Play it again, Sam

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Archive pour septembre, 2023

Marked men (id.) – de John Ford – 1919

Posté : 19 septembre, 2023 @ 8:00 dans 1895-1919, FILMS MUETS, FORD John, WESTERNS | Pas de commentaires »

Marked men

Encore un Ford qu’on croyait définitivement perdu… et qui l’est sans doute effectivement, à l’exception d’un court fragment que le Eye Film Institute a mis en ligne. Pour être précis, ces trois petites minutes ne sont pas officiellement attribuées à Ford, et apparaissent comme une segment anonyme.

Mais le casting (Harry Carey en tête) l’histoire que l’on devine, deux noms qui figurent sur un intertitre (en néerlandais) et un troisième aperçu sur un livre entre les mains d’un personnage lèvent tous les doutes : il s’agit bien d’une bribe de Marked Men, remake du film The Three Godfathers qu’interprétait déjà Carey en 1916, et dont Ford signera lui-même un remake trente ans plus tard (dédié à Carey).

Cette version-ci s’inscrit dans la longue série des Cheyenne Harry, popularisée par Straight Shooting ou Bucking Broadway par Ford. Un Cheyenne Harry que l’on découvre dans ce passage (sans doute la conclusion du film) laissant un bébé entre les mains d’une jeune femme, et s’apprêtant à se laisser arrêter par un homme dont on comprend qu’il représente la loi.

Il est des fragments de films perdus qui se suffisent presque à eux-mêmes. Ce n’est pas le cas de Marked Men, dont on ne comprend vraiment les enjeux que parce qu’on connaît l’histoire grâce au remake à venir. On comprend ainsi que Harry avait deux comparses qui sont morts en savant la vie du bébé, et que lui-même est un outlaw recherché par le shérif.

On comprend aussi qu’il est question de rédemption, de transmission, et que le poids du passé joue, déjà, un rôle important. De là à préjuger de la qualité du film… Dans un décor unique, et avec un montage qui semble syncopé à force sans doute d’avoir été coupé et recoupé, difficile de s’en faire une idée précise avec ces trois petites minutes, précieuses mais bien courtes.

The Wastetown (Shahre Khamoush) – d’Ahmad Bahrami – 2022

Posté : 18 septembre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, BAHRAMI Ahmad | Pas de commentaires »

The Wastetown

Un lieu unique : une casse automobile au milieu de nulle part. Une poignée de personnages seulement (sept, pas un de plus à l’écran). Peu de dialogues, encore moins d’effets faciles, de longs plans fixes dans un noir et blanc sans fioriture… Ce film iranien fait le choix de la simplicité et de la modestie, et le résultat est fascinant autant que glaçant. Parce que cette simplicité ne nuit en rien à la gravité du sujet, et à la grande force esthétique du film.

Au contraire, même. Le réalisateur iranien Ahmad Bahrami, dont c’est le troisième long métrage (et le premier à sortir en France) affiche une maîtrise exceptionnelle du langage visuel, avec ce sens du rythme assez parfait, et ces longs plans fixes qui se prolongent lorsque les personnages sont sortis du cadre, juste le temps qu’il faut pour laisser l’imagination du spectateur boucher les trous… Serait-ce l’influence du cinéma d’Ozu ?

Le sujet est fort. Une jeune femme qui vient de sortir de prison où elle a passé dix ans pour le meurtre de son mari, arrive dans cette casse où elle espère retrouver la trace du fils qui lui a été enlevé des années plus tôt. Dans cette casse, elle rencontre trois hommes, qui tous savent ce qu’est devenu l’enfant, mais qui vont chacun à leur manière utiliser leur position de mâle dominant pour profiter de la situation.

Trois hommes, trois rencontres, trois journées, et le même motif qui se répète inlassablement. Un visage fermé, une porte qui se referme, puis le broyeur de la casse qui se met en marche, et un drap blanc qui recouvre tout, comme s’il pouvait purifier la triste héroïne… Si le film a surmonté les obstacles de la censure, c’est sans doute qu’il suggère plutôt qu’il ne montre. Mais ce qu’il ne montre pas est bien là, glaçant et révoltant.

Et ce qui reste, au-delà de la beauté des images, c’est aussi le regard de Baran Kosari, bouleversante dans le rôle de cette femme abîmée, dépouillée de ses droits de mère et livrée à la volonté des hommes, qui refuse de subir. Et ce n’est rien dire de la dernière séquence, d’une force extraordinaire, qui vous remue jusqu’au plus profond. Impossible d’en dire quoi que ce soit de plus précis, mais c’est un moment qui ne laisse pas indemne.

