La Grande Passion – d’André Hugon – 1928
Il serait sans doute très présomptueux d’affirmer qu’André Hugon invente ici le film de sports. En creusant un peu, on doit pouvoir trouver cinquante exemples de films antérieurs. Variétés par exemple, si on part du principe que le trapèze est bien un sport, et dont l’intrigue présente quelques points communs avec cette Grande Passion.
Dans les deux cas, on trouve deux partenaires d’un même sport, attirés par la même femme. Et dans les deux cas, c’est le contexte sportif qui sort le film du classique schéma du triangle amoureux. Cela dit, la comparaison s’arrête là, ne serait-ce que parce que là où le trapèze était au fond un simple ressort dramatique, le rugby ici semble être la raison d’être première du film.
Sans vouloir balayer d’un revers de la main la tension amoureuse de ce triangle-qui-est-en-fait-un-carré (Hugon s’en charge lui-même), il faut bien reconnaître que l’intrigue n’a pas grand-intérêt, et que le personnage de la vamp tentatrice et manipulatrice jouée par Lil Dagover (Le Cabinet du Docteur Caligari, Les Trois Lumières, Tartuffe… une carrière de dingue dans les années 20) n’a pas un relief incroyable.
Ce carré amoureux, donc, est en fait prétexte à multiplier les morceaux de bravoure et les expérimentations. Et c’est là que se situe tout l’intérêt, la réussite, et aussi les limites de La Grande Passion. Et pas seulement sur les terrains de rugby, qui constituent le cœur vital du film : on compte aussi quelques scènes de luge (molles du genou) et une course-poursuite à ski (plus percutante que bien des scènes similaires dans les décennies à venir).
Mais là où le film est vraiment passionnant, c’est dans sa manière de nous plonger dans l’effervescence d’un match de rugby. A la fois dans l’attente d’un grand match international, avec de longues scènes de liesse populaire volées dans la rue, forcément très immersives. Et surtout dans le stade, avec des spectateurs qui sont sans doute d’authentiques supporters. Et sur le terrain bien sûr.
C’est là qu’André Hugon se montre le plus ambitieux, se posant pour le coup comme un authentique précurseur du film sportif, alternant les plans larges qui semblent être documentaires, et des gros plans inventifs… et plus ou moins convaincants. Hugon reprend et développe ainsi l’utilisation des planchers de verre, popularisés par The Lodger d’Hitchcock l’année précédente, qui permettent littéralement d’adopter le point de vue du sol. Ce qui donne quelques images étonnantes et étrangement immersives.
Plus problématiques : ces faux travellings censés accompagnés les joueurs lancés en pleine course… dont on voit bien qu’ils font semblant de courir devant un fond qui défile. Franchement rigolos pour le coup, ce qui n’est clairement pas le but. Ce serait un peu facile de ricaner près d’un siècle plus tard. Saluons pour le moins les efforts, profitons des belles trouvailles et du rythme généreux… La Grande Passion est une curiosité très séduisante.
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