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Archive pour la catégorie 'FILMS MUETS'

Lucky Star / L’Isolé (Lucky Star) – de Frank Borzage – 1929

Posté : 25 octobre, 2010 @ 6:45 dans 1920-1929, BORZAGE Frank, FARRELL Charles, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Lucky Star / L'Isolé (Lucky Star) - de Frank Borzage - 1929 dans 1920-1929 lucky-star

Après Seventh Heaven et Street Angel, Borzage retrouve pour la dernière fois son couple-mythique, Janet Gaynor et Charles Farrell, pour un film beaucoup plus dépouillé et, d’une certaine manière, apaisé, mais toujours sublime. Fidèle au tournage en studio, et au génial chef décorateur Harry Oliver, Borzage place son histoire dans une campagne pauvre, mais magnifiée, entrelacs incroyable et séduisant de collines, de cours d’eau, d’arbres et de chemins tortueux.

Dans ce décor presque irréel, Borzage fait preuve d’une grande économie de moyens, et de personnages. Il ne faut que quelques séquences, magnifiques (et une bagarre mémorable au sommet d’un poteau téléphonique) pour planter le décor, et présenter les quatre personnages du film : le brave ouvrier, travailleur et courageux ; le rival, fainéant et profiteur ; la jeune femme, sauvageonne et débrouillarde ; et la mère, laborieuse et aigrie. Comme dans une tragédie grecque, l’action se cantonne à ces quatre personnages, liés par un même destin. Même lorsque la guerre éclate (nous sommes en 1914), les deux hommes se retrouvent ensemble dans les tranchées, à l’autre bout du monde. Et lorsque notre héros se retrouve paralysé, c’est à cause de son éternel rival.

Mais la partie la plus mémorable du film commence après le retour des tranchées, avec cette relation qui unit bientôt la sauvageonne et le vétéran coincé sur son fauteuil. La relation évolue radicalement lors d’une scène à tomber par terre : le héros décide d’enlever la crasse qui recouvre la sauvageonne. Alors qu’il commence à la nettoyer, il réalise brusquement que l’enfant qu’il avait connue avant la guerre est désormais une femme. Le trouble s’installe, plus rien ne sera comme avant.

Ces deux-là s’aiment, ça saute aux yeux. Et le couple Janet Gaynor/Charles Farrell, décidément l’un des plus beaux de l’histoire du cinéma, fonctionne à merveille. Plus encore, peut-être, que dans les précédents films réalisés par Borzage. Tout le film raconte la naissance de cet amour, de l’indifférence mutuelle à la passion la plus folle. Une passion qui surpassera tous les écueils, et qui poussera notre héros paralysé à se lever et à courir dans la neige, dans une scène miraculeuse, belle à pleurer, qui n’est pas sans rappeler la « résurrection » du même Farrell à la fin de L’Heure suprême, revenu d’entre les morts et fendant la foule pour retrouver la belle Janet.

Lucky Star est le dernier film muet de Borzage, le réalisateur ayant dû en tourner en parallèle une version sonorisée pour le marché américain. Ces deux versions avaient totalement disparues, jusqu’en 1990. Et fort heureusement, c’est la version muette qui est réapparue. La force des images de Borzage n’aurait sans doute rien gagné à être parasitée par des dialogues dont on se passe parfaitement.

L’Ange de la Rue (Street Angel) – de Frank Borzage – 1928

Posté : 20 octobre, 2010 @ 12:40 dans 1920-1929, BORZAGE Frank, FARRELL Charles, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

L'Ange de la Rue (Street Angel) - de Frank Borzage - 1928 dans 1920-1929 lange-de-la-rue

Les premières images de ce mélo magnifiques sont trompeuses : on songe alors immanquablement à une version italienne de L’Heure suprême, tourné l’année précédente par Frank Borzage, avec le même couple d’acteurs, Janet Gaynor et Charles Farrell. On retrouve un personnage féminin étonnamment proche, pauvre jeune femme vivant dans une mansarde insalubre, et victime d’une injustice policière. On retrouve aussi un grand décor hollywoodien : une version fantasmée des bas-fonds de Naples, comme le décor du film précédent était une vision fantasmée du Paris de 1914.

