Une poule dans le vent / Une femme dans le vent (Kaze no naka no mendori) – de Yasujiro Ozu – 1948
Deuxième film de l’après-guerre pour Ozu, après Récit d’un propriétaire, et on sent que le cinéaste est encore très marqué par ce conflit qu’il a vécu rudement de l’intérieur. Dans son style inimitable à hauteur de tatamis… et de gravas, il filme un Japon qui n’a pas encore pansé ses plaies, et qui ne s’est pas encore reconstruit.
Le décor est souvent important pour les petits objets ou la place de la nature dans les films d’Ozu. Ici aussi d’une certaine manière, mais « l’objet » qui domine, c’est cet immense réservoir qui surplombe les maisons et les terrains vagues, et dont les personnages semblent ne pas pouvoir s’éloigner, ombre pesante qui semble étouffer une certaine vision du Japon, qui aurait disparu avec la guerre.
Ozu n’a jamais filmé frontalement le conflit. Mais avec ce film plus sans doute qu’avec aucun autre, il en fait ressentir les effets. En filmant d’abord une jeune mère courage qui attend désespérément le retour de son mari, parti pour le front quatre ans plus tôt et pas encore démobilisé, et qui doit se résoudre à se prostituer le temps d’une soirée pour payer les soins de son fils tombé malade.
C’est Kinuyo Tanaka, immense star du cinéma japonais qui fut une interprète fidèle d’Ozu une quinzaine d’années plus tôt (à partir de J’ai été diplômé, mais…), et qui deviendrait cinq ans plus tard une réalisatrice remarquable (avec Lettre d’amour). On n’en est pas encore là : elle est en 1948 une grande actrice, déchirante dans le rôle de cette femme que le retour de son mari confronte à ses choix.
C’est poignant, déchirant même lorsque le visage de Tanaka brise le masque qu’elle tentait de garder, révélant son extrême désespoir face à un mari (Shuji Sano, formidable lui aussi) comme transformé en bloc de marbre. Et c’est quand lui tombe l’armure que le film est, peut-être, le plus émouvant : lorsque, face à une autre femme ayant dû se résoudre à vendre ses charmes, il réalise l’ampleur de ce qu’on vécu les femmes pendant son absence, et ce qu’elles endurent encore.
Je m’étais juré de ne plus utiliser le terme « magnifique » en évoquant un film d’Ozu. Trop facile, trop évident. Mais que ce film est beau, encore. Ozu a ce talent rare de transformer la simplicité en moments de grâce. A vrai dire, c’est tout simplement magnifique.
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