1917 (id.) – de Sam Mendes – 2019

Posté : 17 septembre, 2023 @ 8:00 dans 2010-2019, MENDES Sam | Pas de commentaires »

1917

Après une longue parenthèse consacrée à James Bond (Skyfall et Spectre, deux films qui font référence, et qui l’ont occupé pendant pas mal d’années), Sam Mendes revenait en 2019 avec une nouvelle grosse production, qui était aussi un film très personnel pour lui, le premier qu’il écrit lui-même, inspiré des récits de guerre de son propre grand-père, à qui le film est d’ailleurs dédié.

Film personnel, auquel il tenait visiblement beaucoup, 1917 est pourtant assez anecdotique sur le fond : on pourrait assez facilement le résumer à un simple survival sur le front Ouest de la Grande Guerre, en France, en 1917 donc. Deux soldats sont chargés de traverser les lignes pour délivrer un message important qui pourrait sauver 1600 vies.

La simplicité du scénario est un parti-pris finalement fort. Le fait de tourner le film comme un unique plan-séquence de près de deux heures, donc sans montage apparent, en un autre. Pas novateur, ni même totalement convaincant dans la première partie, l’artificialité du procédé suscitant plutôt la curiosité, mais finalement très immersif.

1917 serait même le pendant « Grande Guerre » d’Il faut sauver le soldat Ryan, dans cette volonté du réalisateur de transcender une histoire simple et humaine en une immersion radicale et inédite dans les horreurs et la sinistre banalité de la guerre. Et sans doute le fait qu’une histoire de famille déchirée vienne se greffer au récit n’est pas un hasard.

Mendes ne tombe pas dans le piège de la surenchère. Même la course-poursuite dantesque dans les ruines fumantes d’un village, ou l’assaut final, ne sont filmés que du point de vue du personnage principal, soldat britannique dont on ignore tout de la vie, et qu’on n’apprend à connaître qu’à travers son visage blême et son regard dévasté, le rôle d’une vie pour George MacKay.

Brillant et passionnant, 1917 est un film impressionnant, mais surtout humain. Mendes pourrait faire le choix de l’hyperréalisme avec ce procédé de long plan-séquence. Mais le réalisme n’est que d’apparence, ne serait-ce que parce qu’il ne fait que donner le sentiment du temps réel. Il condense en fait en deux heures toute l’humanité sacrifiée, la peur, le courage, le désespoir, dans un vaste mouvement qui n’est peut-être pas totalement réaliste, mais qui est à coup sûr celui de la vie.

Hokusai (id.) – de Hajime Hashimoto – 2020

Posté : 16 septembre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, HASHIMOTO Hajime | Pas de commentaires »

Hokusai

Fait n°1 : les biopics me gavent. Fait n°2 : il y a une exception au fait n°1, les biopics de peintre. Fait n°3 : Hokusai fait partie de l’exception au fait n°1 énoncée dans le fait n°2. Et il part avec une belle ambition, celle-là même qui fait la réussite des meilleurs films du genre : mettre en image la fièvre créatrice, nous plonger dans l’âme de l’artiste.

C’est ambitieux, ça donne lieu à pas mal de très belles images, mais ce n’est qu’en partie réussi. La vie d’Hokusai, grand maître de l’estampe japonaise au XVIIIe siècle (c’est à lui qu’on doit la fameuse série de vues sur le Mont Fuji), est assez passionnante : jeune chien fou à une époque où le geste artistique est un acte politique et dangereux, qui découvre la sagesse sur le tard, et se lance à un âge déjà avancé dans un voyage solitaire à travers le Japon, d’où il tirera ses œuvres les plus célèbres.

Sa vie est passionnante, mais l’ambition de Hajime Hashimoto est donc ailleurs : dans cette volonté de donner corps à l’acte de création, qui échappe donc à toute logique purement narrative. La volonté est belle, le scénario est intelligent, l’interprétation intense, les images souvent magnifiques. Mais le réalisateur ne frôle la pure réussite qu’à deux reprises.

D’abord, lors d’une scène de tempête. Alors que les éléments se déchaînent sur le ville, balayant la poussière et les feuilles de papier, Hokusai semble sortir de la réalité du moment. Il s’installe au milieu de la rue, sort son matériel, et se met à dessiner le vent, avec avidité, comme fermé au danger qui l’entoure.

