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Archive pour la catégorie '1920-1929'

Excuse my dust (id.) – de Sam Wood – 1920

Posté : 22 mai, 2012 @ 1:05 dans 1920-1929, FILMS MUETS, WOOD Sam | Pas de commentaires »

Excuse my dust

Le succès de The Roaring Road, en 1919, a conduit à la mise en chantier d’une suite qui reprend les mêmes personnages et le même esprit. Toodles (Wallace Reid)¸ génial pilote de course, a pris sa retraite automobile pour se consacrer à sa femme (Ann Little) et à leur fils de 2 ans (joué par le propre fils de Wallace Reid). Il observe d’un œil envieux le travail de son beau-père J.D. « The Bear » (Theodore Roberts, la véritable âme de ces films), grand constructeur automobile, tandis que les concurrents de ce dernier mettent sur pied un plan machiavélique pour lui voler ses secrets de fabrication…

Humour et  courses automobiles sont une nouvelle fois au cœur d’un film qui, pourtant, se démarque très nettement de son prédécesseur. Plus spectaculaire, plus rythmée, plus amusante, cette séquelle est une franche réussite au scénario particulièrement abracadabrant, mais qui procure un grand plaisir de spectateur. Tout particulièrement lors des séquences de courses sur route qui, filmées d’une manière très plan-plan dans le précédent film, sont ici réjouissantes et inventives (en particulier la grande scène « d’accident », assez spectaculaire).

Toujours en retrait par rapport à Theodore Roberts, la star Wallace Reid gagne également en épaisseur : condamné pendant la plus grande partie du film à ronger son frein et à jouer les pères de famille rangés, ce pilote automobile émérite est aussi drôle qu’attachant.

Finalement, la grande idée des producteurs aura été de remplacer l’honnête artisan James Cruze, réalisateur du premier épisode, par Sam Wood, cinéaste autrement plus inspiré, qui signe là l’un de ses premiers films, et qui tournera notamment l’excellent Beyond the rocks deux ans plus tard, ainsi que l’une des versions de Madame X, dont le remake calamiteux avec Lana Turner a fait l’objet d’une chronique tout récemment sur ce blog.

La Volonté du Mort (The Cat and the Canary) – de Paul Leni – 1927

Posté : 16 mai, 2012 @ 11:10 dans 1920-1929, FILMS MUETS, LENI Paul | Pas de commentaires »

La Volonté du mort

Premier film américain de Paul Leni¸ qui fut l’un des grands artisans de l’expressionnisme allemand (on lui doit les décors et la mise en scène du Cabinet des figures de cire), cette adaptation d’une pièce à succès de John Willard peut être vue comme la matrice de tout un courant de films d’horreur, à la fois très américains dans la construction, et très emprunt de l’expressionnisme. Même s’il n’est pas le premier (La Découverte d’un secret, de Murnau, lui est bien antérieur, par exemple), ce film pose aussi les bases, qui ne changeront guère au cours des décennies à venir : celui du « film de maison hantée ».

La « maison » en question est incroyable, bien sûr : une espèce de vieux château qui se découpe au sommet d’une colline balayée par le vent et la pluie, immense bâtisse où ne vit plus qu’une vieille servante, totalement seule depuis la mort de son maître vingt ans plus tôt. Mais ce soir-là, les proches de l’ancien maître des lieues affluent pour la première fois : le testament du vieil homme, enfermé dans un coffre depuis tout ce temps, doit être ouvert (à minuit, évidemment), et dévoiler le nom de l’héritier.

And the winner is… Laura la Plante, vedette de l’époque qui joue ici la jeune ingénue, la petite nièce désintéressée entourée de requins que l’on sent pour le moins envieux. Mais à peine l’enveloppe est-elle ouverte que des phénomènes mystérieux surviennent, à commencer par la disparition soudaine de l’avocat de la famille, comme happé par les murs de la maison.

Portes dérobées, bras crochus et velus qui sortent des murs, visages derrière les fenêtres, rideau qui s’envolent, tableaux qui tombent… Paul Leni s’amuse avec toutes les possibilités que lui offre l’outil cinématographique.
Il filme des visages inquiétants en très gros plans, et utilise l’obscurité d’une manière particulièrement inventive et efficace, en plongeant systématiquement la plus grande partie de ses plans dans les ténèbres. Ce qui a pour effet de mettre en valeur les personnages, et de renforcer le sentiment de menace qui pèse sur eux.

