La plus précieuse des marchandises – de Michel Hazanavicus – 2024
Serge Hazanavicus a une propension assez réjouissante à ne jamais être là où on l’attend. Refusant de se laisser enfermer dans des cases trop faciles, il n’a cessé de prendre le contre-pied de lui-même, fuyant les comédies-pastiches après OSS 117 et sa suite, ou une carrière américaine toute tracée après les Oscars de The Artist.
Et il parvient encore à nous surprendre, en se lançant dans le film d’animation. Et dans le conte. Et dans le récit de la Shoah. Autant dire que l’ambition est grande. Et le résultat est beau, sincère, humble, et d’une délicatesse qui n’étonnera pas les admirateurs du cinéaste, confronté comme tant d’autres avant lui à la même problématique : comment représenter la Shoah.
La forme du conte, avec la belle voix off de Jean-Louis Trintignant (dans son tout dernier rôle au cinéma), permet à Hazanavicus de viser l’abstraction, en ne montrant des camps d’extermination que des visages émaciés, des regards hallucinés, et des visions cauchemardesques. Littéralement : comme sorties des rêves horrifiés de ceux à qui on a tout pris.
Jean-Claude Grumberg, dont la famille a été décimée dans les camps de la mort, a écrit le conte. Hazanavicus le porte à l’écran avec un grand respect, et avec la volonté de mettre en valeur la dignité de ses personnages, qu’il a lui-même dessinés dans une sorte d’épure qui colle parfaitement au ton du film.
Le conte, donc, une sorte de contre-pied au Petit Poucet, cette histoire idiote… « Où a-t-on vu des parents abandonner un enfant parce qu’ils n’avaient pas de quoi le nourrir », ironise la voix de Trintignant. Là aussi, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne, une forêt, un enfant perdu… Mais cet enfant, c’est un bébé lancé d’un train fonçant vers la mort par un père désespéré.
C’est un « sans-cœur », comme les appellent les gens d’ici, dans ce film où le mot « Juif » n’est jamais prononcé. Un sans-cœur recueilli par pauvre bûcheronne, mais dont pauvre bûcheron ne veut pas, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il a un cœur. Le conte est bouleversant, révoltant, et beau, dans ce qu’il dit de l’autre, de la différence, de l’attention.
La Plus précieuse des marchandises est un film dur, cruel, mais aussi plein de vie. Et Hazanavicus réussit le miracle de ne jamais être larmoyant. Pas facile, avec une telle histoire. Cette délicatesse constamment tenue, et l’élégante épure des dessins et de l’animation, en font une belle et grande réussite.