Ensuite, plus tardivement, une étonnante séquence de création met en scène, physiquement, le jeune Hokusai et le vieux Hokusai. L’acteur qui interprète le jeune chien fou et celui qui joue le vieux maître sage sont côte à côte, laissant aller leurs mains comme envoûtées par l’acte de création, aboutissement d’un parcours qui permet à l’artiste d’être enfin complet

Dans les deux cas, l’idée est belle, et les images aussi. Mais la sincérité ne suffit pas à créer ce moment de pure magie cinématographique, cette intensité irréelle qu’on attend et qui ne vient jamais vraiment. On reste à la surface de l’œuvre. Elle est belle, cette surface. Mais comme devant un tableau, on attend autre chose : qu’il/elle nous transporte, et nous bouleverse.

Burning days (Kurak Günler) – d’Emin Alper – 2022

Posté : 15 septembre, 2023 @ 8:00 dans * Polars européens, 2020-2029, ALPER Emin | Pas de commentaires »

Burning Days

Il n’y a pas que Nuri Bilge Ceylan dans le cinéma turc. L’importance du plus grand cinéaste vivant ne doit pas faire oublier d’autres noms eux aussi passionnants, comme Emin Alper qui, neuf ans et deux films après un premier long métrage très remarqué (Derrière la colline), revient avec ce thriller politique sous tension, qui réussit un premier pari assez fou sous « l’ère Ceylan » : filmer les grands espaces de l’Anatolie en échappant constamment à l’influence du réalisateur de Winter Sleep.

Ils sont pourtant importants, les paysages. Mais comme une présence envoûtante et inquiétante qui, dès les premières images, commencent à peser sur le personnage principal, tout jeune procureur venu de la ville, qui vient d’arriver dans cette petite localité perdue au milieu de nulle part, où tout semble archaïque. Tellement intègre qu’il en apparaît rigide, il est confronté à une corruption galopante, et côtoie des notables dont les principaux amusements consistent à traverser la ville en tirant vers le ciel à coups de fusils, tout en tirant derrière leur pick-up la dépouille sanglante d’un sanglier abattu.

Il y a des allures de western dans Burning Days. De film noir aussi, avec cette histoire d’eau lourde qui ne peut pas ne pas faire penser à Chinatown, d’autant plus que le même sentiment de paranoïa généralisée ne cesse de se développer. Quelque chose de bestial aussi, qui fait un peu penser au récent et puissant Serment de Pamfir, dans une séquence alcoolisée qui fait basculer le récit vers une dimension plus cauchemardesque. Et même quelque chose du cinéma de Carpenter dans un final étouffant au suspense hallucinant.

Ce personnage de procureur est en tout cas fascinant. Trop droit, trois jeune, trop lisse, trop pâle même, et trop différent pour ne pas se heurter frontalement à une population autochtone dont on ne sait si elle est composée d’idiots ou de monstres. Ce doute est constant, oppressant, jusqu’à donner lieu à un final quasi irréel, et inoubliable.

En tant que film de genre, Burning Days est déjà très, très intense. Mais Emin Alper signe par ailleurs un film éminemment politique, beaucoup plus que le cinéma de Ceylan par exemple. Il met en scène un pays tiraillé entre l’Est et l’Ouest, gangrené par la corruption, ancré dans des traditions d’un autre temps, profondément et dangereusement homophobe… Glaçant.

Les Rats (Die Ratten) – de Robert Siodmak – 1955

Posté : 14 septembre, 2023 @ 8:00 dans 1950-1959, SIODMAK Robert | Pas de commentaires »

Les Rats

Les Tueurs, Criss Cross, La Proie… Robert Siodmak est un grand, un très grand réalisateur de films noirs américains. Mister Flow, Pièges, ou (et surtout) Mollenard… Siodmak est aussi un excellent réalisateur de films français sombres et intenses. Finalement, c’est la filmographie allemande de cet Allemand (né aux Etats-Unis) qui reste la plus obscure. Il y a pourtant commencé et terminé sa carrière. Les Rats y marque son retour, premier film qu’il tourne outre-Rhin depuis trente ans.

On n’est pas à proprement parler dans un film noir : pas de crime, pas de flic, pas (vraiment) de vamp. Mais l’atmosphère est bien là, faite d’ombres très profondes, de petits arrangements, de désespoir et d’une populace marquée par le destin. Le contexte – le Berlin tiraillé des années d’après-guerre – renforce cette impression de plonger dans les bas-fonds d’un no man’s land.