La comparaison est d’autant plus incontournable que L’Ange de la rue est une « conséquence » directe de L’Heure suprême : la Fox et Borzage cherchaient un sujet qui pouvait permettre de retrouver l’esprit (et les acteurs) du film, qui a connu un succès immense en salles, le choix se portant finalement sur une pièce de théâtre italienne.

Le film, magnifique, est pourtant très différent : alors que Diane, dans le précédent film, était l’innocence incarnée, Angela, ici, est une jeune femme au regard dur, prête à se prostituer pour trouver l’argent dont elle a besoin, et bien décidée à ne pas tomber dans le piège de l’amour. Dur, volontaire, et parfois impitoyable… Mais tout cela, bien sûr, n’est qu’une façade que la belle a dressé pour se protéger, et qui s’effondrera grâce à un jeune peintre aussi pauvre que talentueux, qui saura découvrir sa vraie personnalité. C’est lorsqu’elle découvre le portrait qu’il a fait d’elle, et où il la présente comme une vision angélique, que le masque tombe, et que les deux jeunes solitaires se trouvent enfin…

L’Ange de la Rue, curieusement, est peut-être plus dur que L’Heure suprême, même si le spectre de la guerre ne plane pas sur ce Naples d’opérette. Alors que Diane et Chico étaient mus par une foi à toute épreuve, que même la mort ne pouvait pas venir remettre en question, Angela et Gino sont séparés par le mensonge, les non-dits, et la difficulté de croire en l’autre les yeux fermés. Mais chez Borzage, l’amour est plus fort que tout, et la rédemption arrive au moment où on l’attend le moins… dans une église, dans une scène qui évoque furieusement L’Aurore de Murnau, dont Borzage était un proche, les deux hommes ne cachant pas leur admiration l’un pour l’autre.

Mélange très heureux de légèreté et de gravité, L’Ange de la Rue est un mélo sublime, porté par l’un des plus beaux couples de cinéma de l’histoire. L’alchimie parfaite qui existe entre Janet Gaynor et Charles Farrell est sublimée par la manière dont Borzage filme les séquences intimes. Elle trouve son apogée dans deux scènes extraordinaires : le dîner déchirant où Angela fait ses adieux, sans lui dire, à Gino ; et les retrouvailles douloureuses, dans la brume du port, où les deux amoureux marchent longuement, deux solitudes rongées par la rancœur ou le remord, qui se dirigent lentement l’un vers l’autre. C’est visuellement somptueux, et d’une immense force émotionnelle…

L’Heure suprême (Seventh Heaven) – de Frank Borzage – 1927

Posté : 18 octobre, 2010 @ 2:11 dans 1920-1929, BORZAGE Frank, FARRELL Charles, FILMS MUETS, FORD John | Pas de commentaires »

L'Heure suprême (Seventh Heaven) - de Frank Borzage - 1927 dans 1920-1929 lheure-supreme

Frank Borzage a déjà une solide carrière derrière la caméra (plus d’une cinquantaine de films réalisés depuis 1916) lorsqu’il signe ce chef d’œuvre ultime, qui le fait définitivement entrer dans la cour des très, très grands. On est ici dans du pur mélo, mais du mélo de classe internationale, d’une beauté inouïe, dont je vous met au défi de ressortir sans avoir versé une larme de joie ou de tristesse…

L’histoire, déjà, va très loin dans le mélodrame : un brave égoutier sauve du suicide une pauvre fille qui vit seule avec sa méchante sœur. Pour l’empêcher d’être arrêtée par la police, il affirme que la fille est sa femme, et doit donc l’emmener vivre avec lui. Peu à peu, les deux jeunes gens tombent amoureux. Mais au moment précis où le gars se décide à dévoiler son amour, il est appelé pour rejoindre l’armée française : on est à Paris, en 1914.

