Nuages de mai (Mayis Sikintisi) – de Nuri Bilge Ceylan – 1999
Une scène, au cœur de Nuages de mai, dit beaucoup de l’œuvre tout entière de Nuri Bilge Ceylan : le personnage principal, alter ego du cinéaste, lui-même réalisateur revenu d’Istanbul pour tourner un film dans son village d’origine, tourne sa caméra sur sa mère et son père, les filmant longuement.
Cette scène, muette et bouleversante, c’est une manière pour Ceylan de capter pour l’éternité la vérité de ses propres parents. Son père Emin, surtout, qu’il avait déjà dirigé dans Kasaba, et qui apparaît ici comme un personnage fascinant, et comme une figure clé pour son cinéaste de fils.
Ceylan est alors dans sa veine « autofiction », au cœur d’une trilogie informelle commencée avec Kasaba et qui se terminera avec Uzak, dont le personnage-fil conducteur serait un jeune homme paumé, qui rêve de quitter la campagne pour aller vivre à Istanbul, mais qui ne trouve pas les ressources pour concrétiser son rêve.
Central au début du film, il ne tarde pas à s’effacer, à se confondre avec le décor. Le personnage du cinéaste aussi, d’ailleurs, qui s’efface bientôt derrière ses sujets. Les Ceylan en l’occurrence, parents du réalisateur, personnages fascinants, ne serait-ce que pour ce qu’ils disent de la personnalité du cinéaste lui-même.
Ceylan dédie ce film à celui qui hante tout son cinéma : Tchekhov, dont la tutelle est constamment présente, dans la manière de filmer des personnages qui ont leur part d’ombre, et dans la manière de jouer avec le climat, et avec l’environnement.
La nature joue un rôle primordial dans son cinéma. Nuages de mai ne fait pas exception, avec des plans sur les feuilles des arbres, le vent, la brume ou le soleil levant, qui évoquent parfois les grands maîtres impressionnistes.
Avec ce deuxième long métrage, le premier en couleurs, Ceylan confirme déjà qu’il est un grand cinéaste, et que c’est une œuvre qu’il construit, cohérente et constamment renouvelée.