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Archive pour la catégorie '1920-1929'

The Locked Door / Le Signe sur la porte (The Locked Door) – de George Fitzmaurice – 1929

Posté : 26 septembre, 2010 @ 6:41 dans 1920-1929, FITZMAURICE George, STANWYCK Barbara | Pas de commentaires »

The Locked Door / Le Signe sur la porte (The Locked Door) - de George Fitzmaurice - 1929 dans 1920-1929 the-locked-door

J’ai toujours eu un avis très nuancé à propos de Barbara Stanwyck, mais il faut bien que je me rende à l’évidence : c’est une immense actrice. Dès ce Locked Door, souvent considéré comme son tout premier film (elle avait en fait déjà  fait une apparition dans un film muet, quelques mois plus tôt), elle réussit une performance magnifique. Le rôle, pourtant, n’était pas facile.

Jeune femme bien mariée, elle tente d’oublier que, quelques mois avant de rencontrer celui qu’elle allait épouser, elle avait été embarquée par la police alors qu’elle passait la soirée avec un séducteur qui avait tenté d’abuser d’elle, et de la faire boire (on est alors en pleine Prohibition). Cet épisode de sa vie paraît bien loin, mais le séducteur réapparaît, au bras de la jeune sœur de son mari. Elle tente de convaincre le bellâtre de se retirer, et c’est là que le cauchemar commence : alors que Barbara est chez le séducteur, son mari arrive, lui aussi pour inciter l’homme à oublier sa sœur. Barbara se cache, une bagarre éclate entre les deux hommes, un coup de feu retentit. Le mari a abattu le salaud. Ignorant la présence de sa femme, il efface les traces, sort de l’appartement, et ferme la porte à clé, enfermant Barbara, obligée d’appeler la police…

On sent bien que l’histoire est parfaitement taillée pour le théâtre. C’est d’ailleurs le cas : le film de Fitzmaurice est adapté d’une pièce de Channing Pollock. On pouvait donc s’attendre au pire : en ces premiers mois du cinéma parlant, la majorité des films reposaient entièrement sur l’attrait du son, oubliant le plus souvent la forme et le langage cinématographique. Les adaptations paresseuses de pièces de théâtre étaient alors légion. Surprise, donc : The Locked Door n’a rien de paresseux, et se révèle même une très grande réussite (peu de films parlants de 1929 peuvent être qualifiés de la sorte). Le réalisateur parvient à instaurer une belle ambiance angoissante dès les premières séquences. Les comédiens (exception faite de l’immense Barbara Stanwyck, bien sûr) sont un peu fadasses, mais ils sont tous d’un naturel étonnant dans les scènes dialoguées, parfaitement crédibles alors que l’influence déclamatoire du théâtre était très répandue au début du parlant.

Et puis, donc, il y a Barbara Stanwyck, dont le regard d’abord enthousiaste, puis paniqué, des premières séquence, est inoubliable. Cette actrice, qui naît avec le parlant, est paradoxalement particulièrement bouleversante dans les scènes muettes. L’une de ces scènes, en particulier, est à montrer dans toutes les écoles de comédie : lorsqu’elle se rend compte qu’elle est enfermée avec un cadavre, et qu’elle ne pourra éviter ni la police, ni les soupçons de son mari, ni le scandale… Le visage de l’actrice qui se décompose peu à peu vous glace littéralement le sang. C’est du très grand art.

On peut aussi souligner la présence, dans le rôle de la réceptionniste, de Zasu Pitts, vedette comique depuis le début des années 20, dont la dégaine inimitable apporte une légèreté bienvenue dans des séquences plutôt dramatiques.

Just Pals / Pour la sauver / Pour le sauver (Just Pals) – de John Ford – 1920

Posté : 15 septembre, 2010 @ 6:44 dans 1920-1929, FILMS MUETS, FORD John, WESTERNS | Pas de commentaires »

Just Pals / Pour la sauver / Pour le sauver (Just Pals) - de John Ford - 1920 dans 1920-1929 just-pals

Un petit Ford première période, mineur, mais très sympathique. Le jeune réalisateur (il a alors 25 ans) a déjà à son actif plus d’une trentaine de westerns, tournés essentiellement avec son ami Harry Carey, dont certains laissent déjà transparaître le génie fordien. Avec Just Pals, l’un de ses premiers longs métrages à être arrivés jusqu’à nous (la plupart sont perdus), Ford signe le portrait bucolique d’un petit village américain où il semble faire bon vivre. « Semble », car derrière l’apparente légèreté du propos, Ford n’épargne pas les bons Américains, prompts selon lui à condamner à l’emporte-pièce, et enclins à pratiquer le lynchage. Cette séquence de lynchage, parenthèse étonnamment sombre dans un film plutôt léger, est d’ailleurs l’une des plus belles de ce film court mais très riche.