Mais pas de crime, donc. En tout cas pas tel qu’on l’imagine. Fondamentalement, c’est un pur et grand mélodrame que signe Siodmak, avec l’histoire de cette jeune femme paumée qui accepte (un peu forcée quand même) de céder le bébé qu’elle porte à une brave femme qui l’a aidée, et qui n’a pas su avouer à son (brave aussi) mari qu’elle avait perdu le bébé qu’elle-même portait. Une future mère célibataire à la rue, et une ex-future mère désespérée… Pas difficile d’imaginer le terrible arrangement qu’elles vont trouver, et les tout aussi terribles tiraillements qui vont suivre.

C’est donc un pur mélo sur le papier, digne des mélos hollywoodiens les plus indignes. A l’écran pourtant, Siodmak transforme cette histoire pesante en une peinture inspirée et très humaine d’une société rongée par la défaite et la difficulté de se reconstruire. Ce retour en Allemagne si tardif pour le cinéaste prend alors les allures d’une évidence, le point de vue du cinéaste revêtant une amertume qui semble intimement liée à la difficile reconstruction de son pays. Le savoir-faire hollywoodien en plus.

Les Herbes sèches (Kuru Otlar Üstüne) – de Nuri Bilge Ceylan – 2023

Posté : 12 septembre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, CEYLAN Nuri Bilge | Pas de commentaires »

Les Herbes sèches

Enchaîner deux chefs d’œuvre absolus, c’est déjà rarissime dans l’histoire du cinéma. Mais trois, quatre, voire plus ? Je serais assez tenté d’en conclure que Nuri Bilge Ceylan est le plus grand cinéaste vivant. D’abord parce que je le pense profondément. Ensuite parce que c’est encore une fois dans un état indescriptible que je sors de son nouveau film. Comme pour Le Poirier sauvage. Comme pour Winter Sleep.

Avec cette sensation d’avoir touché du doigt la beauté formelle la plus pure, en même temps que d’avoir été plongé au plus intime de l’âme humaine. Sublime, profond, et d’une intensité absolue… Voilà que je dis des Herbes sèches ce que je disais des précédents films de Ceylan, comme si son cinéma empruntait toujours les mêmes chemins. C’est à la fois vrai (il y a des thématiques récurrentes bien sûr), et injuste : chacun de ses films est une expérience inédite, toujours plus complexe, plus vraie, et plus rude…

Dans la salle de ma toute petite ville de province, une quinzaine de spectateurs, ce qui est plutôt très bien pour un film turc de 3h17. A la sortie, j’entends l’un d’eux glisser au directeur « c’est très beau mais un peu trop long ». Je me contente d’un regard complice avec ledit directeur, incapable de dire un mot encore… Mais non : Les Herbes sèches n’est pas trop long. Ces 3h17 d’émerveillement et de malaise paraissent même a posteriori d’une grande intensité.

Il ne s’y passe pourtant objectivement pas grand-chose. Mais la vérité, l’intensité, la profondeur sont telles que le film paraît touffu, voire étouffant. Parce que le personnage principal, comme souvent chez Ceylan, n’est pas très aimable. Et qu’il évoque chez nous (chez moi) des échos très personnel, et très dérangeant.

Le « héros » de Winter Sleep était arrogant, mais séduisant. Celui du Poirier sauvage était attachant, mais arrogant. Cette fois, difficile d’aimer cet homme quasi-omniprésent à l’écran, enseignant dans le collège d’un bled très paumé du fin-fond de l’Anatolie, dont le comportement invoque rapidement un terme psychanalytique : pervers narcissique.

Ceylan n’est pas homme à juger. En tout cas, il n’est pas homme à s’arrêter à une simple catégorie (une longue conversation au cœur du film est en cela fascinante). Pervers narcissique ? Oui, notre « héros » met mal à l’aise, et agit avec ses élèves comme avec ses amis d’une manière objectivement assez répugnante. Mais si ce personnage, aussi excessif soit-il, éveillait chez le spectateur des réminiscences qu’il ne pouvait nier… ?

On découvre Samet, le personnage principal, à son retour de vacances entre deux semestres. C’est l’hiver, un hiver intense et interminable qui recouvre tout, et Samet retrouve (vaguement) ses collègues et (intensément) l’une de ses élèves, avec qui il entretient une relation troublante, dont la nature précise reste mystérieuse. Mais il y a cette lettre d’amour qu’elle écrit, qui lui est confisquée, qu’il récupère, et dont il pense avec une sorte de fierté malvenue qu’elle lui est destinée.

