Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour la catégorie 'VANEL Charles'

La Maison du Mystère – Alexandre Volkoff – 1922

Posté : 8 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1920-1929, FILMS MUETS, VANEL Charles, VOLKOFF Alexandre | Pas de commentaires »

La Maison du mystère 1

Alexandre Volkoff (réalisateur) et Ivan Mosjoukine (acteur) font partie de ces Russes blancs exilés en France après 1917, qui ont fondé Albatros, enthousiasmante maison de production à qui on doit quelques-uns des meilleurs films de l’époque, films dont les équipes étaient majoritairement russes, mais qui sont pour la plupart très ancrés dans la culture française.

C’est le cas de ce formidable serial en dix épisodes, chef d’œuvre qui évite tous les pièges trop souvent associés au genre : rebondissements téléphonés, personnages caricaturaux, situations improbables. Il y a des tonnes de rebondissements, des drames, du suspense, de l’action aussi, et des émotions qui vous emportent. Il y a aussi et surtout une profondeur, une justesse et une intensité qui ne retombe jamais au fil des épisodes, à la fois cohérents et constamment surprenants.

Volkoff, cinéaste que je découvre, apparaît aussi comme un formidable formaliste, dont chaque plan est admirablement construit, et qui utilise la lumière d’une manière particulièrement forte. La Maison du mystère, grand film dont les 6h30 s’avalent avec gourmandise et passion.

1. L’ami félon

Ça commence comme un marivaudage très léger : le jeune et riche propriétaire d’une usine textile peine à demander la main de la femme qu’il aime… qui finira par le faire à sa place. Le ton est au badinage, voire à la comédie : les mimiques gênées du jeune amoureux (Ivan Mosjoukine), le temps que Volkoff accorde à cette parade prénuptiale… et même un trucage inattendu (images montées à l’envers) qui permet au fiancé de littéralement bondir sur la selle d’un cheval.

La première partie est légère, et permet de présenter le décor et les personnages. La seconde met en place les tensions, et le drame qui se noue. Un triangle amoureux en l’occurrence, le gérant et ami d’enfance du héros étant amoureux de la même femme (Hélène Darly), et rêvant de briser le couple. Le félon, c’est Charles Vanel, le regard torve et la lippe haineuse, qu’on découvre prêt à lâcher un molosse sur un pauvre mendiant et son fils. C’est dire s’il est méchant.

Entre ces deux parties, la noce, illustrée par une suite de tableaux en ombres chinoises, absolument magnifiques, et totalement coupés esthétiquement du reste du film. Une parenthèse très séduisante qui souligne bien l’ambition esthétique du film, et ces parti-pris qui peuvent manquer de cohérence, mais qui ne manquent pas d’audace. On retiendra aussi, dans un style à peu près contraire à ces espèces d’estampes japonisantes, une belle utilisation de la lumière naturelle, plongeant le couple dans un beau contre-jour, ou le « félon » dans une pâture baignée de soleil.

2. Le Secret de l’étang

Le drame se noue plus intensément dans ce deuxième épisode plus court, et plus condensé. Beaucoup de mouvements, beaucoup de suspense… Ce qui frappe le plus, c’est alternance de scènes d’intérieur dans de vastes décors un peu vides, et des extérieurs où la végétation et la nature en général jouent un grand rôle, particulièrement autour de l’étang dont les hautes herbes semblent coupées de la réalité. La lumière naturelle est vive, et éclatante. Elle contribue étrangement à distiller un malaise grandissant.

3. L’Ambition au service de la haine

Très sombre troisième partie. Notre héros réalise que tout l’accuse du crime qui a été commis, tandis que le vrai criminel tente de se débarrasser d’un maître chanteur… Charles Vanel, dont on a l’impression d’entendre la voix si reconnaissable dès qu’il ouvre la bouche, se transforme littéralement sous l’effet de la haine et de la folle détermination. Le couple Hélène Darly Ivan Mosjoukine prend quant à lui des allures expiatoires, elle en madone au chevet d’un enfant, lui dans une position très christique…

La Maison du mystère 2

4. L’Implacable verdict

L’intensité ne fait que croître, sans que jamais Volkoff et Mosjoukine (co-scénariste) ne cèdent à la facilité de rebondissements trop attendus. La série prend le pas de s’intéresser à chaque personnage, et de montrer comment le drame qui s’est noué à influer sur eux. Volkoff garde épisode après épisode la même exigence, la même ambition esthétique. L’utilisation des lumières, naturelles ou artificielles, reste exemplaire, et les recherches formelles sont constantes à l’image de l’arrestation de Julien, filmée par une brusque plongée spectaculaire illustrant l’étau qui se referme sur lui.

