La Nuit des forains (Gycklarnas afton) – d’Ingmar Bergman – 1953
Il n’a l’air de rien, ce Bergman, fait de petites choses et qui se termine comme il a commencé. Et pourtant, il est d’une richesse assez exceptionnelle, à la fois peinture pleine de vie du quotidien d’un petit cirque ambulant, histoire d’amour improbable, et réflexion douce amère sur la peur du lendemain et les doutes concernant sa propre condition.
Le directeur de cirque Alberti (Åke Grönberg) est un homme fatigué et rempli de doutes. Il n’est plus un jeune homme, son embonpoint prononcé rend ses gestes lourds et difficiles, et la présence de sa toute jeune compagne à ses côtés n’y fait rien : la vie de cirque lui pèse. L’escale prévue dans la petite ville où vivent la femme et les enfants qu’il a abandonnés trois ans plus tôt éveille en lui des rêves d’une vie bourgeoise…
Sa toute jeune compagne, c’est Harriet Andersson, que Bergman retrouve juste après Monika. Elle aussi, derrière sa sensualité et son regard plein de vie, cache mal une sorte de malaise et des interrogations sur son avenir. Jusqu’à se jeter dans les bras d’un comédien pompeux et arrogant…
Le couple, dans ce film (comme souvent chez Bergman), n’est pas exactement un havre de paix. Ces deux-là semblent vivre une histoire d’amour sans nuage. Mais le doute s’immisce bientôt, lorsqu’un pote du directeur lui raconte une histoire survenue sept ans plus tôt, concernant un autre couple de la troupe. Le film est à peine commencé, l’histoire pas encore en place, et Bergman s’offre alors un flash-back assez fascinant dans un style quasi-expressionniste, avec noir et blanc saturé et sans parole ou presque.
Après cette entrée en matière formellement spectaculaire, Bergman se fait d’avantage peintre du quotidien, et de l’humain, filmant les retrouvailles du directeur et de sa femme, et son désir de tout quitter pour vivre cette vie bourgeoise qu’elle a choisie, de partager son bonheur. Mais ce bonheur simple et serein, peut-être le doit-elle moins à sa réussite sociale qu’au fait d’avoir échappé à ce couple qui l’empêchait d’être une femme épanouie et libre. Autre thème fort de Bergman.
Entre le folklore du monde du cirque, et les affres de ceux qui le font, Bergman trouve un équilibre idéal, filmant les groupes et les visages avec la même intensité, dissimulant derrière le rythme d’une comédie un film beau et profond, et profondément humain.