Maman Colibri – de Julien Duvivier – 1929
Sur le papier, Maman Colibri semble bien moins ambitieux que Le Tourbillon de Paris, La Divine Croisière ou Au bonheur des Dames, pour ne citer que quelques-uns des joyaux muets de Duvivier : un simple mélo, énième variation autour du thème de la femme martyr.
A l’écran, c’est tout le génie et la sensibilité du cinéaste qui apparaissent, éclatantes. L’utilisation des gros plans, des silences (oui, même dans le muet, il y a des silences qui en disent long), du montage… Tout dans ce film est une apologie de la puissance inégalable du langage cinématographique.
Devant la caméra de Duvivier, cette mère de famille interprétée par Maria Jacobini (37 ans au moment du tournage, sans doute un peu jeune pour le rôle, mais elle est magnifique) devient une sorte de symbole féministe, ou plutôt de l’injustice institutionnalisée dont sont victimes les femmes.
Elle, entre deux âge, étouffée entre un mari raide et autoritaire, un fils aîné dédaigneux, et une folle envie de vivre, un besoin que le corps exulte. Alors elle « se laisse tomber amoureuse » d’un jeune homme, un ami de son fils, qui lui-même n’a jamais connu l’amour. Ils s’aiment, ils partent ensemble. Mais tout ça n’aura qu’un temps…
Le sujet, en fait, est d’une grande force : cette femme qui cherche à vivre cette jeunesse dont, sans doute, elle a été privée, et qui s’observe longuement dans le miroir, guettant les premières rides, ou les signes encore présents de sa jeunesse. C’est bouleversant.
Cette femme, condamnée à vivre à travers le regard des hommes. Celui, glaçant, de son mari. Celui, d’abord tendre puis fuyant de son amant, qui l’emmène en Algérie, dans un décor de rêve où tout finit par se déliter.
Duvivier, bien sûr, tourne en décors naturels, et le contraste est fort entre la grisaille parisienne et le soleil éclatant d’Algérie, dont il capte l’atmosphère, presque le parfum. On lui pardonne une poignée de plans kaléiodoscopiques (tout en se demandant à quoi ils peuvent bien servir), pour s’extasier sur les travellings, les mouvements de grue, les alternances de gros plans et de plans larges.
La manière, aussi, dont il joue avec les décors naturels et les décors de studios. Aux grandes étendues lumineuses des extérieurs algériens, succèdent des plans d’intérieurs, où les éléments de décors (comme le piano) semblent enfermer la triste héroïne, pas dupe de l’isolement dans lequel elle est poussée.
C’est beau, c’est brillant, et la conclusion est d’une intensité renversante, tout en évitant la surenchère qui, trop souvent, plonge les mélos. Ce n’est pas le cas chez Duvivier, qui a bien compris que le destin de cette femme, son voyage désabusé des derniers feux de la jeunesse à l’âge mûr, est suffisamment poignant pour ne pas en rajouter.