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Archive pour décembre, 2024

La 25e heure / 24 heures avant la nuit (25th hour) – de Spike Lee – 2002

Posté : 15 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2000-2009, LEE Spike | Pas de commentaires »

La 25e heure.jpg

C’est le premier film important tourné à New York après les attentats du 11 septembre 2001, et ça n’a rien d’anodin. Spike Lee, grand cinéaste new-yorkais au même titre que Scorsese ou Woody Allen, capte les mutations de cette ville qu’il a si souvent filmée, l’ambiance si particulière, et ce Ground Zero que les engins continuent à déblayer jour et nuit, sous les fenêtres de l’appartement luxueux de l’un des personnages.

Il n’est jamais directement question des attentats dans La 25e heure (rebaptisé 24 heures avant la nuit pour des problèmes de droits). Pourtant, leur souvenir plane constamment sur ce beau film, qui s’ouvre d’ailleurs sur la fameuse skyline, deux colonnes de lumière remplaçant les tours jumelles dans une image qui prend aux tripes, et qui installe une atmosphère lourde et déchirante.

Rien à voir avec l’histoire, donc, si ce n’est qu’il est question d’un monde qui s’effondre : celui de Monty (Edward Norton, magnifique), petit dealer à qui il reste 24 heures de liberté avant d’aller purger la peine de sept ans de prison à laquelle il a été condamné. Sept ans, toute une vie… Et ce n’est pas le moindre mérite de Spike Lee que de mettre du poids derrière cette durée : sept ans de prison, c’est long.

Et 24 heures, c’est court, pour mettre ses affaires en ordre, et quitter comme il faut les personnes qui comptent vraiment : sa petite amie dont il se demande si ce n’est pas elle qui l’a dénoncé, son père avec qui il a du mal à échanger, et ses deux amis d’enfance dont il s’est pourtant éloigné en choisissant sa vie de trafic. 24 heures pour les retrouver tous, et mieux pouvoir leur dire au-revoir.

La 25e heure est une merveille, dont j’ai toujours pensé (alors et depuis) que c’était le chef d’œuvre de Spike Lee. Son Carlito’s Way à lui, une sorte de miracle de cinéma, dont le mouvement et le ton s’épousent parfaitement pour donner corps au désespoir, aux regrets et à la soif de vie du personnage principal, et de ses proches, dans des virées nocturnes et diurnes déchirantes.

Au passage, Spike Lee confirme qu’il est, outre un cinéaste au style très affirmé et immédiatement identifiable, un grand directeur d’acteur. Rosario Dawson a rarement été aussi bien que dans le rôle de la petite amie qui prend les soupçons contre elle comme une double peine. Barry Pepper est d’une intensité folle en trader carnassier qui cache sa douleur derrière une façade d’arrogance.

Philip Seymour Hoffman impressionne en prof frustré qui se laisse déborder par une élève trop jeune et trop femme à la fois. Et Brian Cox est bouleversant dans le rôle de ce père maladroit qui ne sait comment retenir son fils. Les scènes qu’ils partagent sont peut-être les plus belles de ce film qui porte en lui tous les regrets du monde, un grand cri étouffé face à l’ampleur du gâchis.

Terminator : Dark Fate (id.) – de Tim Miller – 2019

Posté : 14 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2010-2019, ACTION US (1980-…), FANTASTIQUE/SF, MILLER Tim | Pas de commentaires »

Terminator Dark Fate

Terminator, premier du nom, a révélé un cinéaste, James Cameron. Terminator 2 a révolutionné le cinéma hollywoodien à grand spectacle. Et depuis trente ans que Cameron est passé à autre chose, la série n’a cessé de se chercher, d’hésiter sur la voie à suivre, et même de faire demi-tour, passant de la suite-remake vaguement parodique (Terminator 3) au dynamitage en règle (Genysis), essayant même de se passer de Schwarzenegger, de toute façon occupé par sa carrière de gouverneur (Renaissance). Sans jamais convaincre.

Voir James Cameron revenir aux affaires, avec ce sixième film basé sur une histoire qu’il a imaginée, avait de quoi redonner un peu d’optimisme aux fans de la première heure. Le fait que Linda Hamilton reprenne son rôle de Sarah Connor aussi, tant elle était l’âme des deux premiers films. Quant à la volonté de tirer un trait sur les trois suites tournées depuis 1991… eh bien pourquoi pas !

