Juré n°2 (Juror #2) – de Clint Eastwood – 2024
Finir une carrière aussi exceptionnelle que celle de Clint Eastwood sur un film aussi raté que Cry Macho aurait été un vrai crève cœur. Peut-être Juré n°2 ne sera-t-il pas le dernier (mais à 94 ans, il faut quand même commencer à se préparer). Mais si c’est le cas, cela fait une porte de sortie nettement plus enthousiasmante.
Retour au film judiciaire pour le grand Clint, qui avait déjà abordé le genre avec son très beau Minuit dans le jardin du bien et du mal (et d’une manière plus anecdotique avec Jugé coupable). Retour à Savannah aussi, mais dans un style très différent du précédent, avec une sorte de drame intime, dont l’histoire rappelle curieusement le meilleur film… de Georges Lautner : Le Septième Juré.
C’est le deuxième, ici, mais l’idée centrale est la même : notre héros, joué par Nicholas Hoult (très bien), est appelé pour être juré dans un procès pour meurtre, et réalise que c’est sans doute lui l’auteur du crime. Dans le film de Lautner, le personnage joué par Bernard Blier savait qu’il était un tueur. Ici, il le découvre quand commence le procès, grâce à un scénario très malin, qui utilise habilement des flash backs révélateurs, et les ressors habituels du film de procès.
Le film commence comme Le Septième Juré, continue comme 12 hommes en colère, mais impose rapidement un ton très singulier, avec une vision acerbe de la justice et une réflexion assez complexe sur la notion de devoir et d’héroïsme, qui se défait du manichéisme attendu et de rigueur. On en est même très loin, avec un cynisme qu’Eastwood semblait avoir perdu depuis longtemps, et qui confirme que le cinéaste a encore un regard singulier, et même acéré.
Le principal défaut du film, c’est son montage (un peu trop) au cordeau, qui résume beaucoup de scènes à leur simple usage narratif, en laissant peu de place aux échanges et à l’imprévu. A l’exception, comme souvent chez Eastwood, de quelques séquences dans les bars, dont l’ambiance incite le cinéaste à prendre son temps.
Mais visuellement, c’est sa plus belle réussite depuis des années. Les scènes d’intérieur surtout (dont celles du tribunal), éclairées par une lumière diffuse où se mélangent les tâches lumineuses et les ombres, rappelant la fameuse scène du Corbeau (« où est l’ombre, où est la lumière ? »), belle manière de visualiser la lutte interne très complexe entre le bien et le mal.
Une thématique qui donne à Nicholas Hoult, mais aussi à Toni Collette dans le rôle de la procureure ambitieuse, de très beaux rôles, profonds et nuancés. En tant que cinéaste et directeur d’acteurs, Eastwood en a encore sous le pied, et ça fait plaisir…