Le sympathique Buck Jones y interprète Bim, « le bon à rien du village », un jeune oisif allergique au travail, mais avec un cœur gros comme ça. Les habitants n’ont que mépris pour ce type tout juste considéré comme faisant partie du paysage local, mais à qui personne ne prête vraiment attention. Et pourtant, ce Bim a du cœur, il est secrètement amoureux de la jolie institutrice, mal fiancée à un type qui révèlera vite sa vraie nature. Bim est aussi le seul à réagir lorsqu’un enfant, vagabond, est molesté par l’agent de sécurité d’un train qui arrive en gare. Un geste qui attirera l’attention de l’instit, et qui scellera l’amitié entre le jeune homme et le garçon, qui deviendront inséparables.

C’est un peu une variation sur le même thème que Le Kid, de Chaplin, sorti l’année précédente, mais sans mélo, et sans burlesque. On est plus ici du côté de l’action, voire même du suspense policier. Le film de Ford, malgré sa courte durée (une cinquantaine de minutes), est particulièrement dense : une histoire d’amour, une comédie bucolique, un suspense, un film social… Just Pals est un peu tout ça à la fois.

Le film ne fait pas partie des grands chef d’œuvre de Ford ; dans les années qui suivent, il fera beaucoup  mieux avec des films comme Four Sons, Le Cheval de fer ou Trois sublimes canailles, des chefs d’œuvre du cinéma muet (tous ces films, ainsi que Hangman’s House, sont d’ailleurs réunis dans un coffret DVD  indispensable, uniquement en zone 1 : « Ford at Fox, silent epics »). Mais Just Pals porte déjà indéniablement la marque de Ford. Visuellement, le film alterne les scènes un peu anonymes et les plans magnifiquement construits, où la profondeur de champs est souvent merveilleusement utilisée. Motif incontournable dans l’œuvre de Ford, les barrières sont également omniprésentes, soulignant avec beaucoup de délicatesse (et de très jolis effets visuels) la différence de classe entre Bim et l’institutrice, notamment.

Just Pals est un peu brouillon, certes, mais on y retrouve déjà le goût de Ford pour des valeurs simples et « à l’ancienne », ces mêmes valeurs que l’on retrouvera magnifiées tout au long de sa carrière, de Judge Priest à L’Homme tranquille, en passant par Vers sa destinée. Just Pals, c’est aussi un immense cinéaste en train de se construire…

NEWS : fin du muet, début du parlant, cinq films restaurés en DVD

Posté : 14 septembre, 2010 @ 4:09 dans 1895-1919, 1920-1929, 1930-1939, BEAUDINE William, CAREWE Edwin, FITZMAURICE George, GRIFFITH D.W., LEONARD Robert Z., LeROY Mervyn, NEWS, WOOD Sam | Pas de commentaires »

News fin du muet

Les Films du Paradoxe éditent fin octobre cinq films hollywoodiens restaurés, dont la plupart sont inédits en DVD. Au programme de cette fournée : deux films du début du parlant, et surtout trois muets particulièrement importants, parmi lesquels Sparrows (1926), le chef d’œuvre de William Beaudine avec Mary Pickford, film qui a visiblement inspiré Charles Laughton pour La Nuit du Chasseur. La petite fiancée de l’Amérique interprète une orpheline qui vit avec d’autres enfants dans la bicoque d’un homme qui les exploite, au cœur des marais. Le film existait déjà en DVD chez Bach Films. Cette nouvelle édition est proposée avec, en bonus, un court métrage de Griffith datant de 1910 : Ramona.

Autre film à ne pas rater : Beyond the Rocks (1922), un film de Sam Wood avec un couple de légende, Gloria Swanson et Rudolph Valentino (c’est leur unique collaboration). Cette histoire d’amour impossible entre une femme mariée et un noble européen, était réputée perdue, jusqu’à sa redécouverte en 2003. En bonus : une présentation par Martin Scorsese, et surtout un autre film tourné par Valentino : Delicious Little Devil, de Robert Z. Leonard (1919).

Les trois autres films sont de vrais raretés, présentés dans des éditions simples, sans bonus.

