Hommes sans femmes (Men without women) – de John Ford – 1930
Ce film ne ressemble à aucun autre Ford, mais pourtant, il porte son empreinte de la première à la dernière image. Il est unique parce qu’il est rare que le cinéaste maintienne une telle tension, avec une telle omniprésence de la mort. Et très Fordien parce qu’on retrouve là la camaraderie des hommes entre eux, le groupe qui révèle les meilleurs (et parfois les pires) côtés de chacun, la rédemption…
Mais commençons par la première partie, cette longue séquence se déroulant dans un bar de Shanghai qui, dans les années 1920, était considéré comme le plus long du monde. Ford y concentre toute l’action de cette première partie, introduisant ses personnages dans un contexte exotique qui révèle les instincts de chacun.
Les marins d’un sous-marin, donc, en attente d’une nouvelle mission, qui profitent des quelques heures de liberté qui leur restent pour se saouler et flirter avec les filles de la maison. Dans cette séquence, on sent plus que jamais toute l’affection et même la tendresse de Ford pour ces hommes qui laissent aller leurs instincts les plus primaires entre deux voyages à hauts risques. On retrouve dans cette première partie le sens de la camaraderie, l’humour potache, l’alcool qui coule à flot, et même en muet, l’accent irlandais de certains personnages (dont celui de J. Farrel MacDonald).
Pas tout à fait muet, d’ailleurs : Men without women est un film sonore, avec les bruits du bar et plus tard du sous-marin, des bribes de dialogues à peine perceptible… Surtout, le son permet à Ford de filmer des hôtesses du bar chantant pour entraîner les marins. La vie qui règne dans ce bar, et dans les quelques plans extérieurs de Shanghai, est assez fascinante, particulièrement ces plans tout en profondeurs montrant l’interminable rangée de marins accoudés au comptoir, tournant le dos à des jeunes femmes qui tentent de les attirer.
Mais les marins sont rappelés à bord, et c’est un tout autre ton qu’adopte alors Ford : un huis-clos rapidement étouffant, le sous-marin, éperonné par accident, se retrouvant au fond de la mer, avec des perspectives pour le moins sombre pour les marins survivants. Là, Ford filme comme jamais l’attente, l’angoisse, le courage et les accès de panique, la mesquinerie et l’héroïsme, et la peur de la mort, qui s’installe et s’étire. C’est terriblement oppressant, et profondément émouvant.
Tourné dans un authentique sous-marin, Men without women dégage une authenticité étonnante, et semble concentrer avec une grande intensité certaines obsessions de Ford, que l’on retrouvera tout au long de sa carrière. Que le film marque sa première collaboration avec Dudley Nichols, qui sera son scénariste de prédilection durant toute cette décennie, n’est peut-être pas un hasard à cet égard. Autre habitué du cinéma de Ford : John Wayne fait une très brève apparition durant la (formidable) scène de sauvetage.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.