis moments, une belle manière d’utiliser les décors naturels surtout, qui donne envie d’en découvrir plus.

Les Contes d’Hoffmann (Hoffmanns Erzählungen) – de Max Neufeld – 1923

Posté : 27 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FANTASTIQUE/SF, NEUFELD Max | Pas de commentaires »

Les Contes d'Hoffmann

Presque trente ans avant la version de Michael Powell et Emeric Pressburger, l’Autrichien Max Neufeld avait déjà adapté, réalisé et interprété Les Contes d’Hoffmann. Bien sûr, adapter un opéra à l’époque du muet relève, au mieux de la gageure. Le pari pourrait être excitant. Il s’avère un peu plombant.

Neufeld, que je découvre avec ce film longtemps considéré comme perdu, a sûrement beaucoup de qualités. Mais ses ambitions restent ici constamment limitées. Pas question de pallier l’absence de musique par la seule grâce de la mise en scène, qui pour le coup n’a pas grand-chose de purement musicale. De l’opéra, il ne subsiste à vrai dire que deux scènes de danse pas franchement renversantes.

De l’œuvre d’Offenbach, Neufeld (livret de Jules Barbier, inspiré des contes du poète Ernst Theodor Amadeus Hoffman, au moins pour l’esprit) conserve l’intrigue et la construction, qui en fait l’un des précurseurs du film à sketch : un étudiant viennois, éternel voyageur, débarque dans une taverne et raconte à ses comparses trois improbables étapes de ses voyages, qui l’ont confronté à des formes inattendues de l’amour.

Une femme automate, un pacte avec le Diable, un violon enchanté… Les chemins de l’amour sont impénétrables, paraît-il. Ils paraissent en tout cas bien datés dans ce film, qui flirte avec l’expressionnisme sans jamais verser dans la folie des grands classiques du genre. Les décors sont stylisés, la partie centrale fait la part belle (avec bonheur) aux ombres profondes et inquiétantes… Le cahier des charges de l’expressionnisme est relativement bien rempli. Mais ces Contes d’Hoffmann traînent en longueur (malgré les 78 minutes du métrage), sans nous toucher vraiment.

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