La Grande Ville (Mahanagar) – de Satyajit Ray – 1963
La grande ville du titre, c’est Calcutta, la ville de Satyajit Ray, dont le cinéaste capte toutes les richesses, mais aussi et surtout tout ce qu’elle représente d’aliénant, tout ce qu’elle recèle de pièges et d’épreuves. Une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose de la beauté de ce film qui est un peu construit sur le modèle d’Une étoile est née. A ceci près que la star sur le déclin est un mari sans histoire, et la vedette qui monte sa jeune épouse qui découvre le monde du travail…
Et à travers ces destins communs et croisés en même temps, c’est une société qui peine à sortir du patriarcat que filme Ray. Adapté d’une nouvelle publiée une quinzaine d’années plus tôt, le film est pourtant très contemporain de l’époque où il est tourné. Nous sommes donc au cœur des années 60, et le film commence en plein drame, en pleine révolution intime : Arati, jeune femme au foyer heureuse de son sort, doit se résoudre à trouver un emploi.
C’est le premier des trois films que tourne Ray avec l’actrice (sublime) Madhabi Mukherjee, avant Charulata et Le Lâche. Et l’intensité de l’actrice est centrale dans la réussite du film, la manière dont elle incarne à la fois la docilité à un mari et une belle-famille un rien conservateurs, et la découverte de la vie active et de ce que cela implique : la sociabilisation, une certaine forme de liberté, et surtout un libre-arbitre.
Ce sont les années 60, hier donc, mais l’émancipation de cette jeune femme est vécue comme un drame intime par son entourage : par les beaux-parents qui voient leur modèle bafoué, par le fils qui voit sa mère protectrice s’éloigner, et même par le mari qui voit son rôle central se déliter. Dans ce rôle plus effacé, Anil Chatterjee (que Ray avait déjà dirigé dans Trois filles), est très émouvant, dans sa manière d’incarner le lent effacement du personnage.
Ray séduit aussi par la fausse simplicité de sa mise en scène, par ces escaliers et ces dédales qu’il filme comme des symboles des tourments de ses personnages. Il donne corps aux doutes et aux espoirs, et à l’incertitude, concluant son film sur une fin ouverte magnifique, résumant en une image tous les doutes et tous les espoirs possibles.
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