Toute la première partie du film raconte la rencontre des deux jeunes gens, Chico et Diane, et l’éveil de leurs sentiments. Et cette heure fait partie des plus grands moments du cinéma mondial, tout simplement. Visuellement, déjà, le film est une splendeur, tourné dans un Paris de cartes postales, entièrement reconstitué en studios : pas un Paris réaliste, mais un Paris fantasmé, tout en pierres, en ruelles, en pavés, et en vieilles affiches très art-déco. Un Paris de rêve, même si on est ici dans les bas-fonds, au sens propre comme au sens figuré : le film commence « sous » Paris, dans les égouts, où travaille le bon Chico, dont la grande ambition est de monter d’un étage, et de devenir nettoyeur de rues, « pour être avec les gens, et pas avec les rats ». Franchement, vous en connaissez beaucoup, des films, où la seule ambition du héros est de devenir nettoyeur de rue ?

Le film, qui ne s’appelle pas Seventh Heaven pour rien, n’est fait que de ces mouvements verticaux, synonymes de réussite et de bonheur : Chico qui passe des égouts à la surface, et surtout le nouveau couple qui gravit, dans un long travelling vertical sublime, les sept étages qui les conduisent à l’appartement de Chico, appartement ouvert sur le ciel, qui surplombe un Paris dont on ne voit que des toits et les flèches du Sacré Cœur et de la Tour Eiffel. Un appartement que Diane compare immédiatement au Paradis, ce qui sera d’ailleurs confirmé par l’incroyable dernier plan du film…

Cette première partie est une pure histoire d’amour, belle à pleurer, la rencontre magique de deux êtres démunis et solitaires, qui trouve son apogée avec un dialogue (muet évidemment) sublime : « Chico… Diane… Heaven… » Tellement innocent, et tellement beau…

Et la guerre éclate, séparant les amoureux ; les batailles font rage (la plupart des scènes de guerre ont été tournées par John Ford), les taxis conduisent les soldats vers la Marne… Les années passent, sur le front comme à Paris. Mais les deux amoureux continuent à se parler chaque jour, à 11h, comme par magie… Et puis la guerre prend fin, certains reviennent, d’autres pas. Et la douleur des veuves est d’autant plus grande que dehors, l’heure est à la liesse générale. Mais rien n’est jamais vraiment perdu pour ceux qui s’aiment, et qui ont la foi…

Hangman’s house / La Maison du bourreau (Hangman’s House) – de John Ford – 1928

Posté : 15 octobre, 2010 @ 5:59 dans 1920-1929, FILMS MUETS, FORD John, WAYNE John | Pas de commentaires »

Hangman's house / La Maison du bourreau (Hangman's House) - de John Ford - 1928 dans 1920-1929 hangmans-house

John Ford n’a pas attendu L’Homme tranquille pour aimer l’Irlande. Avec ce film muet très sympathique, l’immense cinéaste, ici en mode mineur, nous livre déjà une belle ode à la verte Albion. Cette volonté de mettre en valeur l’Irlande donne d’ailleurs les meilleures séquences de ce film sympathique : le retour au pays du « Citoyen Hogan », indépendantiste recherché par les autorités, qui avait trouvé refuge dans la Légion Etrangère, et qui revient pour venger sa sœur, abandonnée par son fiancé. Ce retour est l’occasion pour Ford de signer quelques très jolis plans bucoliques, d’une Irlande baignée dans la brume, où les habitants semblent tous issus du même clan : malgré son déguisement, le « Citoyen Hogan » est immédiatement reconnu par les villageois et les paysans qu’il croise sur son chemin.

Sa vengeance se mêle bientôt à une histoire d’amour contrariée : l’homme qu’il recherche vient d’épouser la fille de l’ancien juge du comté, surnommé le bourreau pour avoir condamné à mort un nombre incroyable de personnes (alors qu’il est gravement malade, le « bourreau » aura une vision hallucinée et très marquante des condamnés qu’il a conduits à la mort, visages déformés par la mort qui apparaissent dans le feu de sa cheminée). La jeune femme n’accepte le mariage que pour respecter la volonté de son père mourant, mais elle en aime un autre, évidemment, brave jeune gars que le Citoyen Hogan prendra sous son aile.