Le film donne des frissons (sans doute moins aujourd’hui qu’en 1927 : tous les trucs qu’il utilise ont tellement été copiés qu’ils nous sont devenus des clichés), mais il s’agit surtout d’un pur plaisir de cinéma. Un plaisir de cinéaste, qui utilise la caméra, l’éclairage et le montage avec une inventivité réjouissante. Et un plaisir de spectateur, tant le second degré et l’humour sont poussés loin. On ne prend pas vraiment au sérieux ce suspens d’un autre temps. Mais on se régale devant les maquillages, les gueules et les vieux trucs. Une porte qui claque par une nuit d’orage, ça n’a pas d’âge…

Gagnant quand même (The Shamrock Handicap) – de John Ford – 1926

Posté : 20 avril, 2012 @ 11:59 dans 1920-1929, FILMS MUETS, FORD John | 4 commentaires »

Gagnant quand même

Quel bonheur que ce petit film plein de vie de Ford. Tourné juste avant Trois sublimes canailles, l’un des sommets de sa filmographie muette, The Shamrock Handicap est un film bien plus modeste, mais pas plus négligeable pour autant. Pas le moindre méchant dans ce film, pas de véritable enjeu dramatique non plus… Juste une chronique réjouissante et hors du temps.

Ford est ici dans sa veine irlandaise. Vingt-cinq ans avant L’Homme tranquille, avec qui le film est souvent comparé, et deux ans avant le beau Hangman’s House¸ ce film est déjà une déclaration d’amour à la verte Erin. Ford filme ces verts paysages dans de belles perspectives baignées de lumière. Il met en valeur la camaraderie des Irlandais volontiers bagarreurs et portés sur la boisson, mais avec un cœur gros comme ça (ce qu’il fera d’ailleurs tout au long de sa carrière avec des personnages souvent incarnés par Victor McLaglen – ici le tout aussi réjouissant J. Farrell McDonald). Et il s’émeut des traditions ancestrales de l’Irlande, comme ce crachat dans une poignée de mains qui scelle une vente…

C’est une vision idéalisée de l’Irlande que Ford présente : un pays où les relations de classe traditionnelles sont abolies au profit d’une solidarité et d’un amour de son prochain à toute épreuve… Un « sir » au grand cœur mais désargenté vit avec sa fille (Janet Gaynor, avant ses grands films avec Frank Borzage, et déjà très mignonne), un couple un peu rustre qui tient le domaine, et un jeune palefrenier dont Janet est amoureuse… Ce dernier (Leslie Fenton, qui a décidément beaucoup de dents) part en Amérique tenter sa chance en tant que jockey, mais il est victime d’un accident qui le laisse handicapé. Mais tout finira bien, bien sûr…

Même dans la partie américaine du film, Ford ne parle que d’Irlande. Les galères que les personnages rencontrent sont vite oubliées lorsqu’une communauté irlandaise joyeuse et solidaire se forme. Ford a tellement envie de mettre en valeur cet esprit de camaraderie très masculine qu’il délaisse quelque peu les personnages féminins, et que toute tension dramatique est évacuée au profit d’un esprit léger et même jovial.

On ne s’en plaint pas, d’autant que le style de Ford est là. Notamment dans les courses hippiques, trépidantes et haletantes, que le jeune cinéaste filme comme il filmera les poursuites entre les Indiens et la cavalerie dans ses grands westerns. Une virtuosité déjà très affirmée (Ford a déjà quelques grands films à son actif, comme Le Cheval de Fer), mise au service cette fois d’un pur moment de plaisir cinématographique. Simple, sincère, et sans arrière-pensée.

Seul petit bémol, valable pour d’autres films de cette période d’ailleurs : les personnages de noirs sont encore stéréotypés. Il faudra attendre l’après-guerre pour que Ford se débarrasse définitivement de cette approche d’un autre temps. Il le reconnaîtra lui-même : en découvrant les cadavres de soldats noirs jonchant le sable d’Omaha Beach lors du grand débarquement de 1944, il explique avoir réalisé « qu’il était impossible de ne pas les considérer comme des Américains à part entière ». Après ça, il deviendra le plus grand défenseur des minorités (avec des films comme Le Sergent noir). On n’en est pas encore tout à fait là…

Larmes de clown (He who gets slapped) – de Victor Sjöström (Victor Seastrom) – 1924

Posté : 18 mars, 2012 @ 11:45 dans 1920-1929, FILMS MUETS, SJÖSTRÖM Victor | Pas de commentaires »

Larmes de clown (He who gets slapped) – de Victor Sjöström (Victor Seastrom) – 1924 dans 1920-1929 larmes-de-clown

