Grand Tour (id.) – de Miguel Gomes – 2024
Dans la Birmanie de 1918, un fonctionnaire de l’Empire britannique prend subitement la fuite, alors que sa fiancée s’apprête à le rejoindre après des années de séparation. Cette dernière part à sa recherche, et suit sa trace étape par étape, à travers toute l’Asie…
C’est presque une histoire de vaudeville : un homme effrayé par l’engagement d’un mariage, une femme pleine de vie qui lui court après. Mais c’est tout à fait autre chose que filme Miguel Gomes : un double voyage dans des contrées inconnues, qui est tout à la fois une découverte qu’une manière de se perdre, dans tous les sens du terme.
Grand Tour ne ressemble à rien d’autre, et c’est un immense compliment fait à Miguel Gomes, qui ose faire ce que peu d’autres cinéastes ont osé depuis des décennies : réinventer une forme de cinéma, s’inscrivant ainsi dans la lignée des grands formalistes des origines, qui avaient tout à créer. Le résultat est une merveille, qui tient tout à la fois de la grande fresque romanesque que du film expérimental.
Intime et grandiose, narratif et introspectif, linéaire et nébuleux. Une véritable expérience de cinéma que nous offre Gomes, absolument fascinante. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme, mais ce sont aussi les rencontres, qui comptent, avec des personnages étonnants, grotesques ou touchants, et avec des paysages, qui prennent souvent le pas sur les êtres.
Les personnages, d’ailleurs, disparaissent parfois durant de longues minutes, laissant place aux villes qu’ils découvrent, à leurs habitants si éloignés d’eux. Le voyage et la découverte deviennent alors les personnages principaux de ce film fascinant et magnifique. Où le fait de ne plus voir les personnages à l’écran nous les rend plus intimes encore.
Le film est coupé en deux parties à peu près égales, qui racontent le même voyage, plongée de plus en plus profonde au cœur d’une culture de plus en plus opaque. D’abord l’homme, Edward (joué par Gonçalo Waddington), qui fuit pour se perdre, comme étranger à lui-même, suivant le premier venu comme si sa vie en dépendait. Ensuite la femme, Molly, débordante de vie et de dynamisme, qui avance parce que c’est ce qu’elle a décidé…
Elle est jouée par Crista Alfaiate, actrice rayonnante dont le visage dans Grand Tour pourrait illustrer le mot « solaire » dans le dictionnaire. Magnifique personnage, qui se perd peu à peu à mesure qu’elle se rapproche de celui qu’elle a décidé d’épouser. Son apparition à mi-film donne littéralement un coup de fouet au spectateur, jusque là happé par l’apathie de son fiancé.
Sous le charme de Crista Alfaiate, sous le charme de ce film merveilleux, sous le charme des images hypnotiques de Miguel Gomes, fer de lance du nouveau cinéma portugais, dont je n’avais pas vu les films précédents. Celui-ci donne une furieuse envie de s’y plonger.