Chantage (Blackmail) – d’Alfred Hitchcock – 1929 (version muette)
Ça m’avait échappé, mais le premier film parlant d’Hitchcock… était un film muet. C’est en tout cas comme ça que le cinéaste l’a tourné initialement, se préparant toutefois à le transformer pour s’adapter au son qui se déployait alors. La postérité n’a retenu que la version parlante, et c’est le hasard qui m’a permis d’apprendre qu’une version muette existait bel et bien.
Le hasard, en l’occurrence une erreur du petit cinéma de province où j’ai mes habitudes, qui dans le cadre d’une petite rétrospective Hitchcock annonçait la projection en VO de Chantage, film des débuts du parlant. Et à la caisse, le sourire désolé du directeur : « Le distributeur a envoyé une copie muette, sans musique ». Et moi, ravi : « Mais c’est génial ! Je ne savais pas que ça existait ! »
Et c’est vrai que c’est assez génial, cette version qui rappelle que, dans la version que l’on connaît, le meilleur moment du film est une séquence entièrement muette : une longue scène, la première, qui suit le quotidien de deux policiers dont la journée est rythmée par l’arrestation d’un malfaiteur et sa mise en examen.
Cette scène d’ouverture m’a toujours bluffé. La version muette du film est entièrement de ce niveau, véritable leçon de cinéma qui reste incroyable près d’un siècle plus tard, plus percutante et plus efficace qu’à peu près tout ce que le cinéma de genre nous offre depuis quelques années. Cette parenthèse « vieux con » étant refermée, revenons à notre sujet…
Cette version-ci de Chantage est plus dense, plus rythmée, moins datée aussi, parce que dépouillée des expérimentations sonores des premiers temps. Mais la différence entre les deux versions ne se limite pas à la bande sonore : plusieurs séquences ont également été entièrement retournées pour donner la parole aux acteurs, avec des différences parfois notables.
L’exemple le plus frappant : la scène du drame, où les angles de caméra sont très différents d’une version à l’autre. Ici, c’est le point de vue d’Anny Ondra qui est privilégié. Sans affirmer que la scène est plus pertinente ici ou là, comparer les deux versions, comme je l’ai fait en revoyant la version parlée le soir-même, se révèle un exercice passionnant.