Immense cinéaste suédois (Ingmar Bergman, “l’autre” grand Suédois, lui rendra d’ailleurs homage en lui confiant deux très beaux rôles dans Vers la joie et surtout Les Fraises sauvages), Victor Sjöström a marqué de son empreinte le premier âge d’or du cinéma de son pays, avec des films aussi beaux que La Charrette fantôme. Sa réputation attire l’attention des producteurs américains, qui font venir Sjöström à Hollywood cette année 1924, où il américanise son nom (Seastrom, plus facilement prononçable) et signe des films peut-être moins impressionnants que ses œuvres suédoises (en tout cas jusqu’à son classique, Le Vent), mais très réussis, à l’image de ce Larmes de clown, tourné quelques mois après l’arrivée de Sjöström aux Etats-Unis.

Historiquement, le film est important : c’est la toute première production de la MGM, major qui venait d’être fondée après la fusion de plusieurs sociétés de production. Mais le film est aussi important pour son acteur principal, Lon Chaney. Au sommet de son art, l’acteur avait déjà à son actif des films aussi marquants que Outside the Law de Tod Browning ou Shadows, de Tom Foreman). Il venait également d’interpréter le Faggin d’Oliver Twist, et surtout le Quasimodo de Notre-Dame de Paris, superproduction qui avait triomphé l’année précédente.

Pourtant, ce film a donné une nouvelle dimension à la carrière de Chaney : sa prestation exceptionnelle, et le succès immense du film, lui ouvrent grands les portes de la gloire éternelle, et de rôles plus complexes dans des films souvent prestigieux (notamment devant la caméra de Browning, qui lui offrira désormais des rôles particulièrement marquants). Chaney a d’ailleurs souvent dit que son personnage dans Larmes de clown était son préféré.

Ce rôle peut être vu comme la matrice de la plupart de ses grands personnages à venir : amoureux détruit par la trahison de sa bien-aîmée, il se transforme physiquement en parodie d’humain. Ce sera la trame de plusieurs de ses films (notamment de L’Inconnu, le sommet de sa collaboration avec Browning, qui sera un autre grand film de cirque), c’est déjà le cas ici.

Chaney, étonnamment sobre, interprète un scientifique sur le point de dévoiler une découverte capitale sur les origines de l’Homme, qui réalise que sa femme et son ami et financier sont amants et se sont approprié ses découvertes. Humilié, ruiné, il disparaît alors, et on le retrouve quelques années plus tard sous le déguisement d’un clown, revivant soir après soir son humiliation devant un public hilare. Une « thérapie » sans fin, cruelle et masochiste, dans laquelle Lon Chaney excelle.

L’acteur est magnifique. Méconnaissable dans les premières séquences, au naturel, il est bouleversant lors de quelques scènes-clé : celle où il comprend que sa femme et son ami l’ont trahi ; celle encore où, grimé en clown, la vision de la foule hilare lui ramène à la mémoire des fantômes douloureux.

C’est aussi dans Larmes de clown que Norma Shearer a trouvé son premier grand rôle. La star, « façonnée » par le patron de la MGM Irving Thalberg (qui l’épousera en 1927). Dans le rôle de la joli écuyère (personnage incontournable dans un film de cirque), elle forme un très joli couple, bulle d’innocence dans un monde particulièrement cruel, avec John Gilbert. Ce dernier était déjà une grande vedette, mais n’atteindrait son apogée qu’en devenant le partenaire de Greta Garbo dans Flesh and the Devil, trois ans plus tard.

Metropolis (id.) – de Fritz Lang – 1927

Posté : 13 mars, 2012 @ 6:02 dans 1920-1929, FANTASTIQUE/SF, FILMS MUETS, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Metropolis (id.) - de Fritz Lang - 1927 dans 1920-1929 metropolis

« Entre le cerveau et la main, le médiateur doit être le cœur »

Evidemment, Metropolis est un monument. De tous les grands cinéastes de sa génération, ceux qui ont commencé leur carrière à l’apogée du muet, et qui ont accompagné l’âge d’or du cinéma hollywoodien (Ford, Walsh, Wellman…, et même Hitchcock), Fritz Lang est le seul dont le film le plus célèbre est muet. Ce film, c’est Metropolis. Est-ce mérité ? Difficile de dire non, tant ce film est effectivement un chef d’œuvre qui a posé les bases toujours valables d’un genre (la SF), tant le message paraît actuel 85 ans après la sortie du film, et tant le film est formellement impressionnant.