L’histoire, d’ailleurs, en vaut une autre (on sent l’enthousiasme ?). Le danger Skynet écarté, on découvre que, l’homme étant indécrottable, il va quand même créer des machines qui finiront par prendre le pouvoir et à exterminer une grande partie de l’humanité. On apprend aussi qu’un espoir renaîtra grâce à une personne qui saura mobiliser les survivants. Les robots du futur envoient donc un Terminator (encore plus sophistiqué que les précédents, évidemment) pour dézinguer le futur sauveur. De son côté, la rébellion envoie un super-soldat. La routine, quoi.

On serait même dans un remake quasi parfait de l’original s’il n’y avait… Sarah Connor et le T1000 qui se joignent à la fête : Linda Hamilton et Schwarzenegger en personne, vieillis mais toujours coriaces, hantés par des années de combats pour la première… et par une vie de famille inattendue pour le second (oui, oui, c’est dire si la machine est proche de l’homme).

L’histoire n’apporte rien d’autre qu’une nouvelle occasion de relancer la machine, pour pouvoir espérer de nouvelles suites et de nouvelles rentrées d’argent. Ce qui ne serait pas si grave si Tim Miller apportait quelque chose. Le réalisateur a de l’imagination pour filmer des scènes d’action toutes plus démesurées les unes que les autres, reconnaissons lui ça, avec efficacité, et avec une certaine lisibilité de l’action, ce qui n’est pas si courant.

Mais ces scènes d’action gavées d’effets numériques envahissants ressemblent à toutes celles de l’immense majorité des blockbusters actuels : un déluge d’effets numériques envahissants, auquel il manque la patte d’un vrai cinéaste, l’aspect rugueux et tangible des premiers opus. Un réalisateur aussi puissant que James Cameron donc, voire même un solide artisan comme Jonathan Mostow (T3). Et si, quand on n’avait rien à dire, rien de neuf à ajouter, le mieux était juste de passer à autre chose…

La plus précieuse des marchandises – de Michel Hazanavicus – 2024

Posté : 13 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, DESSINS ANIMÉS, HAZANAVICUS Michel | Pas de commentaires »

La Plus précieuse des marchandises

Serge Hazanavicus a une propension assez réjouissante à ne jamais être là où on l’attend. Refusant de se laisser enfermer dans des cases trop faciles, il n’a cessé de prendre le contre-pied de lui-même, fuyant les comédies-pastiches après OSS 117 et sa suite, ou une carrière américaine toute tracée après les Oscars de The Artist.

Et il parvient encore à nous surprendre, en se lançant dans le film d’animation. Et dans le conte. Et dans le récit de la Shoah. Autant dire que l’ambition est grande. Et le résultat est beau, sincère, humble, et d’une délicatesse qui n’étonnera pas les admirateurs du cinéaste, confronté comme tant d’autres avant lui à la même problématique : comment représenter la Shoah.

La forme du conte, avec la belle voix off de Jean-Louis Trintignant (dans son tout dernier rôle au cinéma), permet à Hazanavicus de viser l’abstraction, en ne montrant des camps d’extermination que des visages émaciés, des regards hallucinés, et des visions cauchemardesques. Littéralement : comme sorties des rêves horrifiés de ceux à qui on a tout pris.

Jean-Claude Grumberg, dont la famille a été décimée dans les camps de la mort, a écrit le conte. Hazanavicus le porte à l’écran avec un grand respect, et avec la volonté de mettre en valeur la dignité de ses personnages, qu’il a lui-même dessinés dans une sorte d’épure qui colle parfaitement au ton du film.

Le conte, donc, une sorte de contre-pied au Petit Poucet, cette histoire idiote… « Où a-t-on vu des parents abandonner un enfant parce qu’ils n’avaient pas de quoi le nourrir », ironise la voix de Trintignant. Là aussi, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne, une forêt, un enfant perdu… Mais cet enfant, c’est un bébé lancé d’un train fonçant vers la mort par un père désespéré.