Hogan, c’est Victor McLaglen, resté dans les anales comme un second rôle indispensable de l’œuvre fordienne, habitué aux rôles d’Irlandais forts en gueule et portés sur la boisson (du Massacre de Fort Apache à L’Homme tranquille). Mais McLaglen fut, après Harry Carey, l’un des héros de prédilection de Ford : entre la fin de sa période muette et le début du parlant, l’acteur a souvent tenu la tête d’affiche de ses films (jusqu’à son rôle inoubliable dans Le Mouchard).

Hangman’s House est un film profondément sympathique, mais assez inégal. Outre la manière dont Ford présente l’Irlande et les Irlandais, on retiendra surtout une très jolie séquence de course de chevaux, qui n’apporte rien d’autre au film qu’un vent de fraîcheur bienvenu, l’incendie final assez spectaculaire, ou encore un plan magnifique suivant une barque traversant les marais, qui évoque l’atmosphère de L’Aurore, de Murnau, sorti l’année précédente.

On retiendra aussi que le film marque l’une des premières collaborations de Ford avec John Wayne : l’acteur apparaît furtivement dans la fameuse scène où les visages des pendus défilent dans la cheminée, et une seconde fois parmi le public qui assiste à la course de chevaux.

Evangeline (id.) – de Edwin Carewe – 1929

Posté : 8 octobre, 2010 @ 6:22 dans 1920-1929, CAREWE Edwin, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Evangeline (id.) - de Edwin Carewe - 1929 dans 1920-1929 evangeline

On l’a oublié aujourd’hui, mais Edwin Carewe fut un réalisateur important à Hollywood, vers la fin du muet. On lui doit en particulier de très grosses productions épiques et romanesques, peuplés de personnages très marqués par leur dévotion religieuse : Resurrection en 1927, Ramona (l’adaptation d’un roman à succès déjà porté à l’écran par D.W. Griffith - ici) en 1928, et ce Evangeline, qui surfe évidemment sur le succès des deux précédents films. On y retrouve le même ton, la même actrice (Dolores Del Rio), le même romantisme tragique, et la même importance de la religion : les personnages sont des êtres profondément pieux, ce qui visiblement plaît beaucoup à Carewe (qui a d’ailleurs reçu le soutient des autorités religieuses pour le tournage de son film), et qui colle parfaitement au cadre de son histoire, à savoir l’Acadie du milieu du XVIIIème siècle.

Une époque tragique pour cette province du Nord de l’Amérique, puisque le peuple « historique » est déporté par les Anglais, qui gouvernent le pays, en l’espace de quelques années seulement. Cette tragédie est le sujet même du film de Carewe (dont le scénario s’inspire d’un célèbre poème racontant le terrible destin d’une Acadienne ayant vécu cet exode forcé), mais ce qui concerne tout un peuple est symbolisé par un seul village. C’est un choix narratif qui ne plaira évidemment pas aux puristes de l’Histoire, mais qu’importe : en simplifiant le récit, le film gagne en efficacité, le destin de milliers de personnes étant symbolisé par celui d’une poignée de personnages.

Le résultat est un mélodrame flamboyant, passionnant, et franchement plombant dans sa dernière partie.

Ça commence en fait comme un beau mélo bucolique, avec deux jeunes gens amoureux, un village où il fait bon vivre, un amoureux éconduit, et un mariage qui se prépare dans la liesse générale. Mais l’ombre de la tragédie à venir plane, et se noue bientôt à grands coups de bottes qui claquent. Point de grands combats, ici, même si la violence est souvent à deux doigts d’exploser : mais à chaque fois, le bon homme d’église est là pour rappeler le principe de non violence. Oui, les Acadiens savaient mieux que quiconque tendre l’autre joue… On a l’air de se moquer, là, mais cette première partie est terriblement émouvante, et le magnétisme de Dolores Del Rio, visage atypique, mais d’une grande beauté, n’est pas étranger à cette émotion qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus.