Pourtant, Metropolis n’est pas le meilleur film de Lang (M le maudit, Les Contrebandiers de Moonfleet, et d’autres, ont bien mieux vieilli). Ce n’est pas non plus son meilleur film muet : Docteur Mabuse ou La Femme sur la Lune, vus au début des années 2010, semblent bien plus modernes et haletants. Lang lui-même, d’ailleurs, n’avouait pas un goût immodéré pour ce film dont l’échec relatif lors de sa sortie en salles (comparé, en tout cas, au budget immense) aurait pu coûter cher à sa carrière. Ce n’est qu’en renouant avec le serial, avec Les Espions, que Lang retrouvera les faveurs de la UFA.

Film démesuré, immense production mettant en scène des centaines de figurants, Metropolis reste dans les mémoires pour ses décors gigantesques. Ce sont pourtant ces décors qui ont le plus mal vieilli, entre les formes trop géométriques de la ville souterraine des travailleurs, et les jardins d’Eden d’un autre temps réservés aux fils de riche. Mais la construction du film, son association de critique sociale très forte et de cinéma populaire spectaculaire, restent d’une force incroyable. Et la caméra de Lang est d’une impressionnante virtuosité.

Avec ce film, Lang a d’ailleurs inspiré tout un pan du cinéma à venir, des Temps modernes (Chaplin semble avoir voulu introduire le personnage de Charlot dans le travail mécanique déshumanisé imaginé par Lang) à Blade Runner (la mégalopolis de Ridley Scott semble par moments tout droit sortie du film de Lang), pour ne citer que les rejetons les plus prestigieux. Mais les exemples sont innombrables.

Metropolis oppose deux mondes : le monde « visible » des nantis, qui profitent d’une vie oisive au grand jour, dans une ville immense dont on ne verra pas grand-chose si ce n’est une impression de mouvement perpétuel ; et le monde souterrain, où les travailleurs actionnent à longueur de journées interminables les machines qui permettent au monde d’au-dessus de fonctionner. Des travailleurs qui « vivent » entre eux sans loisirs, sans plaisir, sans espoir.

C’est en suivant une mystérieuse jeune femme, figure respectée du monde des travailleurs (Brigitte Helm, dans le double rôle de sa vie) que le fils du grand maître de Metropolis (Gustav Fröhlich) découvre ce monde souterrain, et le sort terrible des travailleurs. Jeune homme oisif et insouciant, il jure alors d’aider ces esclaves des temps modernes, et participe à la révolution en marche. Mais les travailleurs sont manipulés par un robot créé par un savant (Rudolf Kleine-Rogge, figure incontournable de la période muette de Lang) oeuvrant dans le plus grand secret pour le grand maître (Alfred Abel, autre habitué du cinéma de Lang), et à qui il donne l’apparence de la jeune femme.

Metropolis brasse de nombreux thèmes chers à Lang : la manipulation, le déguisement, la résistance, l’humanité plongée dans un monde inhumain, ou encore la foule, cette entité mystérieuse qui prive chacun de ses membres de son intelligence et de son humanité (elle est au cœur de films aussi marquants que M le maudit ou Furie). Cette foule, ici, est immense et irrépressible, et ses effets sont dévastateurs : en laissant éclater leur colère collectivement, les travailleurs se transforment en une impressionnante marée humaine prête à tout raser sur son passage, jusqu’à ce qu’il y a de plus innocent et fragile. C’est ça le véritable thème du film : une ode à l’homme en tant qu’individu, et à son libre arbitre.

La Femme sur la lune (Frau im Mond) – de Fritz Lang – 1929

Posté : 11 février, 2012 @ 5:17 dans 1920-1929, FANTASTIQUE/SF, FILMS MUETS, LANG Fritz | Pas de commentaires »

La Femme sur la lune

Le succès des Espions a réconcilié Fritz Lang avec la UFA, qui lui ouvre de nouveau tout grand les portes de son coffre-fort, pour ce qui sera le dernier film muet du cinéaste, alors que le cinéma parlant s’est déjà quasiment généralisé : La Femme sur la Lune sera l’un des chants du cygne d’un art qui touchait au sublime à la fin des années 20. Toujours écrit par la fidèle Thea Von Harbou, qui a d’ailleurs écrit un roman avant d’en tirer un scénario, le film peut être vu comme une synthèse de toute l’œuvre muette de Lang : on y retrouve bien sûr sa fascination pour les nouvelles technologies (déjà vu dans Metropolis, mais aussi dans Les Espions), ainsi que son penchant pour le grand feuilleton populaire.