5. Le Pont vivant

Outre une superbe utilisation de la lumière, il faut aussi attribuer à Volkoff un grand sens du rythme et de la narration. Ce cinquième épisode, en particulier, témoigne d’une immense maîtrise narrative, dans la spectaculaire évasion de Julien Villandrit, que l’on voit certes venir, mais qui fait plus que tenir ses promesses. La manière dont il filme (et monte) la course-poursuite entre le train et les gardiens, et l’utilisation qu’il fait des décors rocheux, sont franchement impressionnantes jusqu’à cet improbable « pont vivant » qui donne son titre à l’épisode.

Tellement haletant, inventif et passionnant qu’on pardonne bien volontiers quelques petites facilités scénaristiques : la découverte du journal découpé (comment a-t-il pu ne pas le détruire ???), ou le chapeau malencontreusement oublié… Des détails, franchement, au regard de la réussite de l’ensemble.

6. La Voix du sang

Après l’action du trépidant épisode précédent, place à l’émotion. Julien retrouve sa fille dans une très longue séquence d’une beauté déchirante, dont la dernière partie n’est filmée qu’en gros plans qui font un bien fou. Après les retrouvailles viennent l’heure des séparations déchirantes : la déclaration de guerre, les personnages principaux qui s’engagent tous d’une manière ou d’une autre, et les années qui défilent de 1914 à 1919 comme un enchaînement d’images déshumanisées, en quelques minutes à peine, mais qui font ressentir le poids, une fois encore, du temps qui passe si cruellement… Dans l’épure et l’ellipse aussi, La Maison du Mystère est une grande réussite.

7. Les Caprices du destin

Les masques tombent, Julien renoue avec ses grands amours perdus, et le spectateur verse toutes les larmes de son corps dans cet épisode poignant et intense. Une fois encore, le destin (et les quelques raccourcis scénaristiques déjà évoqués) ramène notre héros sur les lieux de son passé. Sous les traits, inattendus, d’un clown qui perd totalement contenance lorsque son regard croise ceux de sa femme et de sa fille hilares, assises près de celui qui lui a pris sa vie (Vanel, donc).

Il y a à la fois du Borzage et du Browning dans ces passages-là, romantiques et marqués par le sceau du destin. Le marivaudage de la fillette devenue jeune femme et de son fiancé devant une affiche arborant l’immense visage du père méconnaissable est ainsi déchirant. Comme les regards échangés, comme les retrouvailles tant de fois reportées. Comme les embrassades, enfin, superbes.

8. Champ clos

Retrouvailles, suite. La tragédie, l’attente, la libération. Superbe épisode, encore une fois, où Volkoff entremêle plus que jamais l’intensité du drame humain et le suspense du film de genre. A l’extase des retrouvailles succède ainsi un face-à-face sous haute tension entre les deux antagonistes de l’histoire, et une longue et puissance bagarre à mains nus, qui se termine sur un à-pic impressionnant. Modèle de mise en scène et de montage, encore une fois. Modèle d’intensité dramatique aussi, qui ne fait que s’accroître au fil des épisodes.

9. Les Angoisses de Corradin

Drames humains, suspense, beauté des cadresLe rythme s’emballe au fur et à mesure que la conclusion se rapproche. Charles Vanel abandonne définitivement sa suavité pour ne plus laisser apparaître que son caractère retors, qui domine lors d’une séquence sous haute tension dans les ruines du château.

Et puis il y a la beauté et la force des images, ces cadrages qui donnent tant d’importance à la profondeur de champs et à la lumière. C’est particulièrement fort dans la maison de Rudeberg, lorsque le vieux jardinier prend une décision majeure tandis que, à l’arrière-plan, son fils adoré est en plein tourment.

10. Le Triomphe de l’amour

Un travelling avant qui se termine en gros plan sur le visage de Christiane, la fille devenue grande du héros. Le même plan qui s’éloigne… Trois fois rien, vraiment, un simple mouvement d’appareil tellement discret, mais qui en dit plus que tous les dialogues sur les tourments de la jeune femme. Le serial est plein de ces moments d’une modernité folle, jamais tape-à-l’œil, toujours au service de l’histoire et de l’émotion.