Pendant toute la première heure, l’émotion ne cesse de monter, et c’est le ventre serré qu’on arrive au point culminant du film : cette extraordinaire séquence de l’exode forcée, où des centaines de soldats anglais obligent des milliers de pauvres Acadiens à s’embarquer dans des bateaux, dont les destinations sont inconnues. Et ce n’est pas du cinéma au rabais que Carewe nous offre là : chaque Acadien, chaque soldat, et chaque bateau, est bien présent à l’écran (et sans effets spéciaux, s’il vous plaît). On se rend compte, alors seulement, qu’on est dans une très grosse production. Mais surtout, dans un grand film, car la dimension de cette séquence ne paralyse pas le réalisateur, qui nous offre ici un moment terrifiant de cinéma, illustrant en quelques minutes l’atrocité qu’on impose à tout un peuple : sans ménagement, les soldats poussent les Acadiens vers les bateaux, n’hésitant pas à séparer les mères des enfants, les épouses des maris… et Evangeline de son fiancé.

Après cette montée graduelle et constante en puissance, jusqu’à un sommet d’émotion, c’est comme un autre film qui commence, un peu moins convaincant, hélas : Evangeline va passer des années (mais vraiment des années) à rechercher son bien-aimé, parcourant le Sud de l’Amérique (dans de magnifiques paysages de Louisiane, notamment, où le film a réellement été tourné), mais les élipses plutôt brutales ne permettent pas de prendre la dimension du temps qui passe. Autant le dire, il arrivera les pires catastrophes autour d’Evangeline, au cours de son interminable quête. C’est déchirant, violent, douloureux. Et franchement plombant.

By Indian Post (id.) – de John Ford (Jack Ford) – 1919

Posté : 7 octobre, 2010 @ 1:25 dans 1895-1919, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS, FORD John, WESTERNS | Pas de commentaires »

By Indian Post (id.) - de John Ford (Jack Ford) - 1919 dans 1895-1919 by-indian-post

Ce moyen métrage est l’un des rares de Ford à ne pas avoir disparu corps et bien. De l’époque muette du cinéaste, il ne reste qu’une partie infime de sa riche filmographie. By Indian Post est l’un des plus anciens, avec les longs métrages Straight Shooting et Bucking Broadway, qui avaient longtemps été considérés comme perdus.

Ce deux bobines est une œuvre de jeunesse, certes, mais il contient déjà beaucoup des qualités que l’on retrouvera dans les grands classiques du maître. A commencer par ce mélange d’action et d’humour, que Ford maîtrise déjà parfaitement bien. Les premières images, pourtant, laissent craindre le pire : statique, la mise en scène manque alors cruellement de dynamisme, lorsque Ford nous présente son « couple maudit ». On a du mal, alors, à être convaincu par l’acteur principal (le falot Pete Morrison), qui déclare son amour en faisant faire un salut à son cheval… Ça devait être romantique, à l’époque…

Heureusement, les choses s’arrangent nettement par la suite, en particulier avec une excellente course poursuite, après qu’un Indien a volé les vêtements des cow-boys, et surtout la lettre que notre Pete avait écrit à sa belle. Il n’y a d’ailleurs pas vraiment de suspense : on voit vite que l’Indien (un peu caricatural, il faut bien reconnaître) a porté la lettre à la dame en question… d’où le titre du film. Mais la manière dont Ford filme cette cavalcade est assez remarquable : avec un sens du rythme qu’on avait déjà remarqué dès Straight Shooting, deux ans plus tôt, mais qui semble s’être encore affirmé.

Ce sens du rythme et du cadrage, on le retrouve dans les dernières scènes, lorsque Pete tente de s’échapper de la chambre où l’a enfermé son futur beau-père (qui refuse l’union, évidemment), pour aller épouser sa belle. Il reçoit alors l’aide d’un jeune cow-boy défroqué (l’Indien lui a volé son pantalon), interprété par l’excellent et tout jeune Hoot Gibson, grande vedette de l’époque et fidèle complice de Ford.