Evangeline, d’Edwin Carewe (1929) : une histoire d’amour en Acadie, contrariée lorsque les Britanniques envoient les hommes en exil ; l’héroïne passera sa vie à rechercher son bien-aimé…

The Locked Door, de George Fitzmaurice (1929) : l’un des premiers films parlants, et la deuxième apparition de Barbara Stanwyck. L’actrice interprète une jeune femme fraîchement mariée, qui voit réapparaître l’homme qui avait tenté d’abuser d’elle quelques mois plus tôt.

Tonight or never, de Mervyn LeRoy (1931) : Gloria Swanson interprète une chanteuse d’opéra qui finira par devenir une grande cantatrice, lorsqu’elle connaîtra enfin la passion…

Tous ces DVD seront en vente le 20 octobre.

L’Eventail de Lady Windermere (Lady Windermere’s Fan) – de Ernst Lubitsch – 1925

Posté : 27 août, 2010 @ 5:17 dans 1920-1929, FILMS MUETS, LUBITSCH Ernst | Pas de commentaires »

L'Eventail de Lady Windermere (Lady Windermere's Fan) - de Ernst Lubitsch - 1925 dans 1920-1929 leventail-de-lady-windermere

Quel bonheur que cette adaptation d’une pièce très cruelle d’Oscar Wilde. On a souvent dit de Lubitsch que ses films étaient comme des bulles de champagne, mais c’est particulièrement vrai de celui-ci, qui nous plonge dès les premières images dans un état de bien-être absolu. Et pourtant, le cinéaste ne nous épargne rien de la cruauté du milieu qu’il décrit : celui de la grande bourgeoisie londonienne. On est bien dans une comédie de mœurs, genre très en vogue dans les années 20, mais dans une comédie amère et dérangeante, où ni les personnages, ni les spectateurs ne sont épargnés.

La Lady Windermere du titre est une jeune femme bien mariée, courtisée par un riche célibataire, et qui a toujours cru que sa mère était morte. Mais cette dernière réapparaît après une vie d’aventures, et se fait connaître auprès de Lord Windermere, lui réclamant de l’argent. Ce dernier décide de cacher la vérité à sa femme pour la préserver…

L’histoire ressemble au « pitch » de nombreuses pièces de boulevard, mais il n’y a pourtant pas le moindre poncif dans ce film sublime, d’une justesse absolue. Cinéaste décidément immense, Lubitsch se sert de sa caméra pour souligner délicatement l’état d’esprit de ses personnages, et il le fait avec une maîtrise impressionnante : son film est tout simplement l’un des sommets du cinéma muet. Adaptation d’une pièce de théâtre, L’Eventail de Lady Windermere est pourtant l’antithèse absolue du « théâtre filmé », piège dans lequel même les plus grands cinéastes sont parfois tombés (Ford dans Permission jusqu’à l’aube, Mankiewicz dans Guêpier pour trois abeilles…). Il s’agit au contraire d’un pur film de cinéma, basé totalement sur le langage cinématographique. Il y a d’ailleurs très peu de cartons dans ce film muet : le style de Lubitsch suffit à faire comprendre et ressentir ce qui se passe à l’écran.

Ce qui se passe et ce qui ne se passe pas, d’ailleurs, car une grande partie du drame qui se joue repose sur ce qui est « hors champs ». A l’image de cette belle séquence où, du jardin, Lady Windermere croit voir Edith Erlynne (dont elle ignore que c’est sa mère) flirter avec son mari. Il n’en est rien évidemment, et la plupart des personnages passent tout le film à se tromper, et à porter des jugements tronqués qui pourraient bien priver l’histoire d’une issue heureuse. Seul, le spectateur a en main toutes les cartes, et son omniscience renforce l’émotion et le suspense dégagés par le film. Seul, ou presque, parce que Lord Darlington, l’amoureux éconduit, est sans doute le seul personnage à comprendre réellement ce qui se passe, jouant à la fois un rôle d’observateur et de médiateur dans cette histoire où tout le monde, à tout moment, risque de s’étriper. Il faut d’ailleurs insister sur la performance de Ronald Colman (qui sera notamment le héros de Horizons perdus, le film culte de Capra), absolument sublime dans ce rôle à la fois en retrait et central. Il y a une scène notamment, où, seul face à Lady Windermere (May McAvoy, qui sera l’actrice principale du Ben-Hur de Niblo, et du fameux Chanteur de Jazz), il réalise que la jeune femme ne lui rendra pas son amour, et où, soudain, il lâche une petite phrase minable, ce qu’il reconnaît avec un petit sourire triste et résigné. Son jeu d’acteur est d’une vérité criante et saisissante…

