Lettres d’Iwo Jima (Letters from Iwo Jima / Iōjima kara no tegami) – de Clint Eastwood – 2006
Ne serait-ce que parce qu’il existe, Lettres d’Iwo Jima est un film exemplaire, et important. Y a-t-il, dans l’histoire du cinéma, une expérience comparable à celle que propose Clint Eastwood avec son diptyque sur la bataille d’Iwo Jima ? C’est fort possible, mais rien ne me vient à l’esprit. Pas, en tout cas, avec cette volonté d’adopter aussi radicalement des points de vue opposés.
C’était il y a pas loin de vingt ans, et la nouvelle en avait surpris plus d’un : après avoir officiellement lancé Mémoires de nos pères, Eastwood annonçait qu’il réaliserait un second film sur la guerre du Pacifique, et sur la même bataille, mais du point de vue des Japonais. Mieux : un film en Japonais, dont tous les personnages sont joués par des acteurs japonais, et où les Américains se contenteraient d’apparitions.
Ce choix pouvait laisser dubitatif, et laisser craindre une opération bonne conscience. Mais Lettres d’Iwo Jima vaut bien mieux que ça. Il n’a rien d’un simple complément au point de vue américain de son précédent film. A vrai dire, les deux films sont assez radicalement différents au niveau de la structure, et même de l’esprit. Mémoires de nos pères était une réflexion passionnante sur la figure du héros, avec une construction complexe qu’Eastwood reprendrait dans Sully. Lettres d’Iwo Jima, à l’opposée, adopte une narration très linéaire.
Linéaire, mais d’une grande richesse, et d’une extrême sensibilité, ce qui ne saurait désormais surprendre de la part du cinéaste. Ce qui peut un peu plus surprendre, c’est à quel point son film dénonce les horreurs et l’absurdité de la guerre, et de tout sentiment de patriotisme. De quoi balayer définitivement les caricatures encore souvent faites d’Eastwood. Américains ? Japonais ? Quelle différence, au fond…
Bien sûr, le film n’est pas si simpliste. Il n’élude pas, loin s’en faut, la fierté jusqu’au-boutiste d’un peuple qui avait élevé au rang de devoir national la nécessité de vaincre ou mourir au combat. Cet aspect mortifère est omniprésent, il est même le cœur battant de ce film bouleversant, qui concentre habilement le gâchis de cette guerre sur deux personnages principaux, très différents mais également tiraillés.
D’un côté, un jeune soldat sans expérience et sans envergure, Saigo (Kazunari Ninomiya), pour lequel la guerre se résume à creuser : creuser des tranchées inutiles sur une plage d’un noir d’encre, puis creuser d’interminables galeries dans lesquelles son destin va se jouer, comme s’il creuser sa propre tombe. Un gamin, presque, hanté par la promesse qu’il a faite à sa jeune épouse de rentrer vivant.
De l’autre, le général Kuribayashi (la star Ken Watanabe), propulsé à la tête de ces troupes chargées de défendre l’île si inamicale et stérile d’Iwo Jima. Très vite conscient qu’il n’y a pas d’autre issue que la mort, l’officier est pourtant hanté par ses années d’études passées aux États-Unis, par les amitiés qu’il s’y est faites, par l’absurdité de devoir tuer des hommes qui sont les ennemis de son pays, mais qu’il considère comme des frères.
Ces deux portraits qui ne cessent de se croiser sont l’armature de ce film déchirant, où la guerre n’est d’abord qu’une rumeur lointaine, dont on ne voit rien d’autre que les préparatifs des hommes pour une bataille que l’on sait être terrible (parce qu’elle est dans les livres d’histoire, et parce qu’on a en tête les images de Mémoires de nos pères). Eastwood prend son temps. L’irruption de la violence, soudaine et radicale, n’en est que plus saisissante.
Visuellement, le film est très proche de Mémoires de nos pères dans son absence presque totale de couleurs vives. Une tendance lourde alors, dans le cinéma d’Eastwood, qui tendait de plus en plus vers ce qui ressemble à du noir et blanc. Dans les tunnels sans fin d’Iwo Jima, l’effet est particulièrement saisissant, et souligne les visages fantomatiques de ces morts en marche, et la force de ce grand film de guerre humaniste.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.