Chien de la casse – de Jean-Baptiste Durand – 2023
Chien de la casse est un peu au film de banlieue ce que La Mort aux trousses était au film noir : une sorte de contre-pied réjouissant, qui ramène le « genre » à ses fondamentaux. Parce qu’au fond, il est plus souvent question de la jeunesse et du désœuvrement que de la banlieue elle-même. Ici, les vieilles pierres et les grands espaces remplacent les barres d’immeubles et les horizons fermés, et les jeunes font de grandes phrases, citent Montaigne, et s’emmerdent.
Et il y a ce grain de sable qui vient remettre en cause le fragile équilibre de ces soirées à ne rien faire : une jeune auto-stoppeuse dont tombe amoureux le plus taiseux de la bande, révélant aux autres leurs propres doutes, leurs incertitudes et leur fragilité. Et voilà à peu près le meilleur résumé que je peux faire de ce film où, foncièrement, il ne se passe rien.
Rien d’autres en tout cas que des discussions stériles, des silences, de l’attente, de petits trafics pas bien méchants… Il ne se passe rien, et il ne fait même pas beau, dans cet arrière-pays du Sud de la France, où l’avenir se résume à de maigres possibilités : se barrer dans l’armée, se créer son propre emploi, ou rêver d’un ailleurs dont on sait bien qu’il n’existera pas.
C’est un premier film, mais le réalisateur Jean-Baptiste Durand affiche une maîtrise de son art, et de son sujet, qui lui permettent d’éviter les grands discours, l’approche trop démonstrative. Son film se concentre sur l’amitié de deux jeunes hommes inséparables, mais que tout semble opposer. L’un (Anthony Bajon, étrangement séduisant) est un taiseux immobile, qui passerait volontiers ses journées devant sa « Play » à enchaîner les parties de FIFA. L’autre (Raphaël Quenard) est un tchatcheur lettré et ouvert, qui parle aux jeunes comme aux vieux.
On aurait vite de conclure qu’il y a le dominant et le dominé, mais la vie est autrement plus complexe et nuancée, et le film de Jean-Baptiste Durand aussi. Ce que révèle le cinéaste, c’est ce lien invisible qui unit deux êtres dissemblables, et qu’ils n’ont peut-être même pas choisi. « Je suis pas ton ami, je suis ton frère. Même si tu me hais, je resterais quand même ton frère », lance Miralès à Dog. Et c’est la vérité de ce lien qui domine, au-delà de la tension qui monte, au-delà de la tristesse et de la peur du lendemain.
Chien de la casse, surtout, frappe par son rythme et la puissance des émotions, pourtant tues. Jusqu’à la douleur d’une perte dont on ne dira rien, mais que Durand filme avec une pudeur et une simplicité bouleversante. Au-delà de la performance d’acteurs merveilleux (Bajon et Quenard, deux grandes révélations de ces dernières années), c’est peut-être bien la naissance d’un grand cinéaste que Chien de la casse nous offre. Bref, un film qui pourrait bien faire date.