Cette séquence rocambolesque est une leçon de maître que nous donne le jeune Ford, jouant avec l’espace, les portes, les fenêtres, dans un grand moment de suspense et d’humour.

Ramona (id.) – de D.W. Griffith – 1910

Posté : 5 octobre, 2010 @ 6:17 dans 1895-1919, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS, GRIFFITH D.W., PICKFORD Mary | Pas de commentaires »

Ramona (id.) - de D.W. Griffith - 1910 dans 1895-1919 ramona

Ramona, c’est l’un des premiers Griffith « important ». Le réalisateur, patron de la Biograph, avait déjà signé des dizaines de courts métrages au tournant des années 1910. Mais c’est l’une des premières fois qu’il laisse entrevoir ses ambitions énormes, et l’ampleur de ses grands films à venir, de La Naissance d’une Nation à America en passant par A travers l’orage. Pour ce film de deux bobines, il s’empare d’un roman écrit par Helen Hunt Jackson à la fin du XIXème siècle, l’histoire d’une jeune femme qui refuse d’épouser le riche propriétaire qu’on lui destine, pour vivre son amour avec un pauvre paysan mexicain. Mais leur vie sera émaillée de drames de plus en plus terribles…

Griffith a visiblement le plus grand respect pour ce roman, qu’il tente d’adapter le plus fidèlement possible. C’est d’ailleurs le problème : comment raconter en à peine plus de vingt minutes les multiples tragédies que vit la pauvre Ramona ? Le film se contente donc d’être une illustration sage et un peu froide du roman, qui aurait mérité une adaptation plus ample, et plus longue. C’est ce que fera Henry King en 1936, et surtout Edwin Carewe en 1928, dans un Ramona qui connaîtra un tel succès que le réalisateur retrouvera son actrice du film, Dolores Del Rio, pour un Evangeline qui en prolonge l’esprit.

Le Ramona de Griffith reste cependant dans les mémoires pour avoir offert à la très jeune Mary Pickford l’un de ses premiers grands rôles. Celle qui n’allait pas tarder à devenir la « petite fiancée de l’Amérique » n’avait alors que 17 ans, et enchaînait les courts métrages pour son « patron », Griffith.

Beyond the rocks / Le Droit d’aimer (Beyond the Rocks) – de Sam Wood – 1922

Posté : 5 octobre, 2010 @ 6:04 dans 1920-1929, FILMS MUETS, WOOD Sam | Pas de commentaires »

Beyond the rocks / Le Droit d'aimer (Beyond the Rocks) - de Sam Wood - 1922 dans 1920-1929 beyond-the-rocks

Je ne suis un fan ni de Gloria Swanson (beaucoup trop « diva » à mon goût) ni de Rudolph Valentino (dont le charme et le mystère me semblent avoir beaucoup vieilli), mais l’un comme l’autre sont absolument remarquables dans ce film, qui plus est un chef d’œuvre. Longtemps, Beyond the rocks a été considéré comme étant irrémédiablement perdu. Il faisait même partie des grands fantasmes des cinéphiles, jusqu’à ce qu’une copie soit miraculeusement retrouvée en 2003. Restauré (magnifiquement), le film a eu droit à une projection officielle au festival de Cannes, accompagné d’une nouvelle musique sublime. Le film est historique, bien sûr, parce qu’il marque l’unique rencontre de deux des plus grandes stars du muet (les stars partageaient rarement l’affiche, à cette époque-là). Mais il s’agit surtout d’une immense réussite artistique.

