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Archive pour la catégorie 'DOCUMENTAIRE'

Le Sel de Svaténie (Džim Švante) – de Mikhaïl Kalatozov – 1930

Posté : 23 septembre, 2021 @ 8:00 dans 1930-1939, DOCUMENTAIRE, FILMS MUETS, KALATOZOV Mikhaïl | Pas de commentaires »

Le Sel de Svanétie

Quelques décennies avant Quand passent les cigognes et Soy Cuba, ses deux grands classiques, Mikhaïl Kalatozov signait une espèce de docu-fiction qui était déjà une date dans le genre. Pas d’intrigue, pas de personnage clairement identifié, mais une province de Georgie, perdue au milieu des hautes montagnes du Caucase. Une province qui, jusque dans les années 1920, gardait un mode de vie à peu près inchangé depuis des siècles, voire des millénaires, coupés du monde jusqu’à la construction d’une route par le pouvoir bolchévique.

Le Sel de Svaténie est un film qui glorifie le bolchévisme, qui permet l’arrivée de la modernité, et donc de l’humanité, dans les contrées les plus reculées. C’est un film dirigé contre la religion, encore très ancrée avant l’arrivée de la « civilisation », et au nom de laquelle on laisse mourir un nouveau né pour mieux accompagner un mort jusqu’à l’autre vie, mort pour qui on sacrifie un cheval en le faisant galoper en aveugle jusqu’à ce que son cœur éclate, tandis que le grand prêtre encourage les proches à être généreux, pour mieux empocher les dons.

Bref, c’est un film de propagande. Un film dont la construction est, par ailleurs, assez classique, succession de séquences qui illustrent chacune l’un des pans de la vie de cette communauté comme figée dans le passé. Vie de labeur et de souffrance : on travaille la laine, on casse la pierre pour se faire des toits, on traverse de hautes montagnes pour se fournir en sel…

Pourtant, Le Sel de Svanétie est un film envoûtant et magnétique. Cruel aussi, tant le quotidien de ces hommes et de ces femmes si marqués est dur et sans joie. On hésite quand même à parler de cinéma ethnographique, même si on a le sentiment d’être plongé dans cette vie d’un autre temps. Kalatozov, mine de rien, construit une vraie dramaturgie, qui culmine dans le montage en parallèle de l’accouchement et de l’enterrement.

Le film est sans doute plus proche de la fiction que du documentaire, même si les décors sont réels (et impressionnants). C’est en tout cas du cinéma absolument magnifique, avec des images d’une beauté rude et saisissante, l’un des sommets de cette avant-garde russe apparue à la fin du muet. Montage rapide, gros plans dramatiques, lumières très contrastées… Du grand, du très cinéma, impressionnant et d’une beauté à couper le souffle.

Chesty (Chesty, a tribute to a legend) – de John Ford – 1970-1976

Posté : 9 février, 2021 @ 8:00 dans 1970-1979, DOCUMENTAIRE, FORD John, WAYNE John | Pas de commentaires »

Chesty

Quelle tristesse, quand même, d’imaginer que Ford a vécu les dernières années de sa vie sans pouvoir réaliser de nouveau film. A l’exception de ce documentaire, tourné en 1970, mais sorti six ans plus tard, bien après la mort de Ford.

Chesty : surnom de Lewis B. Puller, officier multi-décoré de l’armée américaine, héros de Guadalcanal et de Corée. Un dur. Le genre a dire, lorsqu’il réalise que son unité est encerclée : « Tant mieux, maintenant on peut tirer sur ces enfoirés dans toutes les directions ». Est-ce que l’anecdote est authentique ? Relève-t-elle de la légende ? Qu’importe : le film s’appelle « a tribute to a legend ». Et quand la légende est plus belle que la réalité, qu’est-ce qu’on imprime, déjà ?

Ici, elle est racontée par John Wayne lui-même, qui lui aussi joue avec sa légende, mine de rien. Parce qu’il porte ses habits de cow-boy, dans un décor de western. Et parce qu’il raconte, devant la caméra de son ami John Ford, sa rencontre avec Chesty durant la seconde guerre mondiale, laissant croire avec beaucoup d’affectation que lui aussi était au plus près du feu.