Toute la première partie du film, en particulier, évoque l’atmosphère de Mabuse ou des Espions, avec un complot à dimension mondiale, un méchant adepte du déguisement, et surtout une accumulation effrénée de rebondissements qui fleure bon l’esprit « serial » cher à Lang. Et avec le génie visuel inégalable du cinéaste : les gros plans, les contre-plongées, les jeux d’ombre, on est ici dans le sommet du cinéma allemand, à mi-chemin entre l’expresionnisme et le naturalisme. Espionnage, étude de caractère, drame amoureux… Lang n’exclut aucune piste pour faire de son dernier film muet une œuvre profondément populaire. Ce qui, évidemment, n’a rien de négatif, même si, à l’évidence, Lang se fait un devoir d’honneur de consolider son statut de cinéaste numéro un. Il reprend d’ailleurs le couple vedette de son précédent film : la star Willy Fritsch et la blonde Gerda Maurus, qu’il avait révélée dans Les Espions.

Film fascinant par la beauté de ses images, par le rythme que Lang insuffle, et par la force de son scénario, La Femme sur la lune est aussi un témoignage précieux de l’état des connaissances scientifiques à la fin des années 20. Comme Jules Verne pour son diptyque (les romans De la Terre à la Lune et Autour de la Lune, soixante ans plus tôt), et comme Hergé pour Objectif Lune et On a marché sur la Lune (vingt-cinq ans plus tard), Lang s’est entouré des plus grands spécialistes de l’époque pour coller le plus fidèlement possible à la réalité de la conquête spatiale, telle qu’on l’imaginait quarante ans avant le premier pas de l’homme sur la Lune.

Le résultat est fascinant : grâce à un budget conséquent, Lang construit une fusée qui n’est pas sans évoquer celle à bord de laquelle Tintin et ses amis prendront part un quart de siècle plus tard. D’ailleurs, la ressemblance ne s’arrête pas là : que ce soit dans le mélange de science fiction et d’espionnage, dans les préparatifs du voyage, dans la découverte de la Lune, ou dans les multiples rebondissements qui émaillent le récit, on sent clairement que Hergé a vu et revu La Femme sur la Lune, et s’en est énormément inspiré, jusqu’à en reprendre fidèlement quelques épisodes : le passager clandestin, la grotte lunaire, le groupe occulte représentant des intérêts internationaux… Le vieux scientifique a même un côté professeur Tournesol, et le gamin ressemble même étonnamment à Quick et Flupke, autre création d’Hergé.

Film méconnu de Lang, La Femme sur la Lune est pourtant un authentique chef d’œuvre qui n’a rien à envier à Metropolis, même si le propos semble moins ambitieux. C’est une splendeur qui associe avec un bonheur rare le film d’espionnage, le serial, la SF, le film d’aventure et la romance. Avec une conclusion culottée et cauchemardesque, qui donne une idée bien précise de ce qu’est un cinéaste immense, bien en avance sur son temps. Un cinéaste, qui plus est, qui passera sans la moindre difficulté au parlant, procédé contre lequel il s’est pourtant battu pour cette Femme sur la Lune, que les producteurs voulaient sonoriser au moins en partie…

Le Dernier des Hommes (Der Letzte Mann) – de Friedrich Wilhelm Murnau – 1924

Posté : 7 février, 2012 @ 4:54 dans 1920-1929, FILMS MUETS, MURNAU Friedrich W. | Pas de commentaires »

Le Dernier des Hommes

Règle numéro 1 : ne jamais revoir un film qu’on a adoré lorsqu’on est au fond du trou. Fatigué, malade (z’inquiétez pas, j’ai survécu !), je suis cette fois passé un peu à côté de ce film que j’ai toujours considéré comme l’un des sommets du muet. Et le jeu de Emil Jannings (dont le cabotinage m’avait déjà agacé dans Tartuffe, du même Murnau) m’a paru trop excessif, alors qu’il m’avait jusqu’à présent emballé.

Je ne m’étendrai donc pas cette fois-ci sur ce Dernier des Hommes, film d’une grande simplicité, qui évoque la chute d’un homme dans l’Allemagne des années : un petit homme dont la grande gloire est de porter l’uniforme de portier d’un grand hôtel. Lorsque cet homme vieillissant est défait de son uniforme et contraint à travailler dans les toilettes de l’hôtel, c’est tout son univers qui s’effondre, toute sa grandeur qui disparaît, et toute la honte qui le submerge, et qui l’oblige à mentir à sa famille et à ses voisins, dans un quartier populaire où il faisait figure de notable.

