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Archive pour la catégorie 'FILMS MUETS'

Juve contre Fantômas – de Louis Feuillade – 1913

Posté : 27 février, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1895-1919, FEUILLADE Louis, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Juves contre Fantômas

Deuxième volet des aventures du commissaire Juve et du journaliste Fandor traquant Fantômas, l’insaisissable bandit. Insaisissable est le terme juste, tant les occasions d’attraper ce génie du crime se succèdent. Tueur, voleur, arnaqueur, Fantômas est aussi un type malin, qui sait se cacher dans l’endroit le plus en vue d’une pièce. Un type bien entouré, dont les complices suivent à la trace ceux qui le suivent à la trace. Un type chanceux aussi, qui sait jouer des maladresses de ses poursuivants.

Mais là où le film est le plus réjouissant, c’est dans sa manière de mettre en scène l’audace du gars. Dans un déguisement qui ne trompe personne, Fantômas déjeune dans un cabaret de Montmartre où il est cueilli par Juve et Fandor. Escorté par les deux hommes qui le tiennent fermement par les bras, il semble résigné, mais se libère d’un coup en abandonnant son manteau… et ses bras : des membres factices destinés à faciliter son évasion. Et dix minutes plus tard, il revient tranquillement s’attabler dans le cabaret, là où il sait bien que les policiers n’auront pas l’idée d’aller le rechercher.

C’est amusant, plein de rythmes et de rebondissements. Les scènes les plus spectaculaires sont aussi celles qui ont le plus mal vieilli, quand même : celle du wagon fou paraît bien molle, et on a bien du mal à ressentir le danger dont se sortent les héros en se glissant dans un baril roulant pour échapper un incendie qui devrait être infernal. Mais bon… Le film a été tourné il y a plus d’un siècle, et reste franchement trépidant. Tout en offrant des visions fascinantes et si vivantes d’un Paris qui n’existe plus depuis bien longtemps.

C’est aussi là que réside le plaisir que procure le film de Feuillade : dans ces séquences « volées » dans les rues de la capitale. Et qu’importe si un train quitte Paris pour se retrouver quelques minutes après en pleines hautes montagnes, il y a une vérité pleine de nostalgie qui se dégage de ces scènes tournées en décors réels, avec de « vrais gens ».

La Série des Fantômas, de Louis Feuillade

  1. Fantômas : à l’ombre de la guillotine
  2. Juve contre Fantômas
  3. Le Mort qui tue
  4. Fantômas contre Fantômas
  5. Le Faux magistrat

Fantômas : à l’ombre de la guillotine – de Louis Feuillade – 1913

Posté : 24 février, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1895-1919, FEUILLADE Louis, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Fantômas A l'ombre de la guillotine

Deux ans seulement après la sortie du premier roman à succès de Pierre Souvestre et Marcel Allain (une cinquantaine d’autres livres suivront), et bien avant les films de Paul Fejos, Jean Sacha, Robert Vernay, ou bien sûr André Hunebelle, Louis Feuillade est le premier à filmer le personnage mythique de Fantômas, génie du crime insaisissable. Et par la même occasion, il entre dans la légende du cinéma, s’imposant comme le plus grand réalisateur de genre en France, après avoir signé des dizaines (des centaines?) de bobines plus ou moins inspirées, comme la longue série des Bout de Zan.

Fantômas précède les tout aussi mythiques Vampires dans la filmographie de Feuillade. Et la réussite est au moins aussi frappante. Les Vampires deviendra le fleuron du « serial » à la française. Fantômas n’est pas exactement sur le même registre : ce n’est pas à proprement parler un serial, mais cinq longs métrages plus ou moins dépendants les uns des autres, que Feuillade réalise entre 1913 et 1914.

Ce tout premier film met d’emblée dans le bain, avec une maîtrise totale du rythme et de la tension (on est en 1913, rappelons le, et l’art cinématographique reste largement balbutiant) . Avec une caméra encore totalement fixe et un montage réduit à sa plus simple expression (une scène – un plan – un axe), Feuillade donne une étonnante sensation de mouvement, grâce à une mise en scène hyper-dynamique qui joue très habilement sur la profondeur de champs, sur le danger que le spectateur sait présent même s’il est hors cadre.