Un hommage, plus qu’un documentaire. D’ailleurs, Ford utilise tous les effets du cinéma traditionnel, avec une surabondance de bruits de coups de feu sur des images muettes, notamment celles tournées dans les années 20 au Nicaragua (images impressionnantes, nonobstant). Des effets parfois faciles, mais qui donnent du rythme et un aspect vraiment spectaculaire.

Beaucoup d’images d’archives, certaines montrant Chesty sur ses différents fronts, beaucoup de simples illustrations. Le travail de montage et le sens de la narration de Ford font le reste. C’est une curiosité, qui vaut surtout d’être vu parce qu’il s’agit du baroud d’honneur du cinéaste. Mais le film prend une dimension particulière dans ses dernières minutes, qui prennent une dimension presque crépusculaire.

Le temps de très courtes scènes, Ford met vraiment en scène son ami Chesty, filmant le vieil homme accoudé à la roue d’un canon dans la cour de l’école militaire où il a fait ses premiers pas de soldats, ou traînant ses pas lourds dans l’allée de son pavillon de retraité. Là, les réminiscences de ses années glorieuses ressurgissent en flash-backs, comme sortis de l’esprit de Chesty… Ultimes images du dernier film d’un géant.

Death Mills (Die Todesmühlen) – de Billy Wilder et Hans Burger – 1946

Posté : 22 décembre, 2020 @ 8:00 dans 1940-1949, BURGER Hans, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, WILDER Billy | Pas de commentaires »

Death Mills

En 1945, Wilder accepte la proposition de la « psychological warfare division », qui lui demande de participer à un programme destiné à « dé-nazifier » l’Allemagne. Il s’agit de réaliser un court documentaire à base des nombreuses images tournées par les troupes alliées à la libération des camps de concentration et d’extermination, et de donner corps aux horreurs de la Shoah.

Et des corps, il y en a : meurtris, décharnés, entassés, mutilés… Des images terribles, dont beaucoup sont insoutenables. Mais le pire, sans doute, c’est l’accumulation, les chiffres qui s’égrainent et les cadavres que l’on découvre, innombrables et souvent surpris dans leurs derniers élans de vie.

Wilder adopte une forme classique : celle d’une succession d’images d’archives, avec une voix off pédagogique. Le film est d’ailleurs un modèle de montage, qui retrace en une vingtaine de minutes seulement, de la manière la plus claire possible, ce que furent pour ces femmes et ces hommes ces années d’horreur.

Aucun effet factice, Wilder sait que les images et le texte dit sans esbroufe se suffisent. Son objectif est d’être le plus clair possible, le plus direct aussi, et le plus factuel surtout. La dernière partie du film se concentre sur les visages parfois souriants des Allemands vivant dans les villes voisines des camps, ces Allemands qui affirmaient ne rien savoir, ne pas se douter…

C’est avant tout à eux que le film est destiné, une manière de leur dire : voyez ce que vous acceptiez en accueillant Hitler comme un héros ; maintenant, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas…

Lorsqu’il travaille sur Death Mills, durant cinq mois que l’on imagine particulièrement traumatisants, Wilder venait d’enchaîner deux chefs d’œuvre très sombres, Assurance sur la mort et Le Poison. On comprend qu’il aura besoin de donner un peu de légèreté à sa terre natale après ça : ce sera avec La Valse de l’Empereur, comédie chantante et coupée du monde…

Merci patron ! – de François Ruffin – 2016

Posté : 25 juillet, 2020 @ 8:00 dans 2010-2019, DOCUMENTAIRE, RUFFIN François | Pas de commentaires »

Merci patron

Avant d’être député, François Ruffin était déjà le patron du journal Le Fakir. Et il se voyait bien en double picard de Michael Moore : même engagement, même attachement viscéral aux droits des individus, même sens de la dramaturgie et de la mise en scène… et même égotisme surdimensionné.

C’est la limite de ce documentaire engagé et, on le sent, profondément sincère : cette manière de constamment se mettre en scène en chevalier blanc sans peur et sans reproche, tout juste traversé par un petit doute, lorsqu’il se demande si sa mise en scène (justement) ne va pas ruiner toutes les avancées obtenues.