A raison ? A tort ? Ceylan ne tranche pas franchement, et il est assez fascinant de voir que, en lisant les différentes critiques, le ressenti du spectateur peut être différent. Qu’importe à vrai dire. Avec cette adolescente, comme avec le magnifique personnage d’une professeur amputée jouée par Merve Dizdar (Prix d’interprétation à Cannes), Samet ne cherche en fait qu’à exister, qu’à plaire, qu’à retrouver cet état d’innocence qui n’appartient qu’à sa jeunesse évaporée.

Il est odieux souvent, brimant et manipulant ceux qui se dressent entre lui et les regards qu’il cherche à capter, méprisable oui, mais pathétique surtout. Tellement pathétique que conforter son narcissisme désespérée par un passage à l’acte charnel semble inadapté, incongru… Et c’est là que Ceylan s’autorise la scène la plus inattendue de tout son cinéma : le personnage, littéralement, sort de son rôle et quitte la scène pour se réfugier sur le plateau… Parenthèse étonnante qui, loin de briser la vérité du moment, la renforce d’une manière hallucinante.

Ce n’est pas la seule audace esthétique de Ceylan, dont le travail sur le regard trouve une autre apogée ici, en mettant en scène à trois ou quatre reprises les photos d’Anatolie et de ses habitants que prend le personnage principal (sublimes photos de Nuri Bilge lui-même et de son épouse Ebre), dont l’utilisation provoque une émotion que je serais bien incapable de traduire en mots.

C’est d’ailleurs la seule limite au cinéma de Nuri Bilge Ceylan : le sentiment d’impuissance qu’il procure à celui qui tente d’exprimer l’émotion et les bouleversements que son cinéma lui a procuré. Là encore, je serais bien tenté d’abdiquer, de simplement clamer que Les Herbes sèches est un film immense, et de m’y replonger immédiatement…

Le Contrôleur des wagons lits – de Richard Eichberg – 1935

Posté : 11 septembre, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, DARRIEUX Danielle, EICHBERG Richard | Pas de commentaires »

Le Contrôleur des wagons lits

Avec un tel titre, on pouvait s’attendre à une comédie jouant avec l’exiguïté et l’atmosphère si particulière des trains de nuit. Et il se trouve que j’aime les films de trains. Qui plus est, le personnage principal est une jeune femme interprétée par Danielle Darrieux. Et il se trouve aussi que j’adore Danielle Darrieux, et que l’idée de la voir s’amouracher dans un wagon lit me semblait plein de promesses…

Or, les scènes dans ce fameux trains de nuit sont rares, et relativement courtes : une première séquence qui permet simplement de présenter l’autre personnage principal, le fameux contrôleur que joue Albert Préjean, puis une autre au milieu du film qui permet de réunir les différents protagonistes dans un grand jeu du chat et de la souris qui ne tient pas ses promesses. Et c’est tout.

C’est donc en restant sur notre faim qu’on termine Le Contrôleur des wagons lits, version française d’un film allemand tourné (par le même cinéaste teuton) avec une autre distribution. Le film n’est pas déplaisant, et on prend même un certain plaisir à suivre cette succession de quiproquos autour d’un directeur de firme automobile (Lucien Baroux) et d’un contrôleur-inventeur qui veut lui vendre un nouveau carburateur.

Rien de bien original quand même. Une séquence, quand même, séduit particulièrement : celle du club tyrolien, plein de vie et de rythme. Pour le reste, c’est une comédie de situation sans grande originalité qui vaut surtout pour la présence de Darrieux.

Dieu est mort (The Fugitive) – de John Ford – 1947

Posté : 10 septembre, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, BOND Ward, FORD John | Pas de commentaires »

Dieu est mort

Adapté d’un roman de Graham Greene, The Fugitive a été un échec sans appel, l’un des plus cinglants de cette décennie pour John Ford. Et ce n’est pas surprenant, tant le cinéaste renonce pour une fois à toute concession dans la légèreté, signant un film grave et lent, quasiment dénué d’action, dont le rythme épouse fidèlement les affres mentales d’un homme traqué, un prêtre confronté à la peur et au doute.