Le film introduit donc le personnage de Fantômas, malfaiteur que l’on découvre voleur dans un grand hôtel, puis meurtrier d’un riche lord. On découvre également sa Némésis, l’inspecteur Juve, toujours un coup d’avance sur les autres représentants de la loi. Heureusement d’ailleurs, parce que sans la sûreté de son regard, l’histoire se dirigeait allégrement vers un dénouement digne d’un film d’horreur, que la tension imposée par Feuillade rend tout à fait crédible, grand suspense qui occupe toute la dernière partie de ce premier film.

Un premier film en guise d’introduction, qui promet de nouvelles aventures, et une traque pleine de rebondissements. Plus d’un siècle après la sortie en salles, ce premier Fantômas reste franchement réjouissant, et donne une furieuse envie de se plonger dans les suites. Comme les spectateurs de 1913, qui ont réservé un triomphe naturel au film, premier chef d’œuvre de Feuillade.

La Série des Fantômas, de Louis Feuillade

  1. Fantômas : à l’ombre de la guillotine
  2. Juve contre Fantômas
  3. Le Mort qui tue
  4. Fantômas contre Fantômas
  5. Le Faux magistrat

La femme de nulle part – de Louis Delluc – 1922

Posté : 3 janvier, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, DELLUC Louis, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

La Femme de nulle part

Une grande maison isolée dans la campagne ; une jeune femme dont on sent qu’elle rêve d’une vie plus palpitante que ce quotidien de mère de famille, mariée à un homme qui n’a pas le profil du prince charmant ; une autre femme qui arrive, le pas lourd, le poids du malheur sur les épaules…

Cette inconnue, c’est Eve Francis, l’épouse et muse de Louis Delluc, qui en fait des tonnes, toute en gestuelle excessive, véritable tragédienne à l’ancienne. Face à elle, Gine Avril (actrice très éphémère qui n’a tourné que cinq films entre 1921 et 927) est plus en retenue, avec un jeu plus sobre et plus moderne. Pas sûr que ce soit voulu, mais la confrontation de ces deux jeux d’actrices, de ces deux générations qui se répondent et se répètent, est l’une des belles choses qui reste du film.

Il reste aussi quelques scènes de foules, sans doute volées dans des décors réels : les regards face caméra de quelques badauds en atteste. C’est aussi là que le film trouve tout son intérêt : dans sa manière de filmer une gare italienne, le port de Gênes, ou un cabaret grouillant de vie.

L’histoire elle-même paraît bien anodine aujourd’hui, avec son drame étiré à l’envi. Partira ? Partira pas ? Zat is ze kwestion. La jeune femme suivra-t-elle son amant, comme la visiteuse l’a fait bien des années avant elle ? Abandonnera-t-elle mari et enfant pour vivre la passion ? Ou se laissera-t-elle guider par la raison ? Suivra-t-elle ses impulsions de jeune femme, ou écoutera-t-elle la voix de cette inconnue qui apparaît comme une conscience incarnée, qui elle-même hésite sur le conseil à donner ?

Suspense insoutenable, dont je ne dévoilerai pas le dénouement ici. Soulignons quand même que la décision finale est prise lors d’une scène d’une cruauté quand même assez incroyable, promesse d’une belle vie de traumatisme pour la gamine qui traverse le film tel un fil rouge sensible, ou le rappel des enjeux du drame.

Si le film accuse son presque siècle, il reste un vrai plaisir de découvrir (tardivement, je le concède) le cinéma de Louis Delluc, dont on ne connaît plus guère aujourd’hui que le prix auquel il a donné son nom. Malgré un rythme inégal, et des cartons un rien trop explicatifs, il y a dans ce film quelques jolis moments, une belle manière d’utiliser les décors naturels surtout, qui donne envie d’en découvrir plus.

Le Singe qui parle (The Monkey talks) – de Raoul Walsh – 1927

Posté : 18 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, WALSH Raoul | Pas de commentaires »

Le Singe qui parle

Voilà une curiosité à plus d’un titre. D’abord parce que le film est particulièrement méconnu dans l’œuvre foisonnante de Raoul Walsh, et qu’il n’en reste qu’une copie légèrement incomplète et surtout en très mauvais état. Et puis parce qu’on se demande un peu ce que Walsh est venu faire dans cette entreprise si improbable.