Dans Merci Patron !, François Ruffin prend la défense des laissés pour compte de LVMH : toutes ces petites mains de la Somme et du Nord qui se sont retrouvées au chômage et dans la misère après que Bernard Arnault a racheté des entreprises pour mieux délocaliser l’activité.

Comme il a le sens de la dramaturgie, mais aussi le vrai sens pratique de l’homme d’action, il comprend vite qu’il ne représentera jamais mieux l’ensemble des laissés pour compte qu’en se focalisant sur un unique couple. Les Klur, de Poix-du-Nord, des vrais gens, pas glamour pour un sou, et bien dans la galère, sur le point de perdre leur maison.

François Ruffin se met en scène à leurs côtés. On sent parfois que ces images comme prises sur le fait sont, justement, très mises en scène. Mais qu’importe : c’est surtout l’empathie du type qui frappe, ce refus du misérabilisme. Ruffin n’est pas un laissé pour compte, mais il les comprend, il les aime, c’est flagrant.

Le ton qu’il utilise n’est jamais agressif. Ironique, plutôt. Pédagogique, aussi. Édifiant, surtout. En tentant d’approcher l’homme Bernard Arnault, Ruffin dévoile la puissance de la machine LVMH. En mettant en place un stratagème pour soutirer quelques dizaines de milliers d’euros au groupe au bénéfice des Klur, il met en évidence une organisation souterraine franchement glaçante.

Le film de Ruffin a un côté plus bricolo que ceux de Michael Moore. Il est aussi, sans doute, plus crédible dans son travail journalistique. Son film, vivant et souriant, révèle le cynisme organisé du monde du luxe et des grandes entreprises. Une image : un chef d’entreprise (délocalisé) qui annonce avec un sourire indolent que si les salaires continuent à augmenter en Bulgarie, une nouvelle délocalisation aura lieu vers la Grèce, où des tas de gens sont au chômage. Chouette ! Rien de plus facile à exploiter qu’un peuple dans la misère…

Merci Patron ! est un road trip populaire qui sent la frite et la bière. C’est aussi un documentaire engagé qui sent le chagrin et la misère, et souffle un vent de révolte qui fait du bien.

La Toilette de la Tour Eiffel – anonyme – 1924

Posté : 17 avril, 2020 @ 8:00 dans 1920-1929, anonyme, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE | Pas de commentaires »

La Toilette de la Tour Eiffel

Me voilà les mains toutes moites après avoir vu ce superbe documentaire consacré aux ouvriers qui repeignent la Tour Eiffel. En quelques minutes à peine, ce petit film Pathé rend un hommage vibrant à ces hommes que l’on voit braver l’altitude, le vertige, le plus souvent sans la moindre protection.

Aucune autre signature que celle de Pathé, hélas : on aurait aimé savoir qui a tourné ces images magnifiques, vertigineux travellings aériens, gros plans profonds sur les visages des peintres, un poème visuel jouant des lignes de fer qui s’entrelacent…

On aurait aimé aussi voir un documentaire sur les coulisses de ce documentaire, tant les images, tournées en 1924, impressionnent et envoûtent. Jamais, peut-être, on n’a vu la Tour Eiffel filmée de la sorte…

Ni juge, ni soumise – de Jean Libon et Yves Hinant – 2018

Posté : 18 juillet, 2019 @ 8:00 dans DOCUMENTAIRE, HINANT Yves, LIBON Jean | Pas de commentaires »

Ni juge, ni soumise

Incroyable personnage que cette juge d’instruction bruxelloise, choisie pour être « l’héroïne » du premier long métrage Strip Tease. Cinq ans après la déprogrammation de l’émission culte, c’est donc le cinéma qui permet de renouer avec cette manière si singulière de filmer « la vraie vie » : sans voix off, au plus près des gens, sans dramaturgie. Ou presque.

Pour tenir le long métrage, les auteurs ont tout de même choisi de suivre un fil rouge, une enquête vingt ans après autour du meurtre de deux prostituées, double-crime jamais résolu que la juge Anne Gruwez tente d’élucider grâce notamment aux nouvelles technologiques. Ce cold case permet de donner une direction au film, plutôt que de casser une pseudo monotonie qui pourrait s’installer.