Gloria et Rudolph, donc, sont étonnants de sobriété dans ce film romanesque à souhait. Elle, qui d’habitude en fait des tonnes, est constamment dans la note juste, apportant une jolie dimension tragique à ce personnage de jeune femme prête à se sacrifier corps et âme pour ce qu’elle croit juste : d’abord pour son père, pour qui elle décide d’épouser un homme qu’elle n’aime pas ; puis pour respecter son serment, pour lequel elle repousse ce jeune comte qu’elle aime pourtant passionnément. Ce qui donne lieu à quelques séquences belles à couper le souffle, et à faire battre le cœur le plus endurci…

Le film est aussi réussi dans sa partie « intime » que dans ses séquences spectaculaires. Et il y en a beaucoup, dans ce film romanesque, qui nous emmène des côtes anglaises à Paris en passant par les Alpes. C’est du grand spectacle que nous offre Sam Wood, avec des décors impressionnants, du suspense… La séquence du « sauvetage » de Gloria par Rudolph dans les montagnes est ainsi très réussie.

Mais c’est avant tout une magnifique histoire d’amour, vibrante, tragique, romantique… Comme on les aime, quoi.

L’intelligence du film, aussi, est de n’avoir pas affublé Gloria Swanson d’un mari antipathique. Cet homme qu’elle épouse en croyant faire plaisir à son père (lui aussi un brave type) n’a certes rien d’attirant : fat, fainéant, triste comme la mort… il est pourtant un vrai mari aimant, prêt à tout pour rendre sa femme heureuse. Prêt à tous les sacrifices, même, ce qu’il fera dans un désert du Sahara très « carton-pâte », une séquence qui n’est sans doute pas la plus enthousiasmante, mais qui ne gâche pas l’immense plaisir que l’on a à découvrir ce mélo.

Le plaisir, surtout, que l’on a à voir Gloria Swanson et Rudolph Valentino absolument sublimes. Et si ce Beyond the rocks était le film de leur vie, à l’une comme à l’autre…

Delicious Little Devil / Un délicieux petit diable (The Delicious Little Devil) – de Robert Z. Leonard – 1919

Posté : 26 septembre, 2010 @ 6:19 dans 1895-1919, FILMS MUETS, LEONARD Robert Z. | Pas de commentaires »

Delicious Little Devil / Un délicieux petit diable (The Delicious Little Devil) - de Robert Z. Leonard - 1919 dans 1895-1919 delicious-little-devil

Voilà une curiosité particulièrement rare, un film qui ne figure même pas dans la plupart des dictionnaires de films. Ce petit drame imparfait ne manque pourtant pas d’intérêts. Le moindre d’entre eux n’est pas de retrouver dans un second rôle un jeune premier qui n’était pas encore une grande vedette, mais qui s’apprêtait à devenir l’un des plus grands mythes de l’histoire du cinéma : Rudolph Valentino. Dans Delicious Little Devil, le jeune acteur n’a pas encore cette aura de mystère qui fera de lui l’une des plus grandes stars des années 20 : il interprète un fils de très bonne famille, beau bien sûr, mais aussi bon et rassurant.

La véritable vedette du vedette est Mae Murray, une sorte de sauvageonne au regard rude, aujourd’hui tombée dans l’oubli, mais qui est absolument parfaite dans le rôle de cette fille qui a grandi au sein d’une famille pauvre et alcoolisée, et qui, après avoir été virée sans ménagement de son emploi de « vestiaire » dans un restaurant chic, se fait passer pour une intrigante de renommée mondiale pour être embauchée en tant que danseuse vedette d’un cabaret fréquenté par des hommes de la haute société désireux de s’encanailler gentiment. Bien sûr, l’Amour avec un grand A est au rendez-vous : c’est là que la belle (mais pauvre) rencontre le beau (mais riche), Valentino bien sûr, dont le père est un homme d’affaire très influent, qui va voir cette liaison d’un très mauvais œil.

En apparence, le film est assez léger : on devine rapidement que le happy end est incontournable, et l’humour est très présent. Mais le sujet, en fait, est étonnamment sombre : l’héroïne n’est pas une orpheline, mais elle a grandi entre une mère totalement apathique, un père qui ne pense qu’à boire, et un oncle qui compte sur la jeune femme pour faire rentrer de l’argent dans le foyer. On ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement gâtée par la vie…

Le film est une jolie surprise, et mérite d’être redécouvert (grâce soit rendue aux Films du Paradoxe, qui le proposent en bonus d’un autre film muet avec Rudolph Valentino, Beyond the Rocks, dont la chronique dans ces colonnes ne saurait tarder), même si le happy end (qui fait curieusement penser à celui de Vous ne l’emporterez pas avec vous, de Capra) arrive effectivement grâce à un retournement de situation absolument HÉNORMEUH.