En fait non, on imagine bien ce qui a pu séduire le cinéaste : cette amitié indéfectible entre hommes, qui donne d’ailleurs sans doute le plus beau plan du film. Un plan tout simple, d’une sobriété qui tranche radicalement avec l’exubérance générale : l’un des personnages principaux qui jure à son meilleur ami, en lui posant une main sur l’épaule, que lui-même ne déclarera pas sa flamme à la femme qu’ils aiment tous les deux tant que l’autre n’aura pas pu retirer son masque de singe…

Et là je sens bien qu’il est temps d’évoquer l’histoire de The Monkey talks. On a donc quatre hommes qui se retrouvent sans le sou après que la police a saisi le cirque dans lequel ils travaillaient, et qui décident de s’unir à la vie à la mort autour d’une idée géniale : et si on faisait passer l’un de nous pour un singe qui parle ? Fortune assurée… On appelle ça une idée « What the fuck », et c’est un Français qui l’a eue : René Fauchois, l’auteur de la pièce (à succès), qui sera aussi celui de Boudu sauvé des eaux.

Avec un tel postulat, difficile de prendre le film vraiment au sérieux. Surtout que le dernier tiers est une succession de rebondissements plus improbables encore. On y voit un vrai singe par lequel des jaloux aigris remplacent le faux. Le vrai singe qui s’échappe très habilement, libère un lion féroce, et agresse la jolie héroïne de l’histoire… On assiste à ça assez fasciné, un peu par le rythme impeccable (on n’en attend pas moins de Walsh), beaucoup par ce grand n’importe quoi totalement revendiqué.

Pourtant, The Monkey talks ne penche jamais vraiment du côté de la franche rigolade. Ce qui domine malgré tout, et c’est là surtout qu’on reconnaît la touche du cinéaste, c’est la force de cette amitié masculine qui tremble à peine devant les charmes pourtant bien réelles des deux personnages féminins : la douce Olive Borden (vue l’année précédente chez Ford dans Trois sublimes canailles), et la vile Jane Winton (second rôle dans L’Aurore), toutes deux également sexy.

Les plus beaux moments du film n’évoquent d’ailleurs clairement pas la comédie : un superbe travelling vertical très romantique, ou une attaque filmée de manière très dramatique en ombre chinoise… The Monkey talks est une œuvre bien mineure dans la carrière de Walsh. Mais même là, l’intensité de son regard est bien présente.

Une gamine charmante (The Patsy) – de King Vidor – 1928

Posté : 3 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, VIDOR King | Pas de commentaires »

Une gamine charmante

Voilà un Vidor totalement inattendu. Léger, charmant et drôle : des mots que l’on n’associe pas forcément immédiatement à l’œuvre du cinéaste, souvent nettement plus sombre et engagé. Vidor sort d’ailleurs de La Foule, l’un de ses chefs d’œuvre, film social et engagé d’une ampleur rare, où la légèreté n’est pas vraiment de mise. The Patsy, avec lequel il enchaîne la même année, a donc tout d’une simple récréation.

C’est un peu rapide : cette « récréation » dévoile surtout le talent insoupçonné de Vidor pour la comédie, qu’il filme avec la même intensité, la même science du rythme et de la dramaturgie que ses grands drames. L’histoire, pourtant, semble réduite à la plus grande simplicité, débarrassée de tout artifice dramaturgique trop facile. C’est donc d’une simplicité confondante.

Une toute jeune femme, amoureuse du fiancée de sa sœur. Sœur pas sympa d’ailleurs, qui prend un malin plaisir, tout comme leur mère, à harceler et martyriser la pauvrette, défendue timidement par un papa gentiment soumis. Et le fiancé ? Il n’a d’yeux, comme tous les hommes, que pour la méchante sœur, la trop douce héroïne passant presque inaperçue.

Elle est pourtant charmante, cette jeune femme, incarnée par Marion Davies, la pauvre starlette réduite à jamais dans l’histoire du cinéma à la maîtresse de William Randolph Hearst. The Patsy prouve qu’elle est bien plus que ça : une vraie actrice, une star en puissance même, craquante et pleine de malice, frêle silhouette qui dévore l’écran face à la sœur interprétée par Jane Winton, et tout le reste du casting.

Il y a aussi Marie Dressler, l’imposante, le dragon, gargantuesque comme toujours en mère castratrice et odieuse. Une relecture tout à fait crédible de la marâtre de Cendrillon… A ceci près que le prince charmant est à baffer, et que Vidor est un humaniste que rien n’intéresse tant que les sursauts de bonté des plus affreux de ses personnages.