C’est un « sans-cœur », comme les appellent les gens d’ici, dans ce film où le mot « Juif » n’est jamais prononcé. Un sans-cœur recueilli par pauvre bûcheronne, mais dont pauvre bûcheron ne veut pas, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il a un cœur. Le conte est bouleversant, révoltant, et beau, dans ce qu’il dit de l’autre, de la différence, de l’attention.

La Plus précieuse des marchandises est un film dur, cruel, mais aussi plein de vie. Et Hazanavicus réussit le miracle de ne jamais être larmoyant. Pas facile, avec une telle histoire. Cette délicatesse constamment tenue, et l’élégante épure des dessins et de l’animation, en font une belle et grande réussite.

La Maman et la Putain – de Jean Eustache – 1973

Posté : 10 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1970-1979, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

La Maman et la Putain

Faut avouer, l’idée de se lancer dans un film de 3h40 essentiellement basé sur des réflexions plus ou moins existentielles autour d’un triangle amoureux, en 16 mm et en noir et blanc… a priori, ça n’est pas ce qu’il y a de plus excitant pour se délasser après une longue journée de boulot. Mais bon, c’est Eustache, c’est son premier (très) long métrage de fiction, il y Jean-Pierre Léaud et Bernadette Lafont, et la réputation de dingue que traîne depuis des décennies ce film qui fut longtemps très difficile à trouver.

Ma découverte du cinéma d’Eustache étant chronologique, La Maman et la Putain était de toute façon la prochaine étape. Alors lançons-nous… Eh bien il faut à peu près 3 minutes 30 pour être emporté par les déambulations et les réflexions d’Alexandre, cet oisif revendiquant son refus de se plier aux codes sociaux, son dégoût du travail et des couples bien installés. Jean-Pierre Léaud, plus fascinant que jamais, plus juste et profond, aussi.

Son phrasé si particulier est pourtant poussé à l’extrême, déroutant même durant ces premières 3 minutes 30, comme si Eustache l’avait incité à surjouer cette manière languide et récitante de parler. Cette impression semble d’ailleurs confirmer par les seconds rôles, eux aussi extrêmes dans cette manière si Nouvelle Vague de dire son texte. Texte paraît-il très écrit par un Eustache, auteur total de son film.

C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles La Maman et la Putain est un film si fascinant. Il donne le sentiment d’être un autoportrait de Jean Eustache lui-même, de ses anecdotes de vie et de ses réflexions sur le monde, les rapports humains, le mouvement de libération des femmes, la lumière dans les restaurants, la température idéale de la nourriture, le mariage et le cinéma… Comme si, dans ce film très bavard, très écrit et très maîtrisé, il avait voulu donner une forme aux pérégrinations de son esprit.

Le résultat est fascinant, bouillonnant, euphorisant ou agaçant, mais toujours passionnant. La durée du film faisait peur ? C’est cette durée même qui donne son poids à ce film qui à la temps de nous emporter loin, très loin dans la complexité de l’âme et des rapports humains, avec ces trois personnages si différents, et si étonnants, proposition cinématographique presque inédite par sa durée, sorte de fresque mentale intimiste d’une profondeur et d’une justesse absolues.

Léaud, qu’Eustache avait déjà dirigé dans son moyen métrage Le Père Noël a les yeux bleus, est exceptionnel dans le rôle d’Alexandre, tête à claque et beau parleur, dont la liberté revendiquée a un côté jusqu’au-boutiste presque désespéré. Le couple qu’il forme avec Bernadette Lafont, autre grande figure des débuts de la Nouvelle Vague, a une gueule folle. Dans le rôle de Marie, cette trentenaire dont l’apparence hyper sexuée cache une sensibilité à fleur de peau, elle est magnifique, troublante et touchante comme c’est pas possible.

Et il y a Veronika, la blonde faussement renfermée, dont la liberté de ton est comme une grenade dégoupillée : le rôle d’une vie pour Françoise Lebrun, à qui reviennent les dialogues les plus crus, et le monologue le plus mémorable, à la fin du film : long soliloque qui sonne comme un cri de désespoir, et dont la crudité même souligne avec cruauté le besoin de tendresse. Ce moment nous laisse, comme Alexandre et Marie, sidérés.