De bout en bout, jusqu’à une dernière séquence formidable (ce plan de Corradin s’éloignant à l’arrière plan, entre deux gendarmes), Volkoff aura réussi à maintenir à la fois le rythme et l’intensité de son histoire, et un style inventif et moderne, d’une fluidité remarquable. Grand serial. Grand film tout court.

La Belle Equipe – de Julien Duvivier – 1936

Posté : 28 octobre, 2020 @ 8:00 dans 1930-1939, DUVIVIER Julien, GABIN Jean, VANEL Charles | Pas de commentaires »

La Belle Equipe

« Quand on s’promène au bord de l’eau, comme tout est beau, quel renouveau… » Pourquoi cette chanson est-elle l’une des plus marquantes de l’histoire du cinéma ? Tout bêtement parce qu’elle vous trotte dans la tête pendant des jours : je suis incapable de revoir le film sans la fredonner en boucle jusqu’à se prendre une baffe par vos voisins agacés… Aussi parce qu’elle est chantée par un Gabin au sommet, et parce qu’elle symbolise ce que lui-même symbolise : une certaine douceur de vivre, des rêves modestes, une idée de l’amitié et du bonheur…

La Belle Equipe a été érigé en film étendard du Front Populaire. C’est en partie vrai. Sorti en pleine révolution sociale, le film de Duvivier s’impose comme le totem de cette France des travailleurs qui aspire à son petit coin de paradis. La fin pessimiste voulue par Duvivier et son coscénariste Charles Spaak vient quand même tempérer la chose.

Cette fin pessimiste a d’ailleurs longtemps été invisible. Après sa sortie originale, le film a été remonté à la demande du producteur, mais avec l’accord de ses auteurs, pour une fin optimiste qui a été la seule visible pendant des décennies. Aujourd’hui, le débat est loin d’être tranché. Et il n’est pas anodin.

Je dois avouer une petite préférence pour la fin optimiste, ne serait-ce que parce que la pessimiste ne m’a jamais totalement convaincu. Elle est belle, terriblement triste (« C’était une belle idée »), mais sonne un peu faux par rapport à ce qu’est au fond La Belle Equipe, avant d’être le film du Front Populaire : une ode à l’amitié, à l’entraide. Un film presque naïf sur la camaraderie, plus forte que tout : cette nuit passée sur un toit, sous des trombes d’eau, en est l’aboutissement après bien des moments forts.

Et ça commence dès cette main posée par Gabin sur son ami Vanel, cafardeur. Ou avec Aimos, grande gueule joviale qui sait se faire grave pour aider un copain… Duvivier signe un film plein d’empathie. Il aime ses personnages, et ça se sent. Des hommes avec leurs fragilités, leurs défauts, leurs faiblesses… Une ode à la collectivité, une merveille qui donne envie de s’promener au bord de l’eau, tient…

Le Diable souffle – d’Edmond T. Gréville – 1947

Posté : 23 octobre, 2020 @ 8:00 dans 1940-1949, GREVILLE Edmond T., VANEL Charles | Pas de commentaires »

Le Diable souffle

Un homme trop seul, une femme trop belle, un deuxième homme trop jeune… Combinaison typique d’un film noir à l’américaine, que Gréville s’approprie totalement. Son principal apport, c’est le vent, ce vent présenté dès la belle introduction comme le personnage principal du drame. Un vent qui souffle constamment sur cette petite maison isolée du monde, sur une île entre deux pays, la France et l’Espagne. Un vent qui pèse sur les humeurs, qui isole, qui exacerbe les sentiments, qui rend fou…

Gréville flirte avec les codes du film noir. Il fait de Charles Vanel (immense, mais comme toujours finalement) un bon type asocial, qui tombe amoureux d’une jeune femme (Héléna Bossis) dont on sent bien qu’elle n’est pas pour lui : une citadine habituée à la vie nocturne, qu’il rencontre alors qu’elle a tout perdu, avant de l’emmener dans son île si proche, mais si loin de tout. Et puis ce troisième personnage (Jean Chevrier), dont on sent aussi qu’il amène le drame malgré lui, chirurgien madrilène condamné à mort dans son pays.

