Thunder road (id.) – d’Arthur Ripley – 1958
Même s’il n’est pas totalement abouti, il y a une belle ambition et une atmosphère vraiment originale dans ce drôle de film noir, ultime réalisation d’un cinéaste qui n’aura signé qu’une poignée de longs métrages (dont le pas terrible L’Evadée). Celui-ci, d’ailleurs, est parfois attribué en partie à Robert Mitchum, star, producteur, auteur de l’histoire originale et co-auteur de la chanson principale.
L’acteur s’offre un rôle assez différent de son emploi habituel dans le genre : un chauffeur, ou plutôt un transporteur, chargé d’amener à bon port l’alcool fabriqué clandestinement par son père, et par ses aïeux depuis des générations. Un « métier » à hauts risques, dont il s’est promis de garder à bonne distance son petit frère, joué par… le fils de Mitchum.
Le fils de Mitchum qui interprète le frère de Mitchum ? A priori, il faut reconnaître que ça colle plutôt bien : ces deux-là ont clairement un air de famille, et la différence d’âge est évidente mais pas flagrante au point d’imposer le saut d’une génération. N’empêche : le simple fait de savoir qu’ils ne sont pas frères, mais père et fils, crée un sentiment bizarre qui pèse un peu sur leurs nombreuses scènes communes.
Cette curiosité mise à part, il y a une belle atmosphère dans ce film qui oscille constamment entre le film de genre et la peinture sociale d’une vallée oubliée par le progrès, dont les habitants cherchent à retenir les vieilles habitudes, contre l’irruption violente de l’ordre et de la modernité.
Ripley n’est pas un immense cinéaste, et tout n’est pas parfait dans son film. Les scènes de jour sont ainsi, pour la plupart, assez plates et molles. Mais dès que la nuit se fait à l’écran, il se produit une sorte de miracle. Comme si l’obscurité ôtait toute contrainte au réalisateur, qui s’autorise alors des pauses fascinantes et magnifiques.
Une série de gros plans à la lueur d’un feu lors d’un conciliabule sous haute tension. Un face-à-face romantique et lourd de présages lors d’une soirée pluvieuse. L’ultime regard de deux frères qui se savent à l’heure des adieux. Ou la vision lointaine d’une lente cohorte de voitures dont on ne voit que les phares allumées, et dont on sait qu’elles transportent ce qui reste de l’être aimé… Inégal et parfois maladroit, Thunder Road est surtout habité par ce genre de scènes belles et mélancoliques.