Le film est extrêmement dialogué. A propos de ce film, Jean Eustache disait qu’il préférait « filmer le récit de l’action que l’action elle-même ». Pourtant, La Maman et la Putain n’est pas que récit, n’est pas que dialogues. Il y a aussi beaucoup de regards, beaucoup de gros plans sur des visages. Et une importance paradoxale de la musique, dans un film dénué de tout accompagnement sonore autre que les sons produits devant la caméra.

Il faut dire que les personnages passent beaucoup de disques. De la musique populaires, toujours, de Mozart à Edith Piaf, que les trois héros écoutent assis sur un lit, le regard dans le vide, la musique habillant leur spleen dans de longs plans fixes, qui sont parmi les plus beaux du film. Des moments de pure grâce, que l’on doit à un cinéaste en état de grâce. On sent que j’ai aimé ?

Leurs enfants après eux – de Ludovic et Zoran Boukherma – 2024

Posté : 9 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, BOUKHERMA Ludovic, BOUKHERMA Zoran | Pas de commentaires »

Leurs enfants après eux

La comparaison de cette adaptation du prix Goncourt Nicolas Mathieu avec L’Amour ouf semble inévitable selon à peu près tous les critiques de cinéma. N’ayant pas vu l’énorme succès de Gilles Lellouche, je me permets d’éviter cette comparaison inévitable. De la même manière, n’ayant pas lu le roman de Nicolas Mathieu (mais que fais-je de mes soirées ?), je ne jugerais pas de la qualité de l’adaptation.

Le film, donc, et rien que le film. Un bien beau geste, à vrai dire, que ce portrait d’une époque à laquelle les frangins réalisateurs en étaient encore au biberon ou aux biscuits humides. Un film générationnel, presque, taillé pour des spectateurs de ma génération : celle qui avait 14 ans au début des années 1990, et qui a fait la fête avec tous les Français ce soir du 12 juillet 1998, sans pourtant aucun signe avant-coureur d’une quelconque passion pour le football…

Bref, il est question d’adolescence et d’une époque comme en suspens, qui plus est dans une région elle aussi en suspens : une vallée boisée de l’Est de la France, sinistrée par la fermeture des hauts fourneaux, qui cherche à se réinventer avec une piste de ski d’été… Le temps suspendu : l’adolescence, donc, à travers le parcours d’Anthony, joué par la grande révélation du Règne animal Paul Kircher, incarnation presque jusqu’au-boutiste de l’ado, jusqu’à l’acné envahissante.

L’histoire se déroule sur quatre étés fondateurs pour l’ado, que l’on voit se transformer subrepticement tout en restant foncièrement le même : 1992, 1994, 1996 et 1998, et autant d’étapes pour les relations fondatrices du jeune Anthony. Le coup de foudre qu’il éprouve pour « Stéph », cette fille « tellement belle » d’un milieu social bien plus élevé que le sien. L’animosité menaçante qui l’oppose à Hacine, le bledard qui se rêve en nouveau Scarface. Et ses liens si compliqués avec son père alcoolique et sa mère fanée avant l’heure.

Dans le rôle des parents, Ludivine Sagnier et Gilles Lellouche sont formidables. Parce que même si le film est entièrement construit autour de la trajectoire d’Anthony (bien plus que le roman, paraît-il), le titre lui-même souligne la place de ces parents, pas vieux mais plus jeunes pour autant, qui réalisent que c’est au tour de leur rejeton de découvrir les choses, de vivre intensément. Résignés, qu’ils sont. Ils sont justes, touchants, et parfois bouleversants, à l’image de ce moment où le père surprend le regard plein de jugement de ce fils à qui il n’a jamais su parler.

Ce fils qui vit son adolescence d’une manière, tout de même, particulièrement extrême, guidé par une sorte d’instinct mortifère qui semble mener le film vers le drame le plus profond, et la violence la plus radicale. Et c’est là qu’intervient un personnage qui semble simplifié à l’extrême par rapport au roman : Hacine, confiné au rôle de Némésis d’Anthony, grenade dégoupillée que l’on sent constamment sur le point d’exploser.