The Patsy est donc un film vraiment léger, triangle amoureux plein de drôlerie, véritable tourbillon superbement réalisé par un Vidor qui ne renonce en rien à ses ambitions esthétiques avec cette bluette. Un travelling savant dans un club, le parallèle très évocateur de deux couples en formation à bord d’un yacht pour l’un et d’un canot à rames pour l’autre, des imitations saisissantes de quelques stars de cinéma (dont Lilian Gish, pour qui Vidor avait une passion)… Léger et presque anodin sur le fond, The Patsy est une merveille, digne des grands classiques du cinéaste.

Terje Vigen (id.) – de Victor Sjöström – 1917

Posté : 1 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1895-1919, FILMS MUETS, SJÖSTRÖM Victor | Pas de commentaires »

Terje Vigen

En 1917, Sjöström n’est pas un débutant : il a déjà une quinzaine de longs métrages à son actif, qui ont déjà fait de lui le plus grand cinéaste suédois de sa génération. L’un des plus grands de l’histoire d’ailleurs. Mais il n’a pas encore la carrure internationale que ce Terje Vigen allait lui apporter : une production inhabituellement ambitieuse, l’adaptation d’un long poème du Norvégien Henrik Ibsen, et surtout un chef d’œuvre très en avance sur l’immense majorité des films de cette période.

Car en 1917, le cinéma reste très majoritairement tâtonnant, peaufinant peu à peu l’art de la mise en scène et du langage cinématographique dans le sillage de quelques visionnaires, dont on retient surtout les chefs de file américain, Griffith ou De Mille. C’est un peu vite oublier le reste du monde, bien sûr. Et Sjöström, comme Murnau un peu plus tard, allait en remontrer aux grands noms hollywoodiens, souvent pris en modèle, avant de s’imposer lui-même dans la capitale du cinéma (à partir de Larmes de clown, en 1924).

C’est avec ce Terje Vigen que Sjöström a commencé à taper dans l’œil des Américains. Parce que le cinéaste maîtrise alors déjà parfaitement son art : un sens du cadre, une manière de faire naître la tension ou l’émotion de la lumière et du contre-jour, et de filmer ses personnages dans leur environnement. La mer en l’occurrence, omniprésente, presque de chaque plan, un personnage à part entière, à la fois refuge et source de danger.

Oui, la longue séquence finale dans la tempête peine à convaincre, parce qu’on a du mal à y voir une tempête justement. Le cinéma reste un art très jeune, et on ne parle pas encore d’effets spéciaux. On excuse donc facilement à Sjöström et à son équipe de ne pas avoir réellement risquer leurs vies en tournant dans une vraie tempête. Mais quand même, la mer semble bien calme pour rendre palpable le danger immédiat.

Mais il y a le rythme aussi, implacable et novateur. Le récit est vif et plein de rebondissements, dignes d’un serial. Mais Sjöström choisit le plus souvent de prolonger ses plans juste un peu trop , créant ainsi un suspense, une tension, une panique même, par moments. Une dimension tragique en tout cas, qui trouve son apogée lors de la poursuite en canots, où la fuite désespérée de Terje Vigen (Sjöström lui-même) est mise en parallèle avec ses poursuivants anglais implacables, avec des gros plans sur les bras de l’un et des autres ramant de toutes leurs forces.

Les quelques minutes qui suivent, où les soldats anglais traquent leurs proies en scrutant la surface de l’eau autour de leur embarcation, sont d’une force et d’une intensité incroyables. Une force que l’on ressent de la première à la dernière image. Sjöström a longtemps hésité avant de porter à l’écran l’œuvre d’Ibsen. En adaptant Terje Vigen, l’histoire d’un marin suédois dont la famille est une victime collatérale des guerres napoléoniennes, il signe un chef d’œuvre, et s’impose comme un immense cinéaste international.