Cinéaste visuel, Lubitsch a également toujours laissé une place très importante aux dialogues, et L’Eventail de Lady Windermere ne fait pas exception, même s’il s’agit d’un film muet. Evidemment, les mots précis nous échappent, mais le sens des paroles est d’une limpidité stupéfiante. Là encore grâce aux cadrages, grâce au jeu des acteurs aussi, qui nous font parfois oublier qu’on est dans un film muet. Il y a par exemple une scène extraordinaire, dans un champ de course, au cours de laquelle trois horribles mégères cancanent et échangent les pires horreurs au sujet d’Edith Elynne (Irene Rich, elle aussi formidable), dans le plus formidable dialogue de commères qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Et tout ça sans paroles.

Film beau, poignant, parfois drôle, L’Eventail de Lady Windermere est décidément l’un des sommets du cinéma muet… et du cinéma tout court. Si Lubitsch a, un jour, approché la perfection, c’est peut-être bien dans ce film.

L’Eventail de Lady Windermere sort de l’oubli grâce aux Editions Montparnasse, qui proposent une très belle édition DVD en vente le 7 septembre. On y retrouve notamment un portrait passionnant de Lubitsch (de près d’une heure). Le DVD est mis en vente à 15 euros.

Tempête sur l’Asie (Potomok Chingis-Khana) – de Vsevolod Poudovkine – 1928

Posté : 19 août, 2010 @ 1:55 dans 1920-1929, FILMS MUETS, POUDOVKINE Vsevolod | Pas de commentaires »

Tempête sur l'Asie (Potomok Chingis-Khana) - de Vsevolod Poudovkine - 1928 dans 1920-1929 tempete-sur-lasie

Son visage et son regard sont opaques, presque imperméables, mais on n’est pas prêt d’oublier la prestation de Valery Inkijinoff, extraordinaire bloc de fureur retenue, qui habite ce film fascinant de Poudovkine, sans doute le chef d’œuvre du (grand) réalisateur de La Fin de Saint-Petersbourg. Dans le rôle d’un trappeur modeste, venu des steppes les plus reculées de Mongolie, que les Anglais voudront placer à la tête du pays lorsqu’ils le prendront pour « le descendant de Genghis Khan » (c’est la traduction littérale du  titre original), Inkishanov symbolise tout le peuple mongol opprimé de ces années 1920.

Avec Tempête sur l’Asie, Poudovkine a bel et bien signé un film symbolique. Le destin de ce jeune trappeur semble difficile à croire sur le papier ; mais à l’écran, il représente le destin d’un pays à la botte des Anglais (représentés d’une manière particulièrement odieuse), humilié et presque anéanti, jusqu’à ce que la fierté du peuple et sa volonté de rester libre ne finisse par entraîner une réaction qu’il semblait incapable d’avoir. C’est vrai du peuple mongol, et c’est vrai du personnage principal qui, après une première réaction violente (pour s’être fait volé une magnifique peau de renard), et après un bref passage au sein d’un groupe de résistant, se laisse juger, se laisse exécuter, ne doit la vie sauve qu’à ses ennemis (et à un concours de circonstance incroyable), et se laisse manipuler comme un objet, jusqu’à être travesti en « respectable » occidental… Mais derrière le masque de l’acteur, on devine la rage qui s’emmagasine. Et lorsqu’elle se libère, enfin, c’est une véritable explosion de colère et de rancœur, que rien ni personne ne peut arrêter. Le trappeur détruit tout autour de lui, la réaction du peuple mongol est lancée…

Tempête sur l’Asie n’a rien d’un documentaire, mais il décrit pourtant magnifiquement bien l’état d’esprit d’un peuple, rongé par l’humiliation et avide de liberté. Tourné dans d’impressionnants décors naturels (des steppes infinies et glaçantes aux verdoyantes montagnes, en passant par les villages de trappeurs très « westerniennes »), ce film rappelle qu’il n’y a pas qu’Eisenstein dans le cinéma muet russe. Loin de là.

