Le Visage derrière le masque (The Face behind the mask) – de Robert Florey – 1941
Il y a quand même du bon dans le cinéma hollywoodien de ces années-là : un savoir-faire incomparable, une beauté formelle, une authenticité jusque dans les plus grands excès, et une manière d’oser la concision. Oui, on peut rétorquer que cette concision peut être liée à l’existence de double-programmes. Mais qu’importe. Le fait est que, en 1h09 d’une extrême densité, Robert Florey nous offre un récit qui, aujourd’hui, donnerait lieu à un film fleuve de trois heures, à une franchise, à une mini-série… ou à rien du tout.
Bref : 1h09 d’un destin sombre, tragique, humain et très émouvant, sans une minute de flottement, sans rien à jeter. 1H09 d’un cinéma puissant et simple à la fois, direct et intense, et d’une grande force visuelle. Robert Florey est un cinéaste intéressant, à défaut d’avoir une signature immédiatement reconnaissable. Un cinéaste qui sait glisser son talent au service de son histoire.
Les audaces visuelles de ce film-ci n’ont jamais rien de gratuit : elles épousent le regard de son personnage principal, immigrant polonais dont le sourire de gamin est effacé brutalement par un incendie qui le laisse défiguré. La mise en scène de Florey évolue en même temps que l’état d’esprit du personnage : légère et pleine d’allant lors des premiers en Amérique, profondément sombre après l’accident, intense et inquiétante lorsque le bon immigré devient gangster…
L’immigré, c’est Peter Lorre, dans l’un de ses rôles les plus riches. Complexes, aussi, constamment tiraillé entre l’anti-héros tragique, le romantique plein d’espoir, et le cynique résigné et déterminé. Il apparaît le visage ouvert et bienveillant. Il se découvre défiguré et inregardable, dans un état que la caméra de Florey ne dévoile jamais frontalement, jouant avec l’obscurité et ses cadrages pour susciter l’imagination la plus macabre.
Ce qui commençait comme une chronique pleine d’optimisme sur le rêve américain tourne alors au film d’horreur. Mais d’autres genres sont abordés : le film policier, le suspense, et même la romance qui ouvre les portes d’un possible happy end, lorsque l’homme inregardable, malgré son masque de normalité, rencontre une femme qui ne peut voir… 1h09 d’un cinéma puissant et généreux, porté par un acteur qui a rarement eu l’occasion de dévoiler autant de facettes de son talent.