L’histoire se passe dans un pays d’Amérique du Sud, où la religion a été purement et simplement interdite, et les prêtres exécutés. A l’exception d’un seul, qui erre comme une âme en peine et se cache dans une église en ruines. C’est là qu’on le découvre dans la première scène, qui justifie à elle seule l’insuccès populaire du film. The Fugitive s’ouvre en effet sur une longue scène quasi-muette, où le prêtre joué par Henry Fonda est surpris par une jeune mère célibataire (c’est tout dire de ses mœurs!), qui lui demande de baptiser son enfant…

On est d’emblée frappé par le rythme qu’adopte Ford, lent et pesant, comme empêché. Puis par l’absence totale d’humour ou de second degré. Par la symbolique des images aussi, le prêtre apparaissant d’abord par une ombre en croix qui se dessine au sol, et la jeune femme ayant le sublime visage de madone de Dolores Del Rio, douloureuse pieta dont les seuls traits procurent d’incroyables sensations.

Ford, plus encore que dans The Informer (sans doute le film le plus proche dans l’esprit de toute sa filmographie), fait un usage presque systématique de la symbolique religieuse dans ses choix de cadre, dans sa manière de filmer des personnages qui incarnent tous à leur manière le difficile rapport à la foi, à la vie et à la mort.

Fonda en prêtre qui se découvre incapable d’avoir la grandeur que sa fonction exige. Del Rio en femme aux mœurs jugées légères qui se révèle d’une pureté absolue. Et Pedro Armendariz, fascinant en officier incarnant l’autorité anti-religieuse, mais que l’on découvre menant une lutte interne contre sa propre foi. Ou encore Ward Bond, étrange dans un rôle pas très convaincant de bandit en fuite se transformant de manière très inattendue en ange gardien.

Ford affirmait que le film était l’un de ceux dont il était le plus fier. C’est en tout cas une œuvre très atypique dans sa riche filmographie. Clairement pas le plus aimable de ses films, ni le plus abouti. Mais la beauté un peu revêche des images, cette manière de filmer les visages comme des images religieuses chargées de symboles, l’ambition morale aussi… Tout ça fait de The Fugitive un film peut-être pas très attachant, mais franchement fascinant.

Le Dénonciateur (The Informer) – d’Arthur Robison – 1929

Posté : 9 septembre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, POLARS/NOIRS, ROBISON Arthur | Pas de commentaires »

Le Dénonciateur

J’étais jusqu’à présent totalement passé à côté du fait que Le Mouchard de John Ford, adapté d’une pièce écrite par l’un de ses cousins, était un remake. Et qui plus est d’un film assez formidable. Cinq ans avant le chef d’œuvre de Ford, et dans les dernières heures du muet, c’est un cinéaste germano-américain, Arthur Robison, qui porte à l’écran dans une production anglaise cette histoire nord-irlandaise.

Encore que, dans cette version-ci, le contexte politico-sanglant de la guerre d’indépendance irlandaise est pour le moins évacué à l’arrière-plan. Le décor est bien représentatif : celui, nocturne et grouillant de vie, d’un quartier populaire tout en briques, en misère et en humidité. Mais jamais la référence au contexte historique, prédominant dans le film de Ford, n’est clairement affiché.

L’incident à l’origine du drame, un échange de coups de feu entre deux groupes armés, peut ainsi être résumé à l’affrontement de deux gangs rivaux. La violence est la même. Quant au moteur de la dénonciation, qui donne son titre au film, ce n’est finalement rien d’autre qu’un accès de jalousie. Moins ancré dans la réalité quasi-contemporaine que le remake de 1934, le film de Robison n’en est pas moins passionnant, avec une dimension assez universelle.

Gypo Nolan est ici joué par Lars Hanson, un acteur suédois qui n’annonce en rien le Victor McLaglen génialement bas-du-front chez Ford. Lui est un homme qui fut droit, avant de se livrer à cette dénonciation aux effets dramatiques. Un brusque accès magnifiquement filmé par un incroyable travelling sortant l’homme de l’ombre et de l’isolement pour le confronter à la populace grouillante de ce bas-quartier.

Il est aussi un homme rongé par le remord, et tiraillé entre son instinct de survie et sa soif de rédemption. En 1929 comme en 1934, la rédemption et la religion ne sont pas des valeurs à prendre à la légère. Et ce sont des valeurs qui peuvent donner des conclusions pesantes, ou sublimes selon la qualité du réalisateur. Robison est doué. La fin tout en symbole de The Informer est magnifique, évoquant les grandes heures de Borzage. C’est dire.

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