Le monde entier a découvert Valery Inkijinoff grâce à ce film. L’acteur connaîtra à partir du début des années 30, et jusqu’à sa mort en 1973, une belle carrière internationale, apparaissant notamment dans Les Pirates du Rail et Les Pétroleuses de Christian-Jacque, Michel Strogoff de Carmine Gallone, Le Tigre du Bengale et Le Tombeau Hindou de Fritz Lang, La Tête d’un homme de Julien Duvivier, ou encore Les Tribulations d’un Chinois en Chine : le fameux Mr. Goh, c’était lui.

Cœurs en lutte / Quatre hommes pour une femme (Kämpfende Herzen / Die Vier um die Frau) – de Fritz Lang – 1921

Posté : 14 août, 2010 @ 9:35 dans 1920-1929, FILMS MUETS, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Cœurs en lutte / Quatre hommes pour une femme (Kämpfende Herzen / Die Vier um die Frau) - de Fritz Lang - 1921 dans 1920-1929 curs-en-lutte

C’est une nouvelle fois à Patrick Brion et à son indispensable Cinéma de Minuit que l’on doit la toute première diffusion télévisée de ce film qui a longtemps été réputé perdu, et dont une copie a été retrouvée par hasard au Brésil. Les intertitres originaux, en allemands, n’existent d’ailleurs plus : ils ont été reconstitués à partir des intertitres en portugais, tandis que la pellicule a été (très joliment) restaurée.

Lorsqu’il réalise Die Vier um die Frau (ou quel que soit le titre qui lui sera donné par la suite), Lang n’est pas encore considéré comme un cinéaste majeure, même s’il a déjà à son actif Les Araignées, qui avait connu un très gros succès. Il enchaînera avec Les Trois Lumières et Dr. Mabuse, qui assoiront définitivement sa réputation. Mais ce film, son septième, révèle déjà un immense talent pour le cadrage et la mise en scène (il est passionnant d’observer le moindre figurant : aucun ne reste sans rien faire à l’écran ; il est évident que Lang prête une grande attention au moindre détail, pour que chacun de ses plans soit dynamique et vivant), et davantage encore pour la narration.

Car Lang a toujours été un grand cinéaste de la narration. Un vrai cinéaste « populaire », qui s’est emparé tout au long de sa carrière des « genres » cinématographiques (le film noir, le film d’aventures, le western, la science fiction, le serial…) en se les appropriant sans jamais niveler par le bas. Car Lang fait confiance en l’intelligence du spectateur, ce qui est particulièrement frappant dans ce Cœurs en lutte. Difficile en effet de comprendre où nous conduit le réalisateur durant la première demi-heure du film, tant il multiplie les pistes et les personnages.

On a donc un notable berlinois, marié à la femme la plus courtisée de la ville, courtier à la bourse, qui s’encanaille la nuit venue en se livrant au trafic de bijoux. Lors d’une réunion clandestine, il rencontre par hasard un homme qu’il reconnaît pour l’avoir vu sur une photo envoyée à sa femme. Il décide de le suivre et de lui tendre un piège, persuadé qu’il est l’amant de sa femme. Mais l’homme en question est le frère jumeau de l’homme de la photo, qui était effectivement l’amant de la jeune femme avant son mariage avec le courtier… Vous suivez ?

Le scénario, complexe et malin (il est écrit par Lang avec son épouse The Von Harbou) joue avec les codes du théâtre de boulevard (il est d’ailleurs tiré d’une pièce à succès), avec le mari jaloux, les quiproquos, la femme finalement fidèle. Dans l’esprit, on est pourtant très loin du marivaudage habituel, et l’ambiance est plutôt au drame. Cette œuvre de jeunesse est en tout cas passionnante et particulièrement vive. Et c’est fascinant de voir un grand cinéaste naître sous nos yeux…

L’Aurore (Sunrise) – de F.W. Murnau – 1927

Posté : 13 août, 2010 @ 5:48 dans 1920-1929, FILMS MUETS, MURNAU Friedrich W. | Pas de commentaires »

L'Aurore (Sunrise) - de F.W. Murnau - 1927 dans 1920-1929 laurore

Il avait sans doute raison, François Truffaut, lorsqu’il disait de L’Aurore que c’était le plus beau film du monde… Il aurait aussi pu ajouter que Murnau est le plus grand réalisateur du monde. Si Griffith a inventé le langage cinématographique, Murnau a inventé la poésie cinématographique. En Allemagne, il avait déjà réalisé des monuments : Nosferatu, Tartuffe, Faust et surtout Le Dernier des Hommes. Mais pour ses premiers pas à Hollywood, où on lui a fait un pont d’or pour qu’il vienne travailler, il signe un film au-delà de tous les superlatifs.

