Uzak – de Nuri Bilge Ceylan – 2002
C’est avec Uzak que le public français a découvert Nuri Bilge Ceylan. Grand Prix et double-prix d’interprétation masculine à Cannes, le film peut être considéré comme le troisième volet d’une trilogie informelle, qui a commencé avec Kasaba, le premier long métrage de Ceylan. Nuages de mai en était une sorte de making-of, dont Uzak ressemble à une suite qui ne dit pas son nom.
On y retrouve le personnage interprété par Mehmet Emin Toprak, cousin et complice incontournable de Ceylan dans ses premiers films, dont c’est l’ultime apparition puisqu’il meurt dans un accident de voiture avant même la projection à Cannes. Dans Nuages de mai, il était ce jeune homme paumé qui rêvait de partir pour Istambul. Dans Uzak, son nom a changé, mais on jurerait que c’est le même jeune homme paumé qui arrive à Istambul…
Il y est hébergé, le temps qu’il trouve un boulot, par un vague cousin, qui est surtout un ancien du même village, installé lui à Istambul depuis de nombreuses années. D’emblée, une sorte de malaise s’installe entre les deux hommes, entre le « rat de ville » et le « rat des champs », qui ont si peu à se dire. Le premier multiplie les gestes qui montre au second à quel point sa présence est importune.
Le Nuri Bilge Ceylan de ces années-là n’est guère bavard : le cinéaste a souvent dit qu’il se sentait alors peu adroit avec les dialogues. Ce qui changera radicalement et de façon spectaculaire dans ses grands chefs d’œuvre à venir. Uzak est ainsi un film franchement taiseux, et ce silence souvent pesant illustre parfaitement le rapport des deux hommes, reliés uniquement par un village lointain que tous deux ont cherché à fuir
Plusieurs moments mettent en scène l’exaspération de Mahmut (Muzaffer Özdemir, lui aussi présent dans les deux premiers films de Ceylan), dont la seule ambition semble être de retrouver son calme et de pouvoir se mater un porno tranquille. Cette exaspération, il la tait, mais il la fait sentir par des silences, des regards, une manière d’aller ostensiblement éteindre une lumière laissée allumée, ou fermer une porte laisser ouverte.
Si, côté dialogues, Ceylan est loin de son état de grâce à venir, côté visuel, le génie du cinéaste est déjà à son apogée. Pas une image anodine dans Uzak, dont on pourrait encadrer chacun des photogrammes. Ceylan filme les paysages enneigés et les visages en gros plans comme personne, enfermant ses personnages dans une tension grandissante, et dans une solitude abyssale.
Visuellement somptueux et d’une profondeur extrême, comme tous les films de Ceylan, Uzak est aussi une œuvre très personnelle pour le cinéaste, qui s’inspire de sa propre vie, filme des membres de sa famille, et tourne dans son propre appartement. Ou comment transformer de petits riens, des sensations plus que des sentiments, en des moments de très grand cinéma…
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