C’est pourtant lui qui, dans la dernière partie, passionne le plus. Là, il incarne à lui seul la complexité de cet âge de transition, à la fois la violence des passions et la naissance de la résignation. Et on se dit qu’il aurait mérité mieux que ce rôle un peu sacrifié, une place plus centrale. Parce que dans cette dernière partie, le couple impossible n’est plus celui que l’on imaginait jusque là. Dans une virée nocturne à moto, ce duo là est aussi troublant que touchant.

Le Cochon – de Jean Eustache et Jean-Michel Barjol – 1970

Posté : 8 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1970-1979, BARJOL Jean-Michel, DOCUMENTAIRE, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

Le Cochon

Il manquait un snuff movie sur ce blog, non ? Le genre y fait enfin son entrée grâce à ce film, sans aucun doute le plus gore de ces pages. Cinq minutes à peine après le début du film, les cris de la victime, que l’on sait condamnée sans aucune chance de s’en sortir, sont franchement glaçants. Et le sang qu’y gicle de sa plaie profonde nécessite un cœur bien accroché. Le cadavre étant ensuite soigneusement écorché et dépecé, l’épreuve à laquelle est soumise le spectateur est encore loin d’être terminée.

Le spectateur cinéphile est décidément un animal bien curieux, capable, pour aller au bout d’une intégrale, de s’enquiller un documentaire rural filmant au plus près la mise à mort et le découpage… d’un cochon. Nous sommes dans une ferme française à l’ancienne. Nous sommes surtout dans la filmographie la plus obscure de Jean-Eustache, ici dans la veine ethnographique de La Rosière de Pessac.

Pas de voix off, pas d’enjeu dramatique à proprement parler (le seul suspense disparaît avec le cri du cochon), mais la vision directe et dénuée de tout jugement de deux réalisateurs, Eustache et Jean-Michel Barjol, qui filment chacun de leur côté les différentes étapes de ce qui est alors une tradition ancestrale encore très ancrée dans les campagnes : cette mise à mort et la préparation des morceaux de viande (140 kilos… tout est bon, dans le cochon) par les paysans du coin réunis pour l’occasion.

Sans aller jusqu’à se laisser aller à un quelconque enthousiasme, ces 50 minutes de film sont assez passionnantes dans ce qu’elles montrent d’une époque aujourd’hui (à peu près) révolue : à la fois le manque total de considération pour la souffrance du pauvre cochon, mais aussi la solidarité et la convivialité de ce monde paysan à l’ancienne, qui fait peu de cas des règles d’hygiène (tout est fait sur la paille ou sur la table), mais beaucoup de la chaleur humaine.

La beauté du film réside d’ailleurs dans les détails : une vieille femme qui part à la cueillette, un chien qui guette attiré par le sang, un paysan fier de son coup de couteau, un autre entonnant une chanson à boire avec un grand sourire. Une vie d’un autre temps, pas si lointain, dont Barjol (issu d’un milieu paysan) et Eustache (urbain pur et dur) sont les témoins sensibles et honnêtes.

Three Billboards, les panneaux de la vengeance (Three Billboards outside Ebbing, Missouri) – de Martin McDonagh – 2017

Posté : 7 décembre, 2024 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 2010-2019, McDONAGH Martin | Pas de commentaires »

Three Billboards

On pense aux frères Coen, bien sûr, devant ce film noir de l’Amérique rurale. A Fargo, en particulier, avec ses personnages bas du front, cette distinction traînante des coins les plus reculés, et la présence de Frances McDormand, là aussi récompensée par un Oscar (un troisième suivra, pour Nomadland).

On n’y pense, en fait, que durant les premières minutes. Parce que très vite, c’est un autre ton qui s’impose : celui, pas loin d’être aussi singulier, de Martin McDonagh, qui impose film après film une singularité passionnante, une manière finalement très élégante d’évoquer les sujets les plus sombres, de filmer les personnages les plus fracassés, sous un vernis cocasse qui retient constamment l’émotion.

Non pas qu’elle ne soit pas là, l’émotion. Elle est même bien présente, fichée au creux de l’estomac de la première minute. Mais en s’attardant au grotesque des situations, aux expressions souvent ahuries de ses anti-héros, McDonagh contient cette émotion dans son cocon, laissant au final un sentiment profond, et multiple.

