Burning days (Kurak Günler) – d’Emin Alper – 2022
Il n’y a pas que Nuri Bilge Ceylan dans le cinéma turc. L’importance du plus grand cinéaste vivant ne doit pas faire oublier d’autres noms eux aussi passionnants, comme Emin Alper qui, neuf ans et deux films après un premier long métrage très remarqué (Derrière la colline), revient avec ce thriller politique sous tension, qui réussit un premier pari assez fou sous « l’ère Ceylan » : filmer les grands espaces de l’Anatolie en échappant constamment à l’influence du réalisateur de Winter Sleep.
Ils sont pourtant importants, les paysages. Mais comme une présence envoûtante et inquiétante qui, dès les premières images, commencent à peser sur le personnage principal, tout jeune procureur venu de la ville, qui vient d’arriver dans cette petite localité perdue au milieu de nulle part, où tout semble archaïque. Tellement intègre qu’il en apparaît rigide, il est confronté à une corruption galopante, et côtoie des notables dont les principaux amusements consistent à traverser la ville en tirant vers le ciel à coups de fusils, tout en tirant derrière leur pick-up la dépouille sanglante d’un sanglier abattu.
Il y a des allures de western dans Burning Days. De film noir aussi, avec cette histoire d’eau lourde qui ne peut pas ne pas faire penser à Chinatown, d’autant plus que le même sentiment de paranoïa généralisée ne cesse de se développer. Quelque chose de bestial aussi, qui fait un peu penser au récent et puissant Serment de Pamfir, dans une séquence alcoolisée qui fait basculer le récit vers une dimension plus cauchemardesque. Et même quelque chose du cinéma de Carpenter dans un final étouffant au suspense hallucinant.
Ce personnage de procureur est en tout cas fascinant. Trop droit, trois jeune, trop lisse, trop pâle même, et trop différent pour ne pas se heurter frontalement à une population autochtone dont on ne sait si elle est composée d’idiots ou de monstres. Ce doute est constant, oppressant, jusqu’à donner lieu à un final quasi irréel, et inoubliable.
En tant que film de genre, Burning Days est déjà très, très intense. Mais Emin Alper signe par ailleurs un film éminemment politique, beaucoup plus que le cinéma de Ceylan par exemple. Il met en scène un pays tiraillé entre l’Est et l’Ouest, gangrené par la corruption, ancré dans des traditions d’un autre temps, profondément et dangereusement homophobe… Glaçant.
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