L’essentiel du métrage repose quand même sur les « clients » qui se succèdent dans le bureau d’Anne Gruwez. Des cas lourds parfois, comme cet hallucinant témoignage d’une jeune mère qui explique avoir tué son enfant de 8 ans parce qu’il était le fils de Satan. Long moment absolument glaçant. C’est tout le système Strip Tease : donner la vie à voir telle qu’elle apparaît devant les caméras, sans filtre, sans pudeur non plus.

Dans cette démarche précise, le choix d’Anne Gruwez est formidable, parce que cette juge pas comme les autres, cette femme pas comme les autres, a une manière toute personnelle de refuser toute trace de politiquement correct. Parfois dure, occasionnellement odieuse, souvent touchante, toujours humaine… « J’avais un client qui habitait là, dit-elle lors d’une de ses traversées de Bruxelles en 2CV. Il était gentil comme tout, il avait tué sa femme… » Ou comment ne pas perdre de vue l’humanité de ceux qui, parfois, ont fait des choses inhumaines.

Mine de rien, le film donne aussi à voir un système judiciaire confronté à ses limites, à ses erreurs, et à une forme de bricolage constant. Le rôle même, tout puissant, du juge d’instruction, pose question. Mais le film se contente de filmer des moments de vie, sans creuser aucune de ces questions : ce n’est juste pas le sujet de Strip Tease. Cela dit, cela n’empêche pas les réalisateurs de conclure ce premier long par une réplique d’un flic qui en dit long : « On sait pas faire de miracles… »

How to make movies (id.) – de Charles Chaplin – 1918

Posté : 20 avril, 2019 @ 8:00 dans 1895-1919, CHAPLIN Charles, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

How to make movies

En 1918, Chaplin a eu une idée géniale… dont il n’a rien fait pendant quarante ans : filmer la construction de ses propres studios à Hollywood, puis s’y mettre en scène dans son quotidien de création. Au cinéma, seuls deux minutes en seront utilisés en 1959 pour introduire The Chaplin Revue, programme regroupant trois courts métrages. Mais les seize minutes que l’on connaît de ce film jamais réellement achevé sont fascinantes.

Ce n’est pas à proprement parler un documentaire : on sent bien que tout est mis en scène, ne serait-ce que la manière dont les frusques de Charlot sont religieusement transportées d’un coffre fort au bureau de Chaplin. Mais le film montre toutes les étapes de fabrication d’un film, des répétitions au tirage du film, et c’est passionnant de voir Chaplin livrer lui-même ses secrets de fabrication.

C’est même un cas à peu près unique dans l’histoire du cinéma : ce témoignage d’un monument qui dévoile l’envers du décor. On le voit répéter avec Edna Purviance, Henry Bergman, faire faire des essais à une jeune actrice (en flirtant gentiment), ou entrer littéralement dans la peau de Charlot.

L’occasion aussi de placer ces quelques scènes où Charlot fait du golf, probable ébauche d’un court métrage jamais terminé, tourné quelques mois plus tôt (on y voit Eric Campbell, mort fin 1917 avant que le studio soit achevé). Avant que Chaplin, de nouveau habillé « en civil », gratifie le spectateur d’un « au revoir » face caméra.

Une curiosité passionnante et indispensable.

Voyage à travers le cinéma français – de Bertrand Tavernier – 2016

Posté : 22 novembre, 2018 @ 8:00 dans 2010-2019, DOCUMENTAIRE, TAVERNIER Bertrand | Pas de commentaires »

Voyage à travers le cinéma français

Qu’on aime ou pas le cinéaste (et moi je l’aime), Bertrand Tavernier est l’un des plus grands amoureux du cinéma du monde. Un cinéphile acharné dont la passion et les connaissances encyclopédiques semblent sans fin, l’équivalent français d’un Martin Scorsese en quelque sorte.

La comparaison n’est pas choisie au hasard : jusque dans son titre, ce Voyage à travers le cinéma français est une déclinaison revendiquée du grand-œuvre cinéphile de Scorsese, réalisé dans les années 90, Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain. Dans ce long cheminement thématique au fil de ses souvenirs personnels de spectateur, Scorsese dessinait une histoire forcément très subjective du cinéma américain, celui qui l’a inspiré.