Faiblesse humaine (Sadie Thompson) – de Raoul Walsh – 1928

Posté : 25 novembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, WALSH Raoul | Pas de commentaires »

Sadie Thompson

Walsh n’est pas qu’un cinéaste de l’action et de l’amitié virile. Il peut aussi se montrer très à l’aise pour filmer des portraits de femme, comme avec ce très beau Sadie Thompson, adaptation d’un récit de Sommerset Maugham, et l’un de ses derniers films muets. Sadie Thompson, c’est la grande Gloria Swanson, jeune femme délurée (ce qui veut dire qu’elle est sans doute une ancienne prostituée) qui débarque de San Francisco sur une petite île du Pacifique, où elle tombe amoureuse d’un militaire et subit de courroux d’un pseudo-pasteur réformiste qui veut chasser cette fille de petite vertu…

L’humain contre la bigoterie… Walsh a vite choisi son camp, et fera in fine de l’affreux moraliste un monstre d’hypocrisie. Ce qui, paradoxalement, permettra au cinéaste de se raccrocher à une certaine ferveur religieuse très américaine, avec cette notion de rédemption qui n’est jamais prise à la légère à Hollywood. Mais l’essentiel est ailleurs. Dans la confrontation de cette rigueur inhumaine incarnée par Lionel Barrymore, et de cette liberté d’une modernité folle que représente Gloria Swanson.

On le sent fasciné par la belle, Walsh, qui s’offre d’ailleurs le rôle majeur de O’Hara, le coup de cœur de Sadie. Il la filme avec une vivacité de chaque plan (jusqu’à la dernière partie en tout cas), soulignant de sa caméra la sensualité si en avance sur son temps, l’indépendance de cette femme qui refuse de se plier au regard des autres. Gloria Swanson est une actrice formidable, ce n’est pas une nouveauté. Mais Walsh, plus encore que son réalisateur fétiche Cecil B. De Mille, sait capter en elle l’insolence, la fausse insouciance, et cette beauté farouche qui n’a rien perdu de son caractère de fascination, près d’un siècle plus tard. Sadie Thompson est l’un de ses plus beaux rôles.

Il manque hélas la quasi-totalité de la dernière bobine. Mais le film a été restauré dans les années 1980, avec un montage de photogrammes qui permet de suivre la conclusion de l’histoire, ainsi qu’une très belle musique symphonique. Cette fin un peu tronquée a le mérite d’exister, même si elle nous prive un peu brutalement de la belle tension dramatique qui s’était installée.

Il y a effectivement une grande tension dans ce drame qui ne fait pas toujours dans la dentelle. Une tension alimentée par le regard froid du bigot en chef, par celui tout perdu de Gloria Swanson, et par quelques belles idées de mise en scène : ces plans successifs sur le toit battu par la pluie, superbes ellipses rudement évocatrices. Rythmé et intense, du pur Walsh, déjà.

La Maison du Mystère – Alexandre Volkoff – 1922

Posté : 8 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1920-1929, FILMS MUETS, VANEL Charles, VOLKOFF Alexandre | Pas de commentaires »

La Maison du mystère 1

Alexandre Volkoff (réalisateur) et Ivan Mosjoukine (acteur) font partie de ces Russes blancs exilés en France après 1917, qui ont fondé Albatros, enthousiasmante maison de production à qui on doit quelques-uns des meilleurs films de l’époque, films dont les équipes étaient majoritairement russes, mais qui sont pour la plupart très ancrés dans la culture française.

C’est le cas de ce formidable serial en dix épisodes, chef d’œuvre qui évite tous les pièges trop souvent associés au genre : rebondissements téléphonés, personnages caricaturaux, situations improbables. Il y a des tonnes de rebondissements, des drames, du suspense, de l’action aussi, et des émotions qui vous emportent. Il y a aussi et surtout une profondeur, une justesse et une intensité qui ne retombe jamais au fil des épisodes, à la fois cohérents et constamment surprenants.

Volkoff, cinéaste que je découvre, apparaît aussi comme un formidable formaliste, dont chaque plan est admirablement construit, et qui utilise la lumière d’une manière particulièrement forte. La Maison du mystère, grand film dont les 6h30 s’avalent avec gourmandise et passion.

1. L’ami félon

Ça commence comme un marivaudage très léger : le jeune et riche propriétaire d’une usine textile peine à demander la main de la femme qu’il aime… qui finira par le faire à sa place. Le ton est au badinage, voire à la comédie : les mimiques gênées du jeune amoureux (Ivan Mosjoukine), le temps que Volkoff accorde à cette parade prénuptiale… et même un trucage inattendu (images montées à l’envers) qui permet au fiancé de littéralement bondir sur la selle d’un cheval.

