Showing up (id.) – de Kelly Reichardt – 2022
First Cow, son dernier film en date, avait été une sorte d’apogée pour Kelly Reichardt, qui nous plongeait au cœur de l’Amérique des pionniers comme peu de cinéastes avant elle. Après ce western fascinant et sublime, on ne s’attendait pas à ce qu’elle creuse le même sillon. De fait, elle emprunte un chemin apparemment radicalement différent, aux antipodes cette fois de la notion même du cinéma de genre.
On pourrait résumer (comme certains critiques ne se sont pas privés de le faire) Showing up comme un film où il ne se passe rien. Ce n’est pas tout à fait faux, mais c’est encore moins vrai : il se passe énormément de choses dans ce film, mais des petits riens physiques, ou de grandes tempêtes intérieures. Bref, rien de spectaculaire, et pas de grand travail de reconstitution : le film suit le quotidien d’une sculptrice bien d’aujourd’hui, dans les derniers jours qui précèdent son exposition.
Rien de spectaculaire, et rien de séduisant non plus : Michelle Williams, aux antipodes de son rôle incandescent de The Fabelmans, incarne une artiste de l’ombre, qui mène une vie morne et plutôt solitaire, pas très sympathique et franchement pas aimable. Pas même un génie : ses sculptures séduisent, mais provoquent davantage de réactions polies que de réels enthousiasmes…
Son quotidien, dans ces derniers jours avant sa grande expo, ce sont ses longues séances de travail dans son garage sans charme, à la porte à moitié ouverte sur la route et les poubelles. Ses relations taiseuses avec ses parents divorcés et son frère à moitié frappé. Les liens qu’elle ne cherche jamais à tisser avec les autres artistes qui fréquentent la même école d’art qu’elle, ou sa voisine et collègue qui lui ouvre son cœur mais qu’elle ne cesse d’envoyer chier…
Derrière cette froideur, on sent pourtant quelque chose de douloureux, une incapacité à s’ouvrir à l’autre, et une frustration sourde qui semble parfois sur le point d’exploser. Une scène, surtout, contient toute cette douleur qui ne demande qu’à sortir : celle où, seule dans son appartement alors que sa voisine reçoit des amis, elle manipule et observe les sculptures qu’elle vient de terminer. Là, Kelly Reichardt capte une tension dont on sent qu’elle peut se transformer en violence explosive…
Il y a la frustration, il y a aussi le dégoût que le personnage semble éprouver pour elle-même, et qui se cristallise autour de ce pigeon, personnage central du film, que notre héroïne retrouve à moitié bouffé par son chat, et dont elle se débarrasse en lançant un cruel « va mourir ailleurs », alors que sa voisine le recueille et le soigne. Ce pigeon sera mine de rien un révélateur, un guide, et un lien avec la société, et même avec la vie…
Le film est fait de petits riens, de minuscules accidents. Il est lent, très. Mais cette lenteur, qui mène à la frontière de l’ennui sans jamais vraiment y verser, finit par nous mener dans un étrange état second, où les émotions affleurent sans jamais s’imposer. Un film peu aimable, mais beau et douloureux, comme son personnage principal.
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