Anatomie d’une chute – de Justine Triet – 2023
Même avec trois premiers films formidables, Justine Triet ne nous avait pas préparé à ce chef d’œuvre qui semble d’une profondeur infinie, et d’une précision implacable. Son grand œuvre en quelque sorte, dont l’ambition est affichée dès le titre, qui évoque bien sûr le chef d’œuvre d’Otto Preminger Autopsie d’un meurtre, autre film où l’enquête et le procès servent à décortiquer les méandres mentales et relationnelles d’un accusé.
Avec cette complexité supplémentaire qu’il ne s’agit plus d’un meurtre, mais d’une chute, celle d’un homme dans un chalet isolé des Alpes. Est-ce un accident ? Un suicide ? Ou sa femme l’a-t-elle poussé ? De ce doute naît le récit, qui s’éloigne bien vite de la simple enquête de police. Justine Triet nous y introduit par le point de vue du fils du couple, un enfant malvoyant qui n’est témoin de la scène que par des sons, des sensations, et des certitudes. Belle idée qui permet au spectateur de s’immerger dans cette atmosphère pleine d’incertitudes en se reconnaissant dans la douleur de ce garçon (Milo Machado-Graner, d’une justesse et d’une profondeur parfaites, qui évite toute la mièvrerie des enfants acteurs).
Parce qu’il est difficile de s’attacher au personnage de la mère, géniale Sandra Hüller, qui semble si froide, si détachée, si à côté de sa douleur. Elle est pourtant, dans tous les sens du terme, le cœur du film : c’est autour d’elle, de cette froideur apparente, mais aussi de sa dignité et de sa liberté revendiquée, que Justine Triet construit son film avec intelligence.
Le récit, et le procès, représentent une sorte de cheminement vers la vérité intime de cette femme, et du couple qu’elle formait avec la « victime ». Et toutes les velléité de résumer le film à un thriller finissent par s’effondrer, comme l’argumentation d’un procureur qui cherche constamment à enfermer le drame dans une notion de Bien ou de Mal.
Justine Triet va bien au-delà. Elle dessine le portrait fascinant, émouvant et puissant d’un couple toxique au-delà de tous les clichés. Difficile d’en dire trop sans déflorer les surprises, belles et nombreuses. Mettons juste que Justine Triet plonge au plus profond de l’âme humaine pour en tirer la vérité la plus intime.
C’est aussi le portrait féministe d’une femme libre, celui d’une enfance bousculée, celui d’une justice défaillante, d’une police limitée, et d’un système médiatique qui s’emballe. C’est encore une histoire d’accomplissement, de déracinement. C’est enfin une grande leçon de cinéma, qui ne la ramène jamais avec des effets facile. C’est aussi la consécration d’une très grande directrice d’acteurs. C’est bien simple : même le chien est juste, et vrai.
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