Coup de chance – de Woody Allen – 2023
Jusqu’alors, quand Woody Allen venait tourner en France, c’était par amour pour la culture française, et particulièrement pour Paris. Cela donnait Tout le monde dit I love you et Minuit à Paris, deux de ses films les plus magiques. Aujourd’hui, il ne faut pas trop se faire d’illusion : s’il a tourné Coup de chance à Paris (et en français, une première), c’est parce qu’il est tricard en Amérique.
Et on sent bien qu’il n’y a pas la conviction qu’on trouvait dans ses précédents films parisiens. D’ailleurs, le film se passe à Paris, mais il aurait tout aussi bien pu se passer à Londres, à New York, à Barcelone, ou dans toute autre ville correspondant à son univers. C’est-à-dire très privilégiée, et pour le coup assez hermétique aux petits soucis du quotidien.
Dans Coup de chance, l’héroïne interprétée par Lou de Laâge travaille pour une agence de vente aux enchères (de luxe bien sûr), sans passion. Et elle est mariée avec un homme très riche (Melvil Poupaud, qui commence à se faire une habitude des maris toxiques), dont le métier est de faire gagner encore plus d’argent à des gens très riches, et qui la considère comme une « femme-trophée » (je n’invente pas, le terme doit être utilisé une demi-douzaine de fois). Même pas envie d’évoquer l’appartement dans le cœur de Paris, qui doit faire 200 m2…
Mais son rêve de jeunesse n’était pas d’être une femme-trophée. Elle avait des goûts simples, des envies banales. Un peu comme cet ancien camarade (Niels Schneider) qu’elle croise par hasard, et avec qui elle entame une belle histoire d’amour adultère. Sans doute aussi parce qu’il lui rappelle la femme simple qu’elle fut.
Lui est allée au bout de ses rêves, parce qu’il est resté un homme simple : un écrivain qui vit la bohême. Ce qui est beau avec le métier d’écrivain, c’est qu’on peut écrire n’importe où : à New York, à Londres, à Paris… Je n’invente toujours pas : c’est ce qu’il dit, dans son appartement parisien mansardé à faire pâlir d’envie les plus grands hommes d’affaire. Bref, la notion d’argent n’a pas cours chez Woody Allen.
Ce n’est pas tout à fait nouveau, ni un cas unique dans le cinéma, mais cela créer tout de même une distance un peu gênante avec le spectateur lambda, si cinéphile soit-il, et si admirateur du cinéma d’Allen soit-il. Quand apparaît le personnage joué par Valérie Lemercier (la mère de l’héroïne), vaguement snob et très attachée à un certain standing, on se dit qu’il y a là le début d’une vision critique de cette débauche de luxe. Mais non.
Bien sûr, le personnage de Melvil Poupaud est odieux (et très caricatural), dans sa manière d’étaler non pas sa fortune, mais sa réussite (la femme-trophée, toujours). Mais la critique sociale cède vite la place à un thriller franchement déroutant, avec un rebondissement choc qui plonge le film dans quelque chose d’inattendu, mais qu’Allen filme avec un détachement, voire une légèreté pour le moins troublants.
A partir de là, c’est avec un regard dubitatif et distant qu’on suit la fin du film, convaincu que cette fois, Woody avait bien perdu son mojo. Peut-être à cause de cette petite musique liée à la langue que l’on ne retrouve pas en français. Peut-être à cause de la bande son, jazzy, qui semble collée sur les images au hasard. Peut-être aussi à cause d’un scénario peut-être écrit à la va-vite. Allez savoir…
Et puis le lendemain, et puis le surlendemain, et puis les jours suivants (j’écris cette chronique une dizaine de jours après avoir vu le film), cette histoire trotte dans la tête, au lieu de disparaître comme on le pensait à la sortie de la salle. Déroutant, mais finalement un peu marquant. Coup de manche mériterait une séance de rattrapage.