May December (id.) – de Todd Haynes – 2023
Todd Haynes est-il délicat en diable, ou avance-t-il avec d’énormes sabots ? Me voilà bien incapable de trancher après avoir vu May December, film à multiples facettes sur la domination, et plus encore : la vampirisation.
Et qui est le vampire le plus angoissant de cette histoire ? Cette femme qui a créé le scandale vingt-cinq ans plus tôt en tombant amoureuse d’un gamin de 13 ans qu’elle a épousé après avoir été condamnée pour ça ? Ou cette actrice hollywoodienne qui vient aujourd’hui se familiariser avec cette la famille de cette femme qu’elle doit incarner à l’écran ?
Haynes joue sur ces incertitudes, sur ces interrogations, pour installer d’emblée une atmosphère troublante, renforcée par la musique très décalée inspirée par le thème du Messager de Michel Legrand. Bien plus qu’un clin d’œil cinéphile d’un cinéaste que l’on sait sous influence (celle de Sirk dans Loin du Paradis notamment) : une manière de marquer sans en avoir l’air le choc de deux époques qui se télescopent. Là aussi sur plusieurs plans.
Télescopage du fait divers qui a défrayé la chronique, du quotidien apparemment sans vague, et de l’irruption de la grande machine hollywoodienne. Télescopage aussi de cette épouse et de ce mari qui semblent ne faire qu’un, et qui pourtant appartiennent à deux générations différentes, et peut-être bien inconciliables…
Il est malaisant ce film, mais Haynes ne laisse guère planer de doute sur sa vision de ce couple. Julianne Moore, forcément formidable, réussit à être à la fois parfaitement charmante, et glaçante. Il faut voir son sourire aimant de mère lorsqu’elle lance à sa fille qui lui présente une robe sans manche qu’elle l’admire pour oser montrer ses bras en se fichant des canons habituels de beauté… Blurp.
Il faut voir aussi les manières de petit garçon mal dégrossi de son mari (Charles Melton), qui semble tellement moins mûr, moins adulte, et surtout plus soumis que ses propres enfants… Parce que oui, comme il le formulera bien tardivement : 13 ans, c’est peut-être un peu jeune pour prendre des décisions, et s’engager ainsi dans la vie…
Haynes est finalement très sage, donc, dans sa manière de filmer ce couple. Il est beaucoup plus trouble, et troublant, avec le personnage de l’actrice, que joue Natalie Portman. Une femme charmante, douce, compréhensive, ouverte… mais aussi une sangsue, venue pour se nourrir des douleurs de cette famille dysfonctionnelle.
Formellement, c’est d’ailleurs lorsqu’il filme Natalie Portman que Haynes se montre le plus audacieux, le plus inventif, jouant sur l’imaginaire de l’actrice, sur son approche caméléon de son modèle. Déjà en représentation, comme d’ailleurs la plupart des personnages. C’est dans le décalage entre les apparences apaisées et la meurtrissure des êtres que May December est le plus troublant.