La Proie du vent – de René Clair – 1926
Voilà un film parfait pour illustrer la manière dont la mise en scène peut transcender un sujet. Celui de La Proie du vent aurait pu accoucher d’une petite chose anodine et sans grande conséquence. René Clair en fait un modèle de virtuosité, un film profondément immersif qui fait de la vitesse et de l’action les motifs principaux.
Le film intrigue dès les premières minutes, qui narrent deux histoires sans rapport apparent en séquences parallèles. D’une part, les voyages d’un aviateur à qui est confié le soin d’ouvrir une nouvelle ligne commerciale. D’autre part, le désespoir d’une jeune femme jetée au fond d’un cachot avec sa mère mourante, dans un pays d’Europe de l’Est en pleine révolution. Ce n’est pas la Russie mais un pays imaginaire du nom de « Libanie », mais l’ombre de la Révolution de 1917 plane : le film est produit par Albatros, la compagnie des Russes blancs installés à Paris.
Bref. Comment donc ces deux intrigues vont-elles se rencontrer ? Par le biais d’un atterrissage forcé dans le parc d’un château au cœur d’une immense forêt, épisode trop beau pour être vraiment vrai, surtout que l’aviateur (Charles Vanel, la gueule d’un mec sur le point de faire de grosses bêtises) tombe amoureux de la maîtresse des lieux, amour qui semble réciproque, et lui aussi trop beau pour être vrai.
Ce qui compte, ce n’est pas tant l’histoire, dont on voit arriver le rebondissement gros comme une maison mais ce que fait René Clair des séquences de suspense, ou d’action. Les scènes aérienne d’abord, réalisées avec l’aide d’Albert Préjean, qui se contente de jouer les figurants entre deux réglages de séquences spectaculaires vues du ciel. Et plus encore les moments de doutes et de tensions, dont Clair fait des morceaux de bravoure qui nous plongent dans les interrogations de son héros.
Une scène, notamment, impressionne. Celle où Vanel observe derrière sa fenêtre le rai de lumière de la chambre d’en face, derrière lequel son cerveau rongé par la jalousie imagine le pire des scénarios. Ou cette pseudo-course poursuite d’une virtuosité assez dingue, où tout est vitesse et intensité. C’est brillant, jamais gratuit, toujours au service non de l’intrigue, mais de l’impression : avec ce film, René Clair semble déjà avoir tout compris au langage cinématographique, comme art de créer de la sensation.
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