Un canevas si classique, pour un film si singulier. La justesse exceptionnelle des personnages (cette ultime main tendue entre Vanel et Héléna Bossis, d’une beauté renversante), et le choc esthétique que procure à peu près chaque plan… La pluie lourde et les barres verticales qui soulignent le poids qui pèse sur la jeune femme au début du film, dans des décors poisseux impressionnants… Des éléments de décors qui isolent l’un ou l’autre des acteurs… Ce vent qui ploie les roseaux ou souligne la sensualité brûlante d’Héléna Bossis…

Gréville est un très grand cinéaste méconnu, qui n’occupe pas la place qu’il mérite dans l’histoire du cinéma. Ce film majeur en est une preuve éclatante.

Le Ciel est à vous – de Jean Grémillon – 1944

Posté : 20 octobre, 2020 @ 8:00 dans 1940-1949, GRÉMILLON Jean, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Le Ciel est à vous

Que de vie dans ce Grémillon ! Une histoire d’aviation, de défi, de passion dévorante, mais surtout une histoire de couple : Madeleine Renaud et Charles Vanel, tous deux immenses, un mécanicien et sa femme expropriés parce qu’un aérodrome doit être aménagé sur le terrain de leur maison, et dont la vie se trouvera chamboulée par ces avions qui les ont délogés.

Il y a de la vie, avec toute la complexité et tous les accidents que cela implique : des engueulades, des petites joies et des peines quotidiennes, des signes d’amour et des mesquineries, des inquiétudes, des envies… Il y a bien un fil conducteur : cette passion dévorante pour l’aviation qui bouscule cette famille bien installée. Mais Charles Spaak, Albert Valentin (au scénario) et Jean Grémillon (derrière la caméra) racontent moins une histoire qu’un amour.

Ils le font avec un sens parfait de la narration, émaillant le film de signes dramatiques : ces orphelins qui reviennent régulièrement dans le cadre, ces traces d’huile sur le sol, quelques dialogues évocateurs… Derrière la légèreté apparente, les drames et les tragédies pointent déjà leur nez…

Beaucoup de mesquinerie aussi, autour de ce couple décidé à vivre leur amour librement. « Quelle est la plus belle marque d’amour ? s’interroge Vanel. Te laisser partir ou te retenir ? » Il est merveilleux (comme toujours, oui), elle est merveilleuse. Ils forment l’un des grands couples de cinéma, aussi beaux et unis que Louis Jouvet et Renée Devillers dans Les Amoureux sont seuls au monde. C’est dire…

Jenny – de Marcel Carné – 1936

Posté : 29 février, 2020 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, CARNÉ Marcel, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Jenny

Premier long métrage de Carné, tourné juste avant l’ère des grands classiques, Jenny est un film nettement moins célèbre que Drôle de drame ou Le Jour se lève dans la longue collaboration entre Carné et Jacques Prévert. L’heure n’est pas encore au fameux réalisme poétique qui atteindra des sommets avec Hôtel du Nord, mais à un réalisme plus cru, avec moins de fards…

Jenny, qui donne son titre au film, c’est la grande Françoise Rosay. Ou plutôt la femme qu’elle est à la nuit tombée, lorsque la mère de famille digne et vieillissante qu’elle est devient la patronne d’un club très libertin, où les jolies jeunes femmes ne demandent qu’à être très gentilles avec les riches clients prêts à sortir leurs portefeuilles.

Quand sa fille revient d’Angleterre, où elle a vécu depuis l’adolescence, elle lui cache son vrai métier. Pour la jeune Danièle (Lisette Lanvin), sa mère est une bourgeoise bien comme il faut… Jusqu’au jour où elle découvre la vérité, et rencontre Lucien (Albert Préjean), sorte de gigolo qui vit de la générosité de sa mère…

Jenny s’annonce comme un drame amoureux qui va opposer mère et fille. Mais le film se révèle vite plus subtil que ça. Et c’est une série de portraits de personnages trop seuls que Carné filme. Tout est simple, semble-t-il, dans cet univers où il suffit de payer pour avoir des amis, une maîtresse, un amant… Mais personne n’est vraiment dupe : ni Charles Vanel, petit caïd qui brandit son pouvoir mais se consume d’amour pour Françoise Rosay ; ni Jean-Louis Barrault, qui s’invente un chien imaginaire parce qu’au fond, personne ne s’intéresse au bossu qu’il est ; ni Albert Préjean, gigolo repenti…

Au fond, seul le milliardaire joué par Le Vigan prend son argent vraiment au sérieux. Une posture qui, d’ailleurs, le coupe totalement du monde et de la réalité.