La première partie est légère, et permet de présenter le décor et les personnages. La seconde met en place les tensions, et le drame qui se noue. Un triangle amoureux en l’occurrence, le gérant et ami d’enfance du héros étant amoureux de la même femme (Hélène Darly), et rêvant de briser le couple. Le félon, c’est Charles Vanel, le regard torve et la lippe haineuse, qu’on découvre prêt à lâcher un molosse sur un pauvre mendiant et son fils. C’est dire s’il est méchant.

Entre ces deux parties, la noce, illustrée par une suite de tableaux en ombres chinoises, absolument magnifiques, et totalement coupés esthétiquement du reste du film. Une parenthèse très séduisante qui souligne bien l’ambition esthétique du film, et ces parti-pris qui peuvent manquer de cohérence, mais qui ne manquent pas d’audace. On retiendra aussi, dans un style à peu près contraire à ces espèces d’estampes japonisantes, une belle utilisation de la lumière naturelle, plongeant le couple dans un beau contre-jour, ou le « félon » dans une pâture baignée de soleil.

2. Le Secret de l’étang

Le drame se noue plus intensément dans ce deuxième épisode plus court, et plus condensé. Beaucoup de mouvements, beaucoup de suspense… Ce qui frappe le plus, c’est alternance de scènes d’intérieur dans de vastes décors un peu vides, et des extérieurs où la végétation et la nature en général jouent un grand rôle, particulièrement autour de l’étang dont les hautes herbes semblent coupées de la réalité. La lumière naturelle est vive, et éclatante. Elle contribue étrangement à distiller un malaise grandissant.

3. L’Ambition au service de la haine

Très sombre troisième partie. Notre héros réalise que tout l’accuse du crime qui a été commis, tandis que le vrai criminel tente de se débarrasser d’un maître chanteur… Charles Vanel, dont on a l’impression d’entendre la voix si reconnaissable dès qu’il ouvre la bouche, se transforme littéralement sous l’effet de la haine et de la folle détermination. Le couple Hélène Darly Ivan Mosjoukine prend quant à lui des allures expiatoires, elle en madone au chevet d’un enfant, lui dans une position très christique…

La Maison du mystère 2

4. L’Implacable verdict

L’intensité ne fait que croître, sans que jamais Volkoff et Mosjoukine (co-scénariste) ne cèdent à la facilité de rebondissements trop attendus. La série prend le pas de s’intéresser à chaque personnage, et de montrer comment le drame qui s’est noué à influer sur eux. Volkoff garde épisode après épisode la même exigence, la même ambition esthétique. L’utilisation des lumières, naturelles ou artificielles, reste exemplaire, et les recherches formelles sont constantes à l’image de l’arrestation de Julien, filmée par une brusque plongée spectaculaire illustrant l’étau qui se referme sur lui.

5. Le Pont vivant

Outre une superbe utilisation de la lumière, il faut aussi attribuer à Volkoff un grand sens du rythme et de la narration. Ce cinquième épisode, en particulier, témoigne d’une immense maîtrise narrative, dans la spectaculaire évasion de Julien Villandrit, que l’on voit certes venir, mais qui fait plus que tenir ses promesses. La manière dont il filme (et monte) la course-poursuite entre le train et les gardiens, et l’utilisation qu’il fait des décors rocheux, sont franchement impressionnantes jusqu’à cet improbable « pont vivant » qui donne son titre à l’épisode.

Tellement haletant, inventif et passionnant qu’on pardonne bien volontiers quelques petites facilités scénaristiques : la découverte du journal découpé (comment a-t-il pu ne pas le détruire ???), ou le chapeau malencontreusement oublié… Des détails, franchement, au regard de la réussite de l’ensemble.

6. La Voix du sang

Après l’action du trépidant épisode précédent, place à l’émotion. Julien retrouve sa fille dans une très longue séquence d’une beauté déchirante, dont la dernière partie n’est filmée qu’en gros plans qui font un bien fou. Après les retrouvailles viennent l’heure des séparations déchirantes : la déclaration de guerre, les personnages principaux qui s’engagent tous d’une manière ou d’une autre, et les années qui défilent de 1914 à 1919 comme un enchaînement d’images déshumanisées, en quelques minutes à peine, mais qui font ressentir le poids, une fois encore, du temps qui passe si cruellement… Dans l’épure et l’ellipse aussi, La Maison du Mystère est une grande réussite.

