Le Fugitif – de Robert Bibal – 1947
« C’est un faiseur dont la plupart des films sont minables. » Cette sentence à peu près définitive, c’est Bertrand Tavernier qui la signe à propos de Robert Bibal, réalisateur dont je n’avais jusqu’à présent jamais entendu parler. Jusqu’à ce que je tombe par hasard sur les premières minutes du Fugitif, qui me parurent fort prometteuses. Dans le même temps, je suis tombé sur ce commentaire lapidaire de Tavernier, simple réponse à une question lancée sur le blog qu’il animait. A ma connaissance la seule référence que le cinéaste-cinéphile ait faite à Bibal.
Ce double constat (l’acidité de Tavernier et la bonne impression laissée par les premières minutes du film) a en tout cas fait naître une grande curiosité chez moi : Bibal est-il aussi minable ? Dans le pire des cas, la médiocrité de la chose devrait me faire abandonner la partie au bout de quinze minutes. Pas cher payé en termes de temps pour essayer de comprendre le jugement si sévère du plus grand de nos passeurs.
90 minutes plus tard, c’est une interrogation qui domine : pourquoi donc Tavernier a-t-il été si dure ? Deux réponses possibles, à mon avis… 1) Tous les autres films de Bibal sont catastrophique. 2) Tavernier l’a découvert à travers des ratages. Dans tous les cas sans voir ce Fugitif qui n’est certes pas dépourvu de défauts, mais qui suffit à faire de Bibal un réalisateur à ne pas mépriser, voire même à réhabiliter.
C’est un polar qui tient de l’épure : dans une région paumée du grand Nord, un homme évadé de prison débarque à la recherche de celle qu’il a aimée, et de celui qui l’a doublé et trahi. L’intrigue policière n’a aucun intérêt. Elle est d’ailleurs rapidement évacuée : celui qui a l’air le plus couple est le coupable. L’histoire d’amour n’est guère plus importante : le personnage de Simone, jouée par Madeleine Robinson, s’avère d’ailleurs très secondaire.
Là où le film est le plus réussi, c’est dans sa peinture de cette contrée paumée, perdue dans la neige, comme coupée du monde, où tant de personnages semblent en transit, du shérif à la chanteuse de saloon, en passant par l’arnaqueur… Dit comme ça, on aurait le sentiment d’être dans un western. Et c’est bien ce qu’est Le Fugitif : un western. Contemporain, enneigé et français, mais un western, dont Bibal reprend tous les codes, et cette simplicité frontale qui colle si bien au genre.
Psychologiquement, c’est un peu sommaire. Mais les acteurs sont tous très dans le ton, le film est plutôt tendu, et le côté western est tenu jusqu’à la conclusion… De quoi s’interroger sur la filmo de Bibal, dont on se demande bien pourquoi il a sombré dans un tel oubli. Il semble que personne ne se soit intéressé à lui depuis la naissance d’Internet. M’en vais peut-être tâcher d’investiguer un peu plus en avant…