Tavernier va peut-être plus loin encore dans la subjectivité. Son film, qui évoque le cinéma français jusqu’au début des années 1970 (son parti pris est d’arrêter au moment où lui-même devient réalisateur), parle en fait autant de lui-même que du cinéma. Cet exercice, loin de tomber dans l’autocélébration, s’avère être un merveilleux révélateur de ce que les films peuvent avoir de plus beau.

Forcément, il y a des manques, des absences, des impasses, des choix contestables. En trois heures, impossible d’évoquer toutes la richesse de ce cinéma français si riche. Mais le choix du cœur fait mouche dès les premières secondes. Le film s’ouvre par une succession d’extraits, très courts, de L’Atalante, Casque d’Or, Le Jour se lève, Panique… Une poignée de plans, sans commentaire, dont la simple présence et l’agencement donnent d’emblée l’envie de tous les revoir.

C’est tout Tavernier, ça : une gourmandise communicative. Même s’il n’était pas un cinéaste passionnant, Tavernier serait tout de même un passeur exceptionnel qui parle mieux que quiconque de Jacques Becker, cinéaste majeur du cinéma français et de son propre panthéon. C’est à lui qu’il consacre la première partie de son film, racontant que, à 6 ans, son premier choc était un film policier qu’il a tardivement (25 ans plus tard) identifié comme étant un film de Becker (Dernier atout).

Ce premier choc, il n’en gardait que des images nettes, dont il a longtemps ignoré de quel film elles étaient tirées. En commençant son documentaire par ces images, et cette découverte tardive, Tavernier se met immédiatement dans la poche les cinéphiles qui ont connu ce genre de redécouverte, l’émotion immense de retrouver par hasard un film qui nous a marqué si profondément. Pour moi, ça a été Le Reptile, comme je l’évoquais dans ma chronique il n’y a pas si longtemps. Mais tous les cinéphiles ont eu des chocs similaires.

Tavernier signe aussi une magnifique déclaration d’amour à Jean Gabin. Celui de l’avant-guerre bien sûr, qui enchaîna en cinq ans dix des plus grands films du cinéma français, mais aussi celui de l’après-guerre, qu’il réhabilite intelligemment et efficacement, démontrant que, jusqu’au bout, et malgré une tendance à s’entourer de réalisateurs et de techniciens avec lesquels il se sentait bien au risque de paraître pantouflard, Gabin a fait des films passionnants. Oui.

Pendant trois heures, Tavernier passe d’une personnalité à une autre au fil de ses souvenirs personnels, tirant un fil qui mène à un autre. On ne sera pas surpris d’y croiser Meville, que Tavernier a connu personnellement, assistant à ses engueulades avec Belmondo ou Ventura. Ou Godard. Ou Sautet.

Tavernier remet aussi dans la lumière des cinéastes plus oubliés comme Edmond T. Gréville. Plus surprenant, il déclare son admiration pour Eddie Constantine, ce qui donne aussi très envie de jeter un œil sur toute une partie du cinéma français qui, a priori, n’attire plus personne. Il évoque l’importance du producteur Georges de Beauregard. Ou celle du compositeur Maurice Jaubert, notamment pour la musique inoubliable de Quai des Brumes

Forcément, c’est frustrant à force d’être fragmentaire. Mais c’est aussi totalement réjouissant. Ce voyage là donne envie d’aimer les films, d’aimer ceux qui les ont faits, d’aimer Tavernier lui-même. Et de se plonger au plus vite dans la série documentaire qui prolonge et complète ce long métrage.

Watchtower over tomorrow (id.) – de John Cromwell, Harold F. Kress (et Alfred Hitchcock) – 1945

Posté : 25 mars, 2018 @ 8:00 dans 1940-1949, COURTS MÉTRAGES, CROMWELL John, DOCUMENTAIRE, HITCHCOCK Alfred, KRESS Harold F. | Pas de commentaires »

Watchtower over tomorrow

Ce court documentaire (une quinzaine de minutes) est produit au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le but d’expliquer au public l’intérêt des Nations Unies, alors sur le point d’être créés, pour éviter une troisième guerre mondiale.