7. Les Caprices du destin

Les masques tombent, Julien renoue avec ses grands amours perdus, et le spectateur verse toutes les larmes de son corps dans cet épisode poignant et intense. Une fois encore, le destin (et les quelques raccourcis scénaristiques déjà évoqués) ramène notre héros sur les lieux de son passé. Sous les traits, inattendus, d’un clown qui perd totalement contenance lorsque son regard croise ceux de sa femme et de sa fille hilares, assises près de celui qui lui a pris sa vie (Vanel, donc).

Il y a à la fois du Borzage et du Browning dans ces passages-là, romantiques et marqués par le sceau du destin. Le marivaudage de la fillette devenue jeune femme et de son fiancé devant une affiche arborant l’immense visage du père méconnaissable est ainsi déchirant. Comme les regards échangés, comme les retrouvailles tant de fois reportées. Comme les embrassades, enfin, superbes.

8. Champ clos

Retrouvailles, suite. La tragédie, l’attente, la libération. Superbe épisode, encore une fois, où Volkoff entremêle plus que jamais l’intensité du drame humain et le suspense du film de genre. A l’extase des retrouvailles succède ainsi un face-à-face sous haute tension entre les deux antagonistes de l’histoire, et une longue et puissance bagarre à mains nus, qui se termine sur un à-pic impressionnant. Modèle de mise en scène et de montage, encore une fois. Modèle d’intensité dramatique aussi, qui ne fait que s’accroître au fil des épisodes.

9. Les Angoisses de Corradin

Drames humains, suspense, beauté des cadresLe rythme s’emballe au fur et à mesure que la conclusion se rapproche. Charles Vanel abandonne définitivement sa suavité pour ne plus laisser apparaître que son caractère retors, qui domine lors d’une séquence sous haute tension dans les ruines du château.

Et puis il y a la beauté et la force des images, ces cadrages qui donnent tant d’importance à la profondeur de champs et à la lumière. C’est particulièrement fort dans la maison de Rudeberg, lorsque le vieux jardinier prend une décision majeure tandis que, à l’arrière-plan, son fils adoré est en plein tourment.

10. Le Triomphe de l’amour

Un travelling avant qui se termine en gros plan sur le visage de Christiane, la fille devenue grande du héros. Le même plan qui s’éloigne… Trois fois rien, vraiment, un simple mouvement d’appareil tellement discret, mais qui en dit plus que tous les dialogues sur les tourments de la jeune femme. Le serial est plein de ces moments d’une modernité folle, jamais tape-à-l’œil, toujours au service de l’histoire et de l’émotion.

De bout en bout, jusqu’à une dernière séquence formidable (ce plan de Corradin s’éloignant à l’arrière plan, entre deux gendarmes), Volkoff aura réussi à maintenir à la fois le rythme et l’intensité de son histoire, et un style inventif et moderne, d’une fluidité remarquable. Grand serial. Grand film tout court.

La Rédemption de Rio Jim / Le Repentir de Rio Jim (The Return of Draw Egan) – de William S. Hart – 1916

Posté : 3 novembre, 2021 @ 8:00 dans 1895-1919, FILMS MUETS, HART William S., WESTERNS | Pas de commentaires »

Le Repentir de Rio Jim

J’ai toujours vu William S. Hart comme une espèce de modèle de Randolph Scott : un cow-boy au visage rude et austère, dont se dégage pourtant une étrange bonté. Un héros marmoréen au cœur pur, quel que soit son passé. Ce « retour de Draw Egan » confirme en tout cas que dans la longue liste des cow-boys des premières heures du western, il est d’une modernité déjà étonnante.

Oh ! Non pas que son cinéma n’ait pas pris quelques rides par-ci, par là. Il y a ainsi quelques gestes théâtraux qu’on n’imagine plus filmer depuis pas loin d’un siècle, une manière par moments de surjouer les sentiments dans des gros plans très évocateurs. Certes.