L’histoire est assez simple : un homme, tenté par les charmes d’une séductrice, pense à tuer sa fiancée, avant d’avoir des regrets et de vouloir la reconquérir. Mais il y a dans L’Aurore une richesse infinie qui permet de l’aimer toujours plus à chaque nouvelle vision. Impossible, aussi, de classer le film dans une catégorie précise : film noir, histoire d’amour, suspense, comédie, drame… le film aborde tous ces genre, dans des ruptures de ton parfois brutales, qui représentent parfaitement l’état d’esprit du jeune héros, interprété par l’un des acteurs fétiches de John Ford, George O’Brien : le désir, la pulsion de mort, le regret, la tendresse, le bonheur, la culpabilité…

Les premières séquences évoquent ce qui sera appelé une dizaine d’années plus tard « le film noir ». On en retrouve toutes les caractéristiques : la petite ville de province un peu paumée, le jeune héros naïf, fasciné par la vamp venue de la ville et dont l’extrême liberté l’attire, et la douce fiancée prête à mourir pour son amour. Même visuellement, tous les codes du genre sont déjà là : les ombres menaçantes, les paysages de marais baignés dans la brume, le héros manipulé qui marche lourdement vers son destin (O’Brien avait les pieds lestés de plombs pour lui donner cette démarche inoubliable lorsqu’il pense tuer l’innocente Janet Gaynor)… Toute cette première séquence, oppressante et visuellement époustouflante, cite avant l’heure les grands films noirs qui seront tournés quinze ans plus tard, de La Griffe du Passé à Pêché mortel en passant même par La Nuit du Chasseur. Murnau serait-il le vrai inventeur du film noir ?

Mais si le cinéaste pose les bases d’un pur thriller, c’est pour mieux s’en détacher. Et il le fait par une longue séquence d’une beauté à couper le souffle, un long mouvement ininterrompu qui part du cœur des marais pour se terminer au cœur de la ville, une course en avant désespérée et silencieuse (et pas seulement parce qu’on est dans un film muet) au cours de laquelle l’homme, pétri de remord et d’amour cherchera avec l’ardeur du désespoir à trouver le regard de la femme dont il se rend enfin compte qu’elle vaut mieux que toutes les séductrices trop fardées de la ville. Dans cette course, la civilisation qu’ils vont devoir affronter pour se retrouver apparaît comme par miracle, par le biais d’un tramway qui serpente dans les bois, apparition surréaliste qui conduit les deux jeunes gens dans l’effervescence de la ville, décor oppressant et plein de dangers, qui finira par rapprocher le couple qui se retrouvera dans une étreinte  magnifique qui les coupera de leur environnement (sensation renforcée par une technique de surimpression restée célèbre). Seuls au monde, les deux amoureux font enfin la paix sur les bancs d’une église…

Car le film est, comme ça, moraliste et bourré de bons sentiments. Les femmes fardées de la ville représentent le pêché, alors que la simplicité de la vie à la campagne est érigée en modèle. Naïf, peut-être, mais beau à pleurer.

Et encore, on n’en est alors qu’à la moitié de l’histoire. Là où les autres cinéastes auraient trouvé une conclusion parfaite à un film déjà riche en rebondissements, Murnau rebondit encore. Ce qui l’intéresse, toujours, c’est de montrer à l’image ce qui se passe dans la tête de ses deux héros. Heureux ils sont, heureux le spectateur doit être : les séquences qui suivent sont un grand tourbillon festif. Et ce n’est pas tout encore, car pêché il y a eu, et châtiment il doit y avoir…

Trop pour un seul film ? Non, car l’inspiration de Murnau n’est jamais prise en défaut. Constamment inventif, il ne tombe jamais dans la surenchère gratuite. Chacun de ses plans est sublime, mais le moindre détail a un sens. En 1927, alors que le muet vivait ses dernières heures, Murnau signait le film ultime, une œuvre qui résume à elle seule tout ce que le cinéma a de plus beau.

• Une édition collector indispensable a été éditée chez Carlotta, dont on ne dira jamais assez de bien.  Cette très belle édition contient notamment un documentaire qui recrée, grâce au scénario et à de nombreuses photo, croquis et documents de tournage, Four Devils, le film que Murnau a tourné après L’Aurore et qui est réputé perdu. Le film est l’un des plus grands fantasmes des cinéphiles, qui rêvent de le voir réapparaître un jour…

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