De cette histoire simple, Murnau fait un film ample et novateur dans la forme. Au-delà de l’expressionnisme, le cinéaste signe une mise en scène dynamique et inventive, où les mouvements de caméra et le montage sont enfin considérés comme des éléments fondateurs du langage cinématographique. Des éléments qui, s’ils sont utilisés intelligemment, permettent à l’image de se comprendre par elle-même : pas le moindre intertitre pour couper le film (excepté deux cartons qui ouvrent de nouveaux « chapitres » de l’histoire).

Mais le film mérite bien mieux que tout ce que je pourrais en dire après l’avoir revu dans un tel état. De toute façon, Murnau, quand on y a goûté, on finit toujours par y revenir…

Les Espions (Spione) – de Fritz Lang – 1928

Posté : 27 janvier, 2012 @ 12:47 dans * Polars européens, 1920-1929, FILMS MUETS, LANG Fritz | 2 commentaires »

Les Espions

Dans l’Allemagne des années 20, la police semble totalement dépassée par une mystérieuse organisation criminelle qui s’adonne à l’espionnage en recourant au meurtre, au vol, et aux méthodes les plus spectaculaires… Le Docteur Mabuse aurait-il encore frappé ? Pas tout à fait… Six ans après le triomphe de son premier chef d’œuvre, Fritz Lang (toujours avec son épouse-alter ego Thea Von Harbou au scénario) donne bien l’impression d’offrir une variation sur le même thème. Il y a d’ailleurs dans Les Espions le même esprit feuilletonesque, le même rythme trépidant, et la même volonté d’en mettre plein les mirettes à des spectateurs qui n’en demandaient pas tant (et qui ont évidemment fait un nouveau triomphe au film).

Il y a toutefois une différence de taille entre les deux films : le second degré politique du Docteur Mabuse a en grande partie disparu. Même si on peut se passionner ici aussi pour la vision que le film donne de son époque, et même si on peut y déceler la trace des menacent qui pèsent sur l’Allemagne de Weimar, Les Espions est bien plus que Mabuse un pur plaisir sans réelle arrière-pensée. Un divertissement gourmant aussi exceptionnel que populaire.

Ce choix peut paraître curieux, de la part d’un Fritz Lang qui vient d’enchaîner deux des films les plus importants du cinéma allemand des années 20 (Les Niebelungen et Metropolis). Déjà considéré comme le plus grand cinéaste du pays, Lang n’en est pas pour autant un homme libre : ses deux monuments n’ont pas connu le succès escompté, et ont tous deux battu des records de coût de production. Un double-constat qui n’est pas du goût de la UFA, la plus importante société de production de l’époque : conscient qu’il n’est pas à l’abri d’un renvoi, Lang se lance avec sa compagne dans un projet dont il sait qu’il sera rassurant pour tous…

De ce point de vue, Les Espions est bien une concession de la part du cinéaste. Mais le résultat est absolument exceptionnel, et n’a rien d’une œuvre de commande anonyme. Au contraire : on retrouve dans ce film de genre génial l’obsession de Lang pour le mouvement, la folie ou le mystère, thèmes qu’il ne cessera de décliner de film en film jusqu’à la fin de sa carrière.

Loin de constituer un carcan, les codes du film de genre (l’espionnage, ici) ont toujours donné à Lang l’occasion de laisser libre cours à son imagination, dépassant tout ce qui a été fait avant lui. Avec Les Espions, son inspiration est à son zénith. Visuellement, film est une splendeur : pas un plan qui ne soit pertinent et inattendu, pas la moindre image quelconque. Le film dure deux heures et demi, dans la moindre faute de goût.

Côté rythme, Lang en remontrerait à la quasi-totalité des cinéastes d’aujourd’hui. Alors qu’il a a priori le temps de planter son décor et de présenter ses personnages, le cinéaste nous happe littéralement dès les premières images : en trois minutes seulement, on assiste à un cambriolage, un attentat (extraordinaire plan en extérieur dans une voiture en pleine course), et au meurtre d’un policier… Après un tel début, on se dit que le rythme va ralentir, forcément.

Mais non : Thea Von Harbou et Fritz Lang ont concocté un scénario totalement abracadabrant, aux innombrables rebondissements. Un policier infiltré dans les bas-fonds (Willy Fritsch, l’une des stars du cinéma allemand de l’époque), un criminel machiavélique (Rudolf Klein-Rogge, de nouveau méconnaissable dans un rôle proche de Mabuse), un officier à la solde de l’ennemi, une espionne russe au grand cœur, un agent asiatique perdu par une tentatrice… Tous ces personnages (et bien d’autres) se croisent, se menacent ou se sauvent dans un vertigineux chassé-croisé, parsemé de moments de bravoure inoubliables.