Mais Hart a non seulement un charisme dingue. Il est aussi un authentique cinéaste, qui sait tenir son récit, y insuffler de la vie et une authentique vérité, et y mettre du style. Quand son personnage prévient son adversaire qu’ils se retrouveront à la tombée du soleil, la séquence d’attente met réellement en scène cette lumière baissante, qui donne une belle atmosphère au film. Un court travelling arrière aussi, puis Hart s’avançant d’un pas décidé vers la caméra jusqu’à un très gros plan… Autant de moments qui tranchent avec l’anonymat de tant que westerns de cette époque.

L’histoire semble particulièrement classique aujourd’hui : un bandit recherché par tous se réfugie dans une petite ville où il devient shérif, tombe amoureux d’une jeune femme de bonne famille, et se construit une nouvelle vie jusqu’à l’arrivée d’un ancien complice… Une histoire qui ne cessera d’être déclinée à travers l’histoire du genre, et à laquelle Hart apporte déjà quelque chose de précieux. Une vérité dans les rapports humains, et un refus du spectaculaire à tout prix.

Il y a bien des scènes d’action pourtant. Le film commence d’ailleurs par une longue poursuite dans des immenses décors très joliment filmés. Mais l’action, le plus souvent, est sèche et rapide, à l’image de ce duel dans la rue, long suspense qui se conclue par une seule balle, tirée à travers un tonneau. Percutant.

L’Aigle bleu (The Blue Eagle) – de John Ford – 1926

Posté : 2 novembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, FORD John | Pas de commentaires »

L'Aigle bleu

Il y a un rythme fou dans ce muet méconnu de Ford. Moins ambitieux, certes, que les grands westerns épiques (Le Cheval de fer, Trois sublimes canailles) qu’il venait de tourner avec George O’Brien, une nouvelle fois tête d’affiche de ce qui s’apparente dans un premier temps à un drame naval sur fond de première guerre mondiale.

En fait, cette partie maritime n’est qu’un prologue, d’autant plus court que le film tel qu’il nous est parvenu est amputé d’une bobine, très prometteuse : une bataille navale qui semble fort spectaculaire, et qui se termine par un drame qui tiendra un rôle important dans la dernière partie du film.

Les bases de l’histoire, toutefois, sont bien posées : deux hommes ennemis dans le civil, deux chefs de bandes, deux rivaux amoureux de la même jeune femme, doivent ravaler leur rancœur tant que la guerre dure, d’autant plus qu’ils sont tous deux enfermés dans la même cale, alimentant les chaudières d’un navire de la marine.

Dès ces premières images, on retrouve le goût de Ford pour les relations viriles d’univers très masculins. Il y a quand même un triangle amoureux au cœur du film, et Ford reforme qui plus est le couple inoubliable de L’Aurore. Mais Janet Gaynor a beau jouer un rôle important, au moins moralement (avant même qu’elle n’apparaisse à l’écran, elle attise bien innocemment les rancœurs en envoyant des lettres aux deux rivaux), elle est reléguée aux arrière-plans.

Ford semble à vrai dire ne pas bien savoir quoi faire de cette petite jeune femme si mimi, qu’il filme comme une enfant… comme d’ailleurs les rares autres personnages féminins, à qui il n’accorde que les quelques plans strictement nécessaires à son intrigue. The Blue Eagle s’annonçait comme un triangle amoureux, mais c’est la relation entre les deux hommes qui motive visiblement Ford, passionné par les rapports masculins conflictuels, qui débouchent souvent sur de grandes amitiés.

Ce n’est pas un cas isolé dans l’œuvre de Ford. Mais cette fascination atteint des sommets ici, où tout est fait pour plonger les deux hommes (O’Brien, donc, et William Russell) dans des rapports de violence qui devraient les opposer à jamais, mais qui ne tarde pas à les rapprocher : une bagarre à fond de cale, une poignée de combats de boxe, et une espèce d’ange gardien, le Père Joe, un aumônier qui croit visiblement à la vertu d’une bonne baffe dans la gueule.

C’est ainsi qu’ils renfileront les gants, après avoir affronté ensemble, à la demande de l’homme d’église, un gang de trafiquants de drogue dont on ne verra, à peu près comme de l’armée ennemie au début du film, qu’un sous-marin aussi mortel qu’anonyme. Janet Gaynor, au moins, à un visage. Mais guère plus de présence à l’écran que les méchants, qui ne sont que des prétextes pour faire avancer la relation entre les deux hommes. Presque une épure, clairement pas le plus abouti des Ford, mais pas un poil de temps mort.

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