La Bataille de Solférino – de Justine Triet – 2013
« C’est la troisième fois que je me fais humilier aujourd’hui, j’en ai ras le cul », lance un Vincent Maicagne faussement débonnaire et réellement au bout du rouleau au flic qui l’interroge rudement. Jusqu’alors on aurait vite fait de le cataloguer comme le cool rigolo ou comme le psychopathe de service, tant son jeu lunaire peut semer de fausses pistes. Mais cette réplique livre une vérité brutale et sèche qui cingle comme une gifle.
Et ça me semble une bonne manière de résumer le cinéma de Justine Triet, dès ce premier long métrage libre et envoûtant. Tout s’y mélange : l’absurde et le profond, le très léger et le très grave, les dialogues très écrits et les images volées dans une actualité bien réelle. Et de ce chaos apparent, Justine Triet tire une vérité qui secoue d’autant plus qu’on ne la voit jamais vraiment venir.
La cinéaste mêle intimement destins personnels et événements d’actualité avec une évidence totale. Parce que l’histoire contemporaine n’existe en fait que par le regard qu’on lui portes, elle fait de son héroïne non seulement une mère dépassée, mais aussi une journaliste de la chaîne d’info continue i-Télé en mai 2012, le soir de l’élection de François Hollande. Comme un espoir de jours meilleurs pour une jeune femme qui semble passer à côté de tout.
Même son rôle de mère, Justine Triet le filme d’emblée comme une épreuve à peine humaine, ouvrant son film avec une longue scène faite de petits riens, d’une mère qui peine à faire face à ses deux filles en bas âge qui pleurent beaucoup et très fort. A ce chaos initial, Justine Triet en ajoute bien d’autres : un ex-mari angoissé et encombrant (Macaigne, formidable), un baby-sitter dépassé, et d’autres rencontres plus ou moins déstabilisantes.
Entre les moments intimes et intenses, et les impressionnantes séquences filmées durant cette fameuse soirée d’élection et de liesse populaire, la réalisatrice trouve un élan commun, un mouvement faussement continue qui semble mener vers un paroxysme inévitable, mais qui privilégie les moments de calmes entre les tempêtes. Ce pourrait être bordélique, mais ce sentiment de toucher à la vérité la plus intime nous rattrape constamment.
Donner le sentiment d’un cinéma tellement libre qu’il en paraît improvisé, tout en maîtrisant totalement et absolument sa narration… Justine Triet dévoile dès ce premier long métrage une vision personnelle et un langage qui lui est propre, qui passe autant par l’image que par le son (l’utilisation des chansons, déjà…). Grand premier film d’une grande cinéaste.