Superbe interprétation, musique très présente mais prenante de Joseph Kosma, et quelques beaux moments qui annoncent les chefs d’œuvre à venir : les amoureux qui regardent la brume sur le canal, ou cette dernière image de Françoise Rosay, seule dans le brouillard, déchirante.

Abus de confiance – de Henri Decoin – 1937

Posté : 12 janvier, 2020 @ 8:00 dans 1930-1939, DARRIEUX Danielle, DECOIN Henri, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Abus de confiance

Il y a une vraie cohérence dans le parcours commun de Henri Decoin et de sa muse, Danielle Darrieux. Voici encore le portrait d’une toute jeune femme, à peine sortie d’une enfance abîmée, maltraitée par la vie.

Avec ce portrait mélodramatique, Decoin parle d’une époque rude et impitoyable, qui se dessine en creux. Si Lydia, le personnage que jouer Darrieux, est poussée à commettre un acte si détestable, c’est parce que tout, ou presque, lui est hostile.

Cet acte est un pur parti-pris mélodramatique. La découverte d’un journal intime… Une mère et son bébé morts depuis vingt ans sans que le père sache ce qu’ils sont devenus… Et Lydia qui décide de se faire passer pour l’enfant disparu auprès de ce dernier, grand avocat bien installé.

Et Decoin a un vrai talent pour filmer le chaos et la violence mentale. La scène de la fête foraine est ainsi magnifique, véritable tourbillon qui finit d’enfoncer les clous du désespoir, et virtuose utilisation du montage et de la surimpression.

Même force dans l’entretien d’embauche que subit Darrieux, pathétique défilé de proie pour un prédateur libidineux qui profite de sa position de supériorité… Ou comment, au fil de recherches désespérées de la jeune femme pour survivre, elle enchaîne les rencontres avec des hommes dégueulasses. 1937, et déjà, un manifeste virulent contre les violences faites aux femmes.

Et elle est, une nouvelle fois, extraordinaire, la Darrieux, déchirante en jeune victime d’une société bien malade. Charles Vanel aussi, forcément, est excellent. Malgré des dialogues parfois un peu trop littéraires, Decoin tire le meilleur de ses acteurs. Valentine Tessier est particulièrement marquante en épouse de Vanel. Rude, austère, péremptoire, mais pourtant compréhensive et avisée.

Un personnage complexe, qui évite toute facilité. C’est elle qui amène la dernière image, extraordinaire fin cynique et douce-amère…

Daïnah la métisse – de Jean Grémillon – 1932

Posté : 6 avril, 2019 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, GRÉMILLON Jean, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Daïnah la métisse

Sur un bateau de croisière au milieu du Pacifique, une jeune femme, métisse à la beauté insolente, s’amuse de l’effet qu’elle produit sur les hommes. « Le plus important, c’est l’amour » lui répètent-ils. « La seule chose qui compte, c’est d’être désirée », rétorque-t-elle.

Un soir, elle rencontre l’un des mécaniciens du bateau, rencontre inattendue entre cette femme du monde belle et moderne, désirée par tous, et ce rustaud sans manière. Rencontre dont on pressent vite qu’elle va mener au drame.

Ce petit film de jeunesse de Jean Grémillon (48 minutes, pas plus) est déjà une grande réussite, troublante et passionnante. L’atmosphère doit beaucoup au fait que le bateau est au milieu de l’océan, dans une sorte d’entre-deux, loin de toute terre.

Et c’est comme si la loi et les règles morales de la société de la société ne s’appliquaient plus, comme si tous se déshumanisaient. A l’image de cet envoûtant et très macabre bal des masques, au milieu duquel Daïnah (Laurence Clavius) semble perdue, oppressée, et qui la pousse vers ce destin tragique qui prend la forme du mécanicien, joué par Charles Vanel, parfait comme toujours.

On est marqué aussi par la froideur des personnages, cette manière si détachée d’affronter les crises, ou d’accueillir le pire des drames. Le personnage du mari surtout (Habib Benglia), magicien taiseux et grand lecteur, est particulièrement intriguant. Le fait qu’il soit noir (comme le titre du film d’ailleurs) n’est pas anecdotique : sa couleur de peau en fait la cible de tous les cancans de cette micro-bonne société improvisée. « Magie noire », « mari cruel »… Les rumeurs vont bon train.