Just Pals / Pour la sauver / Pour le sauver (Just Pals) – de John Ford – 1920

Posté : 15 septembre, 2010 @ 6:44 dans 1920-1929, FILMS MUETS, FORD John, WESTERNS | Pas de commentaires »

Just Pals / Pour la sauver / Pour le sauver (Just Pals) - de John Ford - 1920 dans 1920-1929 just-pals

Un petit Ford première période, mineur, mais très sympathique. Le jeune réalisateur (il a alors 25 ans) a déjà à son actif plus d’une trentaine de westerns, tournés essentiellement avec son ami Harry Carey, dont certains laissent déjà transparaître le génie fordien. Avec Just Pals, l’un de ses premiers longs métrages à être arrivés jusqu’à nous (la plupart sont perdus), Ford signe le portrait bucolique d’un petit village américain où il semble faire bon vivre. « Semble », car derrière l’apparente légèreté du propos, Ford n’épargne pas les bons Américains, prompts selon lui à condamner à l’emporte-pièce, et enclins à pratiquer le lynchage. Cette séquence de lynchage, parenthèse étonnamment sombre dans un film plutôt léger, est d’ailleurs l’une des plus belles de ce film court mais très riche.

Le sympathique Buck Jones y interprète Bim, « le bon à rien du village », un jeune oisif allergique au travail, mais avec un cœur gros comme ça. Les habitants n’ont que mépris pour ce type tout juste considéré comme faisant partie du paysage local, mais à qui personne ne prête vraiment attention. Et pourtant, ce Bim a du cœur, il est secrètement amoureux de la jolie institutrice, mal fiancée à un type qui révèlera vite sa vraie nature. Bim est aussi le seul à réagir lorsqu’un enfant, vagabond, est molesté par l’agent de sécurité d’un train qui arrive en gare. Un geste qui attirera l’attention de l’instit, et qui scellera l’amitié entre le jeune homme et le garçon, qui deviendront inséparables.

C’est un peu une variation sur le même thème que Le Kid, de Chaplin, sorti l’année précédente, mais sans mélo, et sans burlesque. On est plus ici du côté de l’action, voire même du suspense policier. Le film de Ford, malgré sa courte durée (une cinquantaine de minutes), est particulièrement dense : une histoire d’amour, une comédie bucolique, un suspense, un film social… Just Pals est un peu tout ça à la fois.

Le film ne fait pas partie des grands chef d’œuvre de Ford ; dans les années qui suivent, il fera beaucoup  mieux avec des films comme Four Sons, Le Cheval de fer ou Trois sublimes canailles, des chefs d’œuvre du cinéma muet (tous ces films, ainsi que Hangman’s House, sont d’ailleurs réunis dans un coffret DVD  indispensable, uniquement en zone 1 : « Ford at Fox, silent epics »). Mais Just Pals porte déjà indéniablement la marque de Ford. Visuellement, le film alterne les scènes un peu anonymes et les plans magnifiquement construits, où la profondeur de champs est souvent merveilleusement utilisée. Motif incontournable dans l’œuvre de Ford, les barrières sont également omniprésentes, soulignant avec beaucoup de délicatesse (et de très jolis effets visuels) la différence de classe entre Bim et l’institutrice, notamment.

Just Pals est un peu brouillon, certes, mais on y retrouve déjà le goût de Ford pour des valeurs simples et « à l’ancienne », ces mêmes valeurs que l’on retrouvera magnifiées tout au long de sa carrière, de Judge Priest à L’Homme tranquille, en passant par Vers sa destinée. Just Pals, c’est aussi un immense cinéaste en train de se construire…

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