Une sorte de bien-être, presque, l’impression d’avoir assisté à la naissance de quelque chose, à la fin d’un film où il n’est pourtant question que de morts, de déchirements, de renoncements, de haines refoulées… Frances McDormand en est le cœur à peine vibrant : une mère pleine de colère depuis que sa fille a été assassinée, quittée par son mari, méprisée par son fils, délaissée par la police locale…

C’est à elle, la police, qu’elle s’en prend lorsque commence le film : en louant trois immenses panneaux publicitaires dénonçant l’inefficacité des enquêteurs, accusant nommément le chef de la police dont elle sait pourtant qu’il est mourant. Pas facile d’aimer cette femme, symbole de la mère courage mais souvent aveuglée par sa colère. Surtout que le chef de la police est un type plutôt attachant, bon mari, bon père de famille, joué par un Woody Harrelson tout en sensibilité.

Il n’aurait pas volé un Oscar du second rôle, le Woody. Pas de bol pour lui : c’est Sam Rockwell qui l’a décroché, toujours pour 3 billboards. Ce qui est, aussi, amplement mérité (on donnerait bien des récompenses à tout le monde, c’est ce qu’on appelle la pédagogie positive) : hallucinant dans le rôle d’un flic raciste et violent, totalement étouffé par une mère castratrice, mais qui révèle tardivement une humanité inattendue, et bouleversante.

C’est toute la force du cinéma de Martin McDonagh : jouer avec la complexité de personnages borderline, sous le couvert du drame, de la comédie et du film de genre. Et mine de rien, la peinture qu’il livre de cette Amérique rurale profonde est d’une richesse étonnante, déjouant tous les stéréotypes, et toutes les facilités.

Tire-au-flanc 62 – de Claude de Givray (et François Truffaut) – 1961

Posté : 6 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, DE GIVRAY Claude, TRUFFAUT François | Pas de commentaires »

Tire au flanc 62

Pour boucler l’intégrale Truffaut, on termine par un film qu’il n’a pas effectivement mis en scène, même s’il est crédité comme co-réalisateur. Et co-scénariste. Et producteur. Nouvelle adaptation d’un roman déjà adapté à plusieurs reprises, notamment par le grand maître de la Nouvelle Vague Jean Renoir en 1928, ce Tire-au-flanc 62 marque les débuts derrière la caméra d’un homme incontournable dans la carrière de Truffaut.

Claude de Givray, donc, grand ami de François, dont il a été l’assistant réalisateur pour son court métrage Les Mistons, et dont il a été le co-scénariste pour Baisers volés et Domicile conjugal. De Givray revient alors d’Algérie, lorsque son copain, qui vient de créer sa boîte de production (Les Films du Carrosse, clin d’œil à un autre film de Renoir, Le Carrosse d’Or), l’incite à réaliser son propre film, dont lui-même sera à la fois la caution, le co-scénariste (avec aussi l’auteur du roman, André Mouëzy-Eon, qui fait également une apparition) et le conseiller technique.

On est clairement dans le comique troupier : un décor quasi-unique, celui d’une caserne où s’entraînent de jeunes recrues confrontées aux règles de l’armée. Au cœur de ce microcosme imposé : un jeune homme à particule des beaux quartiers, et celui qui était son chauffeur et homme à tout faire dans le civil.

Il y a bien une critique pleine d’ironie et un peu acerbe de la chose militaire, mais le film reste toujours très bon enfant, mettant surtout en valeur l’esprit de camaraderie, l’ambiance de troupe, qu’incarnent parfaitement de jeunes comédiens inconnus venus du même cabaret, autour du chanteur fantaisiste Ricet Barrier, qui incarne avec bonhomie le chauffeur qui prend sous son aile avec beaucoup de bienveillance son « maître », d’abord ridicule, puis très vite touchant.

Le film est parfois un peu cruel, mais sans se départir de son aspect souriant, à l’image de la présence très décontractée et très légère de Ricet Barrier, et de l’autorité très relative d’un Jacques Balutin (seul acteur habitué aux caméras) en « grand frère » de la chambrée. On remarque aussi particulièrement l’apparition d’un tout jeune Cabu, déjà dessinateur et déjà le sourire espiègle aux lèvres.