La dernière image de ce film beau et angoissant vient balayer doutes et rumeurs d’un revers cinglant. Et fait éclater l’émotion qui, jusqu’à présent, était étrangement tenue à distance.

La Main au collet (To catch a thief) – d’Alfred Hitchcock – 1955

Posté : 13 février, 2018 @ 8:00 dans 1950-1959, HITCHCOCK Alfred, POLARS/NOIRS, VANEL Charles | Pas de commentaires »

La Main au collet

Peut-être est-ce à leurs films mineurs que l’on reconnaît les plus grands. La Main au collet n’a l’ambition ni de Fenêtre sur cour, ni de Sueurs froides. Mais la maîtrise d’Hitchcock y est telle que la moindre scène devient un grand moment de cinéma. Une fausse course-poursuite filmée à grands renforts de transparences devient un grand suspense. Un simple pique-nique dans une voiture devient un sommet érotique. De longs plans sur des toits déserts deviennent des moments d’angoisse…

Il y a Cary Grant, classe et irrésistible en ancien cambrioleur soupçonné par la police d’avoir « remis ça », et sur lequel Hitchcock, rigolard cette fois (contrairement à Soupçons, où les soupçons étaient sérieux), s’amuse à laisser planer un léger doute dans une poignée de scènes légères comme des bulles de champagnes : ses face-à-face avec l’agent des assurances interprété par John Williams sont particulièrement réjouissants.

Il y a Grace Kelly aussi, telle que seul Hitchcock l’a vue : derrière cette blondeur si douce et ce port si altier qui attireront l’œil du Prince voisin lors de ce tournage, lui met en valeur la jeune femme libre et hypersexuée, dont chaque regard respire le désir et un brin de provocation. Une interprète idéale pour Hitchcock, qui ne retrouvera jamais aucune actrice capable d’incarner si naturellement cette vision de la femme.

Il y a la Riviera enfin, le troisième personnage clé, ce décor de vacances qui joue un rôle si important dans le rythme et l’esthétique du film. Le drame, pour une fois, n’est quasiment jamais réellement sérieux, à de rares et courtes exceptions près. Comment pourrait-il l’être dans ce monde trop beau pour être vraiment vrai, où les riches vacanciers se font passer pour ce qu’ils ne sont pas, et portent des diamants auxquels ils ne tiennent pas.

Une récréation pour Hitchcock ? En quelque sorte, oui, une manière aussi de prendre l’air et de retrouver de grands paysages après les tournages en studios du Crime était presque parfait et de Fenêtre sur cour. La Main au collet vient clore en beauté son triptyque Grace Kelly. En associant le suspense à une légèreté, un humour et un vrai sens du mouvement, Hitchcock renoue aussi à un cinéma qui avait marqué sa période anglaise, et qu’il avait délaissé jusque là depuis son arrivée à Hollywood.

Courrier Sud – de Pierre Billon – 1936

Posté : 19 octobre, 2017 @ 8:00 dans 1930-1939, BILLON Pierre, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Courrier Sud

Ce n’est pas le premier film adapté de Saint-Exupéry (Vol de Nuit est sorti en 1933). Ce n’est pas non plus la première fois que Saint-Ex participe personnellement à un projet cinématographique (il a écrit le scénario original de Anne-Marie, film de Raymonde Bernard). En revanche, c’est la première fois que l’écrivain adapte lui-même l’un de ses romans. C’est à lui aussi qu’on doit les très beaux dialogues du film.

Courrier Sud s’inscrit dans une grande tradition du cinéma français. Une double tradition, même : celle des “films africains”, typique de ce “bon temps des Colonies” où, déjà, il semble qu’on n’était pas totalement dupe. Il y a bien des méchants sauvages, mais les gentils blancs chargés de défendre des déserts pleins de rien, ont quelque chose de profondément pathétique : notons d’ailleurs le beau personnage de Raymond Aimos en chef de fort, seul blanc échoué là, à des centaines de kilomètres de la première ville.

Autre tradition : celle de la glorification des pionniers de l’aviation bien sûr, dont Saint-Ex était : ceux qui risquaient leur vie pour acheminer le courrier et ouvrir une voie aérienne en des temps troubles, et avec une mécanique encore balbutiante. En 1936, c’est déjà un autre temps, comme le dit Saint-Ex en voix off dans l’introduction, mais un temps qui remontait alors à une dizaine d’années seulement, et auquel Joseph Kessel a consacré des pages magnifiques dans sa biographie de Mermoz.

