Un silence – de Joaquim Lafosse – 2023
Joaquim Lafosse prend un parti-pris puissant et casse-gueule avec ce film inspiré d’une histoire vraie : celle de l’avocat des victimes de l’affaire Dutroux, condamné à son tour pour détention de photos pédopornographies : celui d’adopter le point de vue quasi-exclusif de la famille. Celui de la femme de l’avocat en l’occurrence, interprétée par une Emmanuelle Devos toute en douleur renfermée.
Le point de vue est fort, et les choix du cinéastes radicaux. Aucun signe d’empathie dans sa mise en scène, qui nous plonge au cœur du drame, et plus encore dans l’esprit de cette femme à la fois victime passive et coupable de trop de dénis. Le film s’ouvre sur un long plan séquence, la caméra au plus près de son visage tourmenté. Interminable plan où se lit déjà ce mélange de douleur extrême et de recul désincarné.
Parce qu’elle sait, depuis trente ans, que son mari a des tendances pédophiles auxquelles il a cédé au moins une fois. Parce qu’elle s’en est accommodé, se réfugiant dans le confort grand-bourgeois de sa vie, assumant son rôle de mère sans trop s’interroger sur les raisons pour lesquelles sa fille devenue mère ne veut plus côtoyer son père, ou sur les dérives de son plus jeune fils.
Une grande partie du film se déroule dans cette ambiance familiale, où le père avocat est cantonné à une présence opaque, n’existant réellement que devant les caméras des journalistes l’affaire de pédophilie dont il est l’avocat vedette. Et c’est un tour de force pour Daniel Auteuil, dans le rôle forcément difficile d’un homme dont on devine les tiraillements internes, mais qui se réfugient derrière une posture castratrice abominable.
Ces longues scènes familiales sont éprouvantes, parce qu’on n’y voit à peu près rien d’autre que ce que veut bien y voir l’épouse et mère, qui assiste immobile au naufrage de son fils, se révoltant de la plainte tardive d’un neveu victime de son mari il y a trente ans. « Pourquoi maintenant ? Il s’est excusé, il s’est soigné… Ce ne sera jamais assez ? » Ben non.
Dans cette atmosphère étouffante, Lafosse nous offre de brèves respirations : ces courts moments où le point de vue devient celui de la commissaire qui enquête, et qu’interprète une Jeanne Cherhal quasi-débutante et parfaite. Les horreurs qu’elle révèle, parce qu’ils sont formulés et sortent du dénis, sont comme de sinistres bulles d’air.
Un silence n’est pas un film aimable. Mais c’est un film juste et terriblement fort, dont on sort secoué.