Il y a en tout cas un vrai rythme dans cette petite chose amusante et bourrée de référence à la Nouvelle Vague : l’apparition de Truffaut, celle de Pierre Etaix, comme un clin d’œil au cinéma de Tati dont il était le gagman, la séquence de rêve autour d’une Bernadette Lafont jouant avec son image d’incarnation hyper-sexuée de la Nouvelle Vague… Plus curieux : cet avion qui trace les mots « Cahiers du Cinéma » dans le ciel. Plus convaincant : l’utilisation des décors réels et des événements de la rue (le 11 novembre à Paris, le carnaval de Nice). Très Nouvelle Vague.

En fanfare – d’Emmanuel Courcol – 2024

Posté : 5 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, COURCOL Emmanuel | Pas de commentaires »

En fanfare

C’est pas tous les jours que les grandes comédies populaires sont chroniquées sur ce blog. Mais celle-ci réussit là où la plupart des autres ne font pas même mine d’essayer : associer la popularité du propos et un vrai regard d’auteur. Bref (et hélas), presque une comédie à l’ancienne.

C’est aussi une comédie qui va à l’essentiel, et qui ne perd pas de temps en introductions interminables. Quelques minutes seulement : c’est le temps qu’il nous faut pour qu’on fasse la connaissance du grand chef d’orchestre joué par Benjamin Lavernhe, pour qu’il découvre qu’il a une leucémie, que sa sœur n’est pas compatible pour une greffe de moelle, que sa sœur n’est pas sa sœur, qu’il a été adapté, qu’il a un frère, et que ce dernier (Pierre Lottin) est musicien dans une fanfare du Nord.

C’est beaucoup d’informations, c’est raconté avec une efficacité et une économie de moyens digne des grands maîtres classiques de la comédie américaine, et c’est, déjà, à la fois touchant et drôle. Et ça aussi, c’est beaucoup. Bon… Emmanuel Courcol n’est pas Lubitsch : il n’en a ni le rythme, ni la drôlerie. Mais l’homme est nettement plus proche d’un Pierre Salvadori que d’un Etienne Chatiliez. Ce qui est bien.

La comparaison avec Chatiliez est un peu facile, c’est vrai : les deux frères, le choc des cultures, la question de savoir ce qu’on serait devenu si on était né dans une famille plus aisée, ou plus populaire… Ces thèmes au cœur d’En fanfare étaient déjà ceux de La Vie est un long fleuve tranquille. Mais il y a, derrière le rire de façade, une émotion et une bienveillance qui touchent au cœur.

Certes, le scénario emprunte parfois des voies un peu faciles. Et la musique qui unit (ou éloigne ?) les deux néo-frères est une idée à la fois belle et assez peu crédible. Sur le papier. Mais ces facilités de scénario disparaissent à l’écran, un peu par la grâce d’une mise en scène élégante et à hauteur d’homme, et beaucoup par celle des acteurs, tous très justes.

Le duo de frères, surtout, est particulièrement touchant. Benjamin Lavernhe « de la Comédie française » est un excellent acteur, ce n’est pas une découverte : il apporte à son personnage une intensité et une douceur parfaites. Pierre Lottin, que je ne connaissais pas (pas vu Les Tuche, pas remarqué dans La Nuit du 12 – « oh ! C’est l’acteur de Lupin ! » m’apprend mon fils de 12 ans), est absolument bouleversant dans le rôle de ce frère un peu frustre.

C’est avant tout grâce à eux que En fanfare est un film si enthousiasmant. Dont on sort, euphorique et la boule dans la gorge, avec la surprise de redécouvrir que Le Boléro de Ravel peut être un morceau bouleversant quand il renoue avec ses origines ouvrières.

Napoléon – d’Abel Gance – 1927 (restauration 2024)

Posté : 3 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, 2020-2029, FILMS MUETS, GANCE Abel | Pas de commentaires »

Napoléon 1927

Voilà le film le plus long de ce blog : près de 7h30 de projection. Peut-être même le plus ambitieux, le plus énorme, et le plus mythique. Et c’est pourtant un film inachevé, ou plutôt le premier volet d’une immense saga qui devait retracer toute la vie de Napoléon jusqu’à sa mort. Parce que ces 7h30 hallucinantes se concentrent sur la jeunesse et l’ascension de Bonaparte, jusqu’au début de sa triomphale campagne d’Italie, en 1797.