Le point d’orgue du film est une catastrophe ferroviaire à couper le souffle. Durant de longues minutes, grâce à un montage alterné de plus en plus rapide, et à des inserts obsédants sur l’image, Lang fait monter le suspense jusqu’à un point rarement égalé… jusqu’à l’accident de train lui-même, filmé avec beaucoup d’économie et pourtant hyper spectaculaire. Cette longue séquence résume à elle seule la démarche de Lang : nous entraîner dans un grand-huit jouissif. C’est tellement bon…

Le Mécano de la « General » (The General) – de Buster Keaton et Clyde Bruckman – 1927

Posté : 25 janvier, 2012 @ 7:11 dans 1920-1929, BRUCKMAN Clyde, FILMS MUETS, KEATON Buster, KEATON Buster, WESTERNS | Pas de commentaires »

Le Mécano de la General

Combien de fois ai-je vu ce bijou ? Des tas, et à chaque vision, ce chef d’œuvre de Keaton est un enchantement absolu. Le sommet, déjà, d’une carrière qui n’allait pas tarder à décliner : dès 1929, ce sera la chute inexorable, avec son arrivée à la MGM et l’avènement du parlant. Difficile à imaginer tant ce film approche la perfection…

Dix ans après ses débuts au côté de Fatty Arbuckle, Keaton peut alors faire ce qu’il veut, avec les moyens dont il a besoin. Le Mécano de la « Général » est sans doute le plus ambitieux de ses films, inspiré d’un épisode apparemment authentique de la Guerre de Sécession : en 1830, des soldats nordistes, déguisés en Sudiste, avaient détourné un train en le « volant » en plein territoire ennemi. Le conducteur du train les avait poursuivi pour tenter de reprendre sa locomotive.

On comprend bien ce qui a pu attirer Keaton dans cette histoire : à la fois l’ampleur du contexte historique, et les possibilités comiques offertes par ce petit conducteur de train qui affronte l’armée ennemie à lui seul. La force du film est d’ailleurs de ne pas choisir entre ces deux aspects. Ce conducteur, appelé Johnnie Gray dans le film, est un personnage en or pour Keaton, à qui la locomotive, cadre principal de l’histoire, inspire des dizaines de gags géniaux (inoubliable, l’air ahuri de Keaton lorsqu’il voit apparaître et disparaître comme par magie le wagon devant sa locomotive…).

Quant à la toile de fond historique, elle est d’une précision et d’un réalisme étonnants. Ce n’est pas un hasard : Keaton a tenu à tourner le film sur les lieux même de la véritable histoire, en Georgie. Quand on lui demandait comment il avait fait, avec ce qui est pourtant une comédie et pas un film historique, pour montrer une guerre civile qui fasse plus vraie que Naissance d’une Nation, film pourtant très sérieux, Keaton répondait : « Ils se sont référés à un roman pour leur scénario. Moi je le suis référé à l’Histoire. »

Le cinéaste souhaitait également utiliser la véritable locomotive. Mais n’ayant pas eu l’autorisation, il a fidèlement maquiller trois autres trains pour reconstituer une General plus authentique que nature. L’un de ces trains a été « sacrifié » pour tourner ce qui reste l’un des plans les plus spectaculaires du cinéma muet : l’effondrement d’un pont qui entraîne la locomotive au fond d’un torrent (où la légende veut qu’elle soit toujours). C’est aussi le plan le plus coûteux de tout le muet : il a coûté 42 000 dollars.

Plus que les moyens énormes dont a disposé Keaton (et qui figurent bel et bien à l’écran), ce qui frappe d’abord, c’est le mouvement perpétuel : en collant au plus près de son train, Keaton donne un rythme effréné à son film. Alors que le paysage défile constamment, Keaton lui-même  semble incapable de se poser, courant sur son train, sautant du wagon à la locomotive. Pas la moindre pause, et c’est tout simplement ébouriffant.

El Dorado – de Marcel L’Herbier – 1921

Posté : 23 janvier, 2012 @ 2:53 dans 1920-1929, FILMS MUETS, L'HERBIER Marcel | Pas de commentaires »

El Dorado

Eh ben voilà, bouleversé, que je suis, les larmes aux yeux, le nœud au ventre et la boule à la gorge… La totale, quoi. Il faut dire que le grand L’Herbier n’hésite pas à pousser très loin le bouchon du mélodrame avec cette pure merveille qui, comme L’Homme du Large un an plus tôt, a enthousiasmé la foule et les critiques de l’époque de sa sortie. En ce temps-là (le début des années 20, donc), on annonçait clairement la couleur : « mélodrame de Marcel L’Herbier », peut-on lire sur l’affiche d’El Dorado. Mais pas n’importe quel mélodrame : un chef d’œuvre qui a bouleversé l’art cinématographique de la narration.

