Le Papillon meurtri / Le Papillon brisé (Broken Butterfly) – de Maurice Tourneur – 1919
Dans la prolifique carrière américaine de Maurice Tourneur, qui fit de lui l’un des cinéastes les plus importants du muet à Hollywood, Broken Butterfly n’est pas le film le plus réputé, mais il est l’un de ceux qui nous sont parvenus, un siècle plus tard, dans une belle copie. Ajoutez à ça une restauration par la fondation Jérôme Seydoux en 2019, et vous obtiendrez l’une des meilleures occasions de découvrir à quel point Tourneur était grand, dès cette première partie de carrière, qui reste encore méconnue par rapport à ses années françaises.
Tourneur est, avant tout, un grand formaliste, un grand compositeur d’images, qui sait avant tout le monde (ou presque) jouer avec la lumière, avec la force symbolique des images, et tirer le meilleur tout aussi bien des décors naturels que du travail en studio. Dans Broken Butterfly, c’est la manière dont extérieurs et séquences en studio se marient qui frappe le plus.
Tourneur ne privilégie ni l’un ni l’autre a priori. Son film est une merveille formelle qui tire des émotions immenses d’un paysage canadien baigné de lumière, aussi bien que du contraste entre un intérieur sombre et un ciel immaculé à l’arrière-plan, ou des errances d’un personnage paumé d’un décor exotique à l’autre dans une succession de plans de plus en plus artificiels et dépouillés, soudain coupés du réel.
Grande réussite formelle, qui fait d’une histoire assez convenue un sommet d’émotion. Convenue, parce qu’on a le sentiment d’avoir vu cent fois, surtout à cette époque, de tels destins brisés, des jeunes femmes pleines d’illusions dont les vies sont brisées lorsqu’elles se retrouvent seules avec un enfant né de l’amour, mais dont le père les a abandonnés sans vraiment réaliser le mal qu’il fait.
Des histoires qui peuvent être juste plombantes, ou être magnifiées lorsqu’elles sont traitées par de grands cinéastes : John Ford pour Mother Machree, Frank Borzage pour The Lady… ou Maurice Tourneur, qui fait de ce pur mélodrame un film beau, sensible, et déchirant.