Le héros, c’est Pierre Richard-Willm, sorte d’ancêtre de Lambert Wilson : même phrasé, même port altier, même nez solide. Un pionnier de l’aviation, donc, qui assure le transport du courrier sur la côte Ouest de l’Afrique, et qui n’attend qu’une chose: pouvoir passer quelques jours à Paris auprès de sa maîtresse. Sauf que son cousin, qui a accepté de le remplacer pour son dernier vol, s’est écrasé quelque part, et qu’il est introuvable depuis…

Il est beaucoup question du sens devoir et du sacrifice de ces hommes, véritables figures tragiques. Le film dit aussi beaucoup de la place de la femme dans cette société là, comme si les pionniers de l’aviation devaient ouvrir la voie aussi à l’émancipation des femmes. Et l’aventure est aussi trouble et dangereuse que celle des pilotes, comme le souligne la manière dont Charles Vanel, impressionnant et glaçant, « dresse » sa femme à la fin du film. Ou le personnage même de cette femme enfant, qui vit autant avec l’espoir d’une existence plus belle, que dans le regret de son enfance envolée. La figure du pilote ressemble alors presque à un fantasme enfantin.

Un beau film, passionnante et d’une remarquable fluidité, bien de son époque, mais d’une lucidité qui continue à frapper 80 ans plus tard…

L’Affaire Maurizius – de Julien Duvivier – 1954

Posté : 8 octobre, 2017 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1950-1959, DUVIVIER Julien, VANEL Charles | Pas de commentaires »

L'Affaire Maurizius

Duvivier aurait-il eu besoin d’un peu de noirceur, après avoir enchaîné trois comédies (Don Camillo, sa suite et La Fête à Henriette) ? Le cinéaste renoue en tout cas avec le pessimisme de ses meilleurs films, pour ce film de procès pas comme les autres.

Pas comme les autres parce que l’action se déroule… 18 ans après le procès dont les causes et les effets irriguent le drame. Et quel drame : Daniel Gélin, jeune homme à l’avenir prometteur, croupit en prison depuis toutes ces années pour un crime dont rien ne dit qu’il l’a vraiment commis. D’ailleurs, le jeune fils de Charles Vanel est convaincu qu’il est innocent. C’est à cause de son père si le pauvre homme a passé près de la moitié de sa vie entre quatre murs, son père qui était substitut du procureur, et qui s’est fait un nom, une réputation et une fortune grâce à ce procès. Sauf que l’autre père, celui de Daniel Gélin, a lui aussi vu sa vie basculer avec ce procès. Et pas en bien…

Passionnant film de procès, qui ne parle que des effets d’une justice pour le coup un rien expéditive. La charge n’est pas légère, et la manière dont Charles Vanel balaye le problème d’un définitif « la justice est faillible » aurait sans doute mérité un peu plus de demi-teinte. Mais les rapports pères-fils sont montrés, eux, avec beaucoup de justesse, et beaucoup d’émotion. Et beaucoup de désespoir.
La construction du film est particulièrement habile, avec ces flash-backs qui se succèdent sans linéarité, sorte de patchwork d’événements qui finissent par s’assembler pour éclaircir le mystère, comme les pièces d’un grand puzzle. Duvivier soigne particulièrement ces flash-backs, donnant à chaque période une identité visuelle propre.

Toutes les scènes qui entourent le procès sont les plus réussies, un simple halo de lumière éclairant les seuls personnages dans un cadre sombre. Une belle manière d’illustrer les faits que ces passages nous sont racontés le plus souvent par la lecture de comptes-rendus imprécis, et non par les souvenirs directs des témoins.

Duvivier apporte le même soin à tous ses personnages. Et les plus riches ne sont pas forcément les plus importants. Dans un rôle un peu en retrait, celui de la victime, Madeleine Robinson est formidable en femme mûre ayant épousé un homme trop jeune pour elle. Quant à Anton Walbrook, il s’offre un grand écart déroutant, entre le jeune homme élégant à qui tout réussit, et l’homme vieilli et négligé, à la proximité insistante avec les fillettes et tous les jeunes hommes. Étonnant…

123
 

Kiefer Sutherland Filmographie |
LE PIANO un film de Lévon ... |
Twilight, The vampire diari... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | CABINE OF THE DEAD
| film streaming
| inderalfr