« Why can’t we organize a world where the people could work and live in peace ? » interroge la voix off de John Nesbitt, tandis que les images d’Américains vivant tranquillement s’enchaînent.

Forcément très didactique, le film mélange habilement images documentaires et stock shots, avec la vision d’une mappemonde qui revient régulièrement pour rappeler l’enjeu planétaire du projet, et quelques séquences tournées pour l’occasion. Un procédé efficace qui donne de la vie au film, entre deux séquences purement explicatives.

On y voit notamment Lionel Stander, en ouvrier indélicat qui lit le journal par-dessus l’épaule de l’employé de bureau Grant Mitchell, dans le bus qui les ramènent tous deux à leurs domiciles. Les deux hommes se lancent alors dans une discussion autour de ce projet de Nations Unies, avant que le narrateur, toujours en voix off, ne les interpelle.

Signé John Cromwell et Harold F. Kress, co-écrit par Ben Hecht, le film a bénéficié de l’apport d’Hitchcock. De quelle manière ? Il semble que sa participation ait surtout concerné l’écriture du film, plus que la mise en scène elle-même, même si les sources ne sont pas très claires à ce sujet.

Memory of the Camps (id.) – de Sidney Bernstein (et Alfred Hitchcock) – 1945/1985

Posté : 19 février, 2018 @ 8:00 dans 1940-1949, 1980-1989, BERNSTEIN Sidney, DOCUMENTAIRE, HITCHCOCK Alfred | Pas de commentaires »

Memory of the camps

Des documentaires sur la Shoah et sur les camps de concentration, il y en a eu beaucoup. Celui-ci est sans doute l’un des plus traumatisants. A l’exception de la courte introduction, qui rappelle qu’Hitler a été élu par les Allemands, le film n’est constitué que d’images tournées par les armées Alliées lors de la libération des camps. Les troupes anglaises et américaines surtout, mais aussi par les Soviétiques à Dachau pour ce qui devait être la dernière bobine, aujourd’hui disparue.

Le film n’a jamais été exploité en salles. Il est même tombé dans l’oubli durant quatre décennies, avant que les bobines originales soient retrouvées, avec des documents indiquant ce que voulait en faire le producteur Sidney Bernstein. Ce dernier était alors le chef de la section cinéma des Forces Alliés à Londres, et c’est à lui qu’on a confié la « mise en valeur » des images tournées dans les camps. A l’époque, Bernstein et Alfred Hitchcock sont proches : les deux hommes souhaitent créer leur propre maison de production, à l’issue du contrat de Hitch avec Selznick. C’est donc tout naturellement que le réalisateur est impliqué dans ce projet.

Son rôle officiel est celui de « treatment advisor », un consultant qui n’a peut-être travaillé au projet qu’en amont. Quoi qu’il en soit, son apport au documentaire est décisif : c’est lui qui suggère à Bernstein de privilégier les très longs plans sans coupure, qui permettent de contextualiser l’horreur, de placer les corps des victimes et des survivants dans l’environnement des camps. Un choix radical qui contribue largement au sentiment d’horreur total que donne le film.

Les gros plans sur les visages dévastés, les milliers de corps décharnés que l’on déverse dans des fosses communes, la colère des survivants qui crient leurs haines à leurs anciens bourreaux forcés de « nettoyer » leurs atrocités (même avec une bande son partiellement perdue, les cris silencieux de ces femmes sont difficilement soutenables), la terrible mécanique de l’horreur mise en place pendant des années… Tout cela forme une vérité insupportable qui éclate sans fard, plein écran, mais sans complaisance non plus.

En 1985, Trevor Howard a enregistré un commentaire écrit en 1945. A l’époque de la réconciliation, sans doute n’aurait-il pas été écrit de la même manière. Au lendemain de la libération, il était non seulement question de dévoiler l’ampleur de l’horreur, mais aussi de mettre ceux qui n’ont rien dit devant leur responsabilité, à commencer par l’ensemble du peuple allemand : « Personne ne pouvait ignorer ce qui se passait », affirme-t-il.

Même 70 ans après, ces images restent en tout cas traumatisantes. Malgré tout ce qu’on a lu, entendu, vu… Difficile, encore, de comprendre l’ampleur de cette horreur.

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