Le Napoléon d’Abel Gance a toujours été un grand classique du cinéma, quelle que soit son montage (le plus récent et le plus complet, datant d’il y a une vingtaine d’années, dépassait déjà les 5h). Mais jamais, depuis près d’un siècle, on n’avait eu l’occasion de voir ce qui ressemble bien à la vision définitive de Gance, qui plus est avec une restauration qui frôle la perfection : 7h18 de film, donc, projeté en deux parties.

Au-delà de l’intérêt historique de la chose, Napoléon surprend et émerveille par l’ampleur de sa mise en scène, et par sa beauté visuelle assez hallucinante. A vrai dire, il semble bien qu’il n’y ait pas le moindre plan anodin dans cette fresque fleuve. C’est comme si Abel Gance (qui se réserve le petit rôle de Saint-Just) avait pensé chaque image comme une œuvre en soit. Pour dire ça autrement : il y a plus de cinéma dans une seule scène de Napoléon que dans la majorité des blockbusters actuels.

Voir Napoléon aujourd’hui impressionne d’ailleurs par cette ambition formelle, et par les moyens qui y sont déployés : des centaines, voire des milliers de figurants à l’écran, une reconstitution historique impressionnante, et surtout une invention formelle de chaque instant. On a beaucoup parlé du triple écran, innovation technique spectaculaire qui se résume à vrai dire au dernier quart d’heure, soulignant l’ampleur et la dimension quasiment mystique de la campagne d’Italie. Mais ce n’est finalement qu’une innovation parmi d’autres.

Un montage savant, des travellings dynamiques qui nous plongent au cœur de l’action et des drames, une caméra portée autrement plus convaincante que les excès du cinéma hollywoodien récent qui rendent l’action illisible… Ce n’est pas la première fois qu’Abel Gance signe une grande fresque qui est aussi du cinéma total : quatre ans plus tôt, La Roue était déjà un immense chef d’œuvre d’une invention et d’une maîtrise hallucinantes.

L’ambition est sans doute plus grande encore pour Napoléon. Et même s’il n’évite pas quelques longueurs (dans la partie finale surtout, qui flirte avec la grandiloquence), le film bénéficie d’un rythme incroyable, tout au long de séquences toutes mémorables. Dès la première : magnifique évocation de l’enfance de Bonaparte à l’école militaire de Brienne, avec une bataille de boules de neige homérique et la présence très symbolique (et émouvante) d’un aigle.

Le plus impressionnant : le siège de Toulon, sommet de mise en scène qui confronte la légende de l’homme aux horreurs des combats. Et voilà sans doute l’une des plus grandes batailles jamais filmées au cinéma. Parce que Gance y filme aussi bien le mouvement général des combats que les visages rageux et les corps détruits, avec un mélange d’efficacité et d’émotion inégalé.

Le film est ainsi une succession de grands moments, d’événements historiques plus ou moins romancés, qui sont aussi une manière de raconter la révolution française du point de vue de Napoléon. La manière dont Gance réussit à garder ce point de vue, alors que l’homme ne participait pas aux événements, est brillante : il filme Bonaparte installé à son bureau, dans un appartement qui domine la scène, manière de l’inclure dans le récit tout en l’en gardant à distance.

Gance accorde aussi beaucoup d’attention aux autres personnages, historiques pour la plupart, à commencer par sa rencontre avec Joséphine, et leur passion naissante. Mais les plus beaux personnages, ceux qui donnent du relief à ces figures historiques, ce sont les gens du peuple, en particulier la jeune femme jouée par Annabella (dans son tout premier rôle), jamais bien loin du futur empereur, qu’elle aime d’un amour secret.

La plus belle scène du film est, d’ailleurs, peut-être celle qui s’éloigne le plus des faits historiques. Ce moment où la jeune femme se laisse emporter par son imagination romantique : ses « noces » avec l’ombre si reconnaissable de Napoléon. La puissance de la mise en scène de Gance, entièrement au service de l’émotion… C’est beau.

On pourrait évoquer à peu près n’importe quel moment du film, tant il est riche. Ou simplement conclure : voir Napoléon dans cette version là est une expérience de cinéma rare.

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