Fleurs d’équinoxe (Higanbana) – de Yasujiro Ozu – 1958
Le thème revient de film en film, toujours le même : une jeune femme à l’âge de se marier, et de quitter le nid familial, laissant des parents pas si préparés que ça à affronter l’autre partie de leur vie. Toujours le même thème, toujours cette petite musique faite d’éclats sublimes, et pourtant toujours différent… Ozu tel qu’en lui-même, réussit néanmoins à surprendre, et surtout à séduire.
Fleurs d’équinoxe est une merveille. Le dire est presque une évidence, tant chacun des films d’Ozu est un enchantement. Celui-ci saisit par ses accès de sublime beauté, d’émotion qui vous étreint lorsque, derrière la légèreté d’un sourire, apparaît la simplicité nue d’un sentiment jusqu’alors voilé : la mère qui se réjouit, et dont le rictus se fige subrepticement. Puis un plan sur du linge qui sèche au vent. Ozu, dans toute sa beauté.
Ce film-ci a une saveur particulière, peut-être parce qu’il est le premier pour lequel Ozu choisit la couleur. Et peut-être parce qu’il fait preuve d’une incroyable maîtrise dans l’utilisation de cette couleur. Peut-être aussi parce qu’il est, sans donner l’air d’y toucher, son film le plus ouvertement féministe. Le plus ironique sans doute sur ce patriarcat si éhonté qui règne encore…
Ozu opte pour le point de vue du père, garant strict et austère d’une vieille tradition qui veut que les filles épousent les hommes qu’on choisit pour elles. Mais un garant pas totalement dupe, qui salue devant un jeune couple fraîchement marié la chance qu’ils ont de pouvoir se marier d’amour. Bon… La scène se passe dans un mariage particulièrement sinistre, et le discours se montre d’une incroyable cruauté sourde pour sa propre épouse, rabaissée à son statut de mariée subie.
Cette femme, cette épouse, cette mère… si effacée… si soumise en apparence. C’est pourtant à elle qu’Ozu réserve toutes les pulsions motrices du récit. Le progressisme et la passion des femmes, face au traditionalisme et au rigorisme des hommes. On retrouve le thème si cher à Ozu de la modernité face aux traditions, thème qui épouse ici les contours du féminisme.
Même en plaçant l’homme au cœur de son film, Ozu ne parle ici presque que des femmes, quel que soit leur âge, quel que soit leurs envies, leurs passions, leurs frustrations… Dans chaque scène, il semble le crier avec une émotion déchirante : le monde tel qu’on la connu touche à sa fin. L’avenir appartient aux femmes, mais pas sûr que les hommes y aillent de gaîté de cœur. C’est lumineux, et d’une beauté fulgurante. C’est Ozu.
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