Comme il avait magnifiquement porté à l’écran la nature sauvage de la côte bretonne dans L’Homme du large, L’Herbier plonge au cœur de l’Andalousie avec ce film tourné en grande partie en décors naturels. Un choix qui renforce l’aspect véridique d’un film qui joue constamment avec la réalité concrète des lieux : l’action se déroule notamment en partie dans la mythique Alhambra. Mais on n’est pas dans le documentaire : les décors réels ne sont qu’un élément parmi bien d’autres utilisés par un L’Herbier en constante recherche formelle.

Et son film est bourré de trouvailles d’autant plus géniales qu’elles tranchent avec à peu près tout ce qui a été fait auparavant au cinéma, y compris par les grands pionniers comme Griffith à qui on a trop vite attribué tout le langage cinématographique. Dès la première séquence – très longue – la réussite d’El Dorado est éclatante.
Dans L’Homme du large, L’Herbier avait glissé une scène osée pour l’époque, se déroulant dans un bar glauque abritant à peu près tous les vices et toutes les tentations. Mais les envies du cinéaste avait été bridées par la censure. Il va plus loin cette fois avec cette séquence qui se prolonge durant plus de quinze minutes, et au cours de laquelle L’Herbier multiplie les gros plans de visages très marqués, qui renforcent le côté « lieu de perdition » de ce cabaret qui donne son titre au film.

L’héroïne, danseuse vedette du cabaret, est un personnage complexe. La manière dont L’Herbier la présente au spectateur est à la fois brillante, inspirée, et d’une audace incroyable. Il y a d’abord ce flou qui l’isole du reste du cabaret. Et puis il y a surtout ce montage alterné, qui nous montre tour à tour la danseuse, Sibilla, arborant un large sourire sur scène, et son fils alité, malade, appelant sa mère avec le cri du désespoir… Mère indigne ? La réalité est bien complexe, et plus pathétique, encore.

Sibilla danse parce que c’est sa seule manière de gagner le peu d’argent qui pourrait sauver la vie de son garçon. Elle se souvient du père de l’enfant, un riche Espagnol qui les a abandonnés à la naissance du bébé, et qui refuse obstinément et froidement de les aider. Un pur monstre d’égoïsme, contrepoint parfait de la figure tragique de Sibilla. Cette tragédie en marche est renforcée par la présence de la fille du monstre, une jeune femme amoureuse d’un ami de Sibilla, et qui sera l’instrument de la vengeance de la mère bafouée.

Tragédie moderne, qui fait de L’Herbier (réalisateur et scénariste), l’un des grands auteurs du début du XXème siècle, El Dorado est un film bouleversant. Est-ce un hasard ? C’est dans ce film et Le Kid de Chaplin, sorti cette même année 1921, que l’on trouve les deux cris d’enfants (muets évidemment) les plus mémorables et insoutenables de l’histoire du cinéma. Deux films qui jouent à fond la carte du mélodrame, qui font pleurer à tous les coups, mais qui sont pourtant d’une pudeur extrême…

Cette pudeur, c’est à la réalisation de L’Herbier qu’on la doit. L’intelligence de la mise en scène, son sens du cadrage et du montage, l’utilisation des décors (un seul exemple, célèbre : Sibilla marchant au pied d’un immense mur qui renforce le sentiment d’accablement de la jeune femme). Il n’y a, dans El Dorado, pas la moindre image qui soit ne serait-ce que banale. L’Herbier utilise le montage, les clair-obscurs, les déformations de l’image, les travellings… avec une modernité exceptionnelle. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ils ne sont pas nombreux à maîtriser à ce point le langage cinématographique !

El Dorado est une date dans l’histoire du cinéma pour une autre raison, encore : c’est pour ce film que la première bande originale a été composée. Jusqu’alors, les musiciens improvisaient dans les salles, au gré de leur inspiration. Pour El Dorado, Marcel L’Herbier a commandé une partition originale à Marius-François Gaillard. Une partition qui, aujourd’hui encore, est considéré comme l’une des plus belles de l’histoire. Elle pose en tout cas les bases de près d’un siècle de musiques de film.

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