Des pas dans le brouillard (Footsteps in the fog) – d’Arthur Lubin – 1955
Arthur Lubin est un réalisateur qu’on aime bien pour des raisons un peu secondaires. Pas pour son ambition démesurée de cinéaste, vouée au duo comico-lourdingue Abbott et Costello et à l’inépuisable série des Francis, le mulet qui parle. Mais pour avoir été le premier à donner sa chance au jeunot Clint Eastwood, à qui il a confié quelques petits rôles anodins (Escapade au Japon) ou croquignolets (il faut voir La VRP de choc uniquement pour les sourires béats de Clint).
Bref, son cinéma est, pour être gentil, loin d’être renversant. Pesant, même, la plupart du temps. Surtout lorsqu’il se lance dans l’exotisme ou les grands espaces, aspects qui semblent immanquablement plomber son cinéma. Pourtant, un petit miracle se produit de loin en loin. On lui doit ainsi une version du Fantôme de l’Opéra à la bonne réputation, et un film noir méconnu mais fort sympathique, Impact. Des pas dans le brouillard pourrait bien être son chef d’œuvre.
C’est d’autant plus remarquable que le film est tourné entre deux Francis, à une époque où Lubin affirme clairement sa vocation de réalisateur de comédies familiales sans aspérités. Tout le contraire de ce « film noir victorien » loin d’être parfait, mais fascinant et étrangement dérangeant. Point de grands espaces ici : entre les salons feutrés du Londres des privilégiés et les rues baignés de brouillard, Lubin filme constamment en espaces clos, ce qui lui réussit particulièrement bien.
Il est aidé, il est vrai, par une photo absolument superbe (signée Christophe Challis): une image quasi-monochrome qui donne une élégance et une atmosphère mystérieuse et fascinante à cette histoire. Histoire dont on se dit d’abord, lors de cette superbe séquence d’ouverture (formidable travelling qui nous conduit au pied d’un impressionnant et dérangeant tableau), qu’elle est une sorte de variation autour du thème maintes fois emprunté de Rebecca.
Un riche veuf (Stewart Granger), sa jeune et belle gouvernante (Jean Simmons), et une épouse décédée trop présente… Le parallèle semble évident. Sauf que, très vite, le film prend une toute autre dimension. On pourrait mettre toute le crédit de la réussite du film au chef op et aux scénaristes, mais ce serait injuste : Lubin réussit parfaitement tous les moments clés du film, avec simplicité et efficacité. Un sourire de Granger en contre-champs du tableau de la défunte… Un meurtre dans la brume londonienne… Lubin installe un climat inconfortable et bouscule constamment le spectateur.
La réussite du film repose aussi sur le « couple » principal. Entre Jean Simmons et Stewart Granger (mariés à la ville, à cette époque), on ressent constamment à la fois un érotisme trouble, et un décalage brutal. Comme si le désir sexuel et celui de tuer cohabitaient… Un film victorien, sans doute, mais surtout un film noir. Très noir.
* DVD dans une nouvelle collection au titre curieux « Film noir, femme en danger », chez Sidonis/Calysta, avec des présentations passionnées de Bertrand Tavernier, François Guérif et Patrick Brion.