Blue Velvet (id.) – de David Lynch – 1986
Un rideau rouge inquiétant, des musiques envoûtantes jouées dans des bars interlopes, une jeunesse apparemment tranquille qui cache des tourments secrets, l’imagerie d’une Amérique presque fantasmée héritée des glorieuses fifties, le bitume qui défile dans la nuit…
Et si le plus beau dans Blue Velvet, c’était le sentiment qu’il donne d’assister à la naissance de quelque chose d’immense ? Oui, je sais : on peut dire ça aussi d’Eraserhead, mais il y a dans le premier long une radicalité quasi expérimentale qui en fait un objet à part. Avec Blue Velvet, qu’il réalise après l’échec de Dune, Lynch s’approche de la ligne crête sur laquelle il signera ses plus grands films (et quelques-uns des plus grands films de l’histoire du cinéma) : une manière de détourner le film de genre vers un fascinant trip mental et sensoriel.
La sensation est forte, et Blue Velvet est de ces films dont on ne ressort pas indemne, surtout quand on a eu la chance de le découvrir tôt (pas en salles, j’étais un peu jeune, mais tôt tout de même). Un film qui bousculait à l’époque, laissant un sentiment difficile à définir. Mais le même sentiment que j’ai retrouvé en le revoyant aujourd’hui, à la fois fasciné, et toujours un peu désarçonné.
Il y a des moments d’une beauté incroyable dans Blue Velvet. Le plus beau peut-être : Isabella Rossellini chantant la chanson titre, avec sa voix imparfaite et si sensuelle. J’ose : c’est là l’une des images les plus purement cinématographiques des années 80. Mais si elle me bouleverse encore aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle semble annoncer toutes celles du Bang Bang Bar de Twin Peaks.
De la même manière, le couple formé par Kyle McLachlan et Laura Dern n’est-il pas si touchant que parce qu’il est l’incarnation la plus pure du cinéma de Lynch ? Et qu’on sait aujourd’hui qu’il faudra attendra trente ans et le retour de Twin Peaks pour voir ces deux-là réunis devant la caméra de leur pygmalion…
Blue Velvet a aussi sa vie propre bien sûr. Il continue ainsi à secouer par la représentation qu’il donne des violences faites aux femmes (thème qui trouvera sa forme la plus radicale et la plus forte avec Lost Highway), et par le trouble qu’instille Lynch dans les rapports de domination, dans le voyeurisme, et dans la représentation du sexe, autrement plus troublante (et dérangeante) que les pseudos films érotiques soft qui se tournaient à l’époque (notamment par Adrian Lyne).
Le film est en fait un dynamitage en règle de l’image idéale de la petite bourgade bourgeoise américaine, que Lynch filme avec un excès de lyrisme pour mieux en saisir l’hypocrisie et la face cachée. McLachlan, jeune homme parfait en tout point, qui s’enfonce dans un monde trouble de violence parce qu’il se laisse happer par la beauté trouble de Rossellini… mais aussi par la brutalité hallucinante d’un Dennis Hopper inoubliable.
L’innocence fracassée… Encore un thème cher au créateur de Twin Peaks. Décidément, Blue Velvet est un film qu’il est aujourd’hui difficile de revoir sans qu’il nous renvoie à toutes les